L’essor du braconnage constaté au Gabon en particulier dans les territoires des aires protégées ressemble beaucoup plus à un refus systématique des populations locales de la politique des parcs nationaux menée actuellement par les gouvernants de ce pays. Je me permets en ce jour d’apporter une réflexion sur cette question qui semble être absente des débats nationaux et citoyens. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans une logique contestataire mais dans une posture descriptive de la réalité sociale et culturelle de l’arrière pays pour une meilleure gestion de ces espaces. L’expérience acquise sur le terrain en France (parc des Cévennes, parc régional des landes de Gascognes), Sud du continent Américain(forêt amazonienne de Guyane), au Gabon (franceville (village Odjouma) à la Lopé) au contact des populations locales lors de mes différentes recherches scientifiques et au cours des différents colloques et séminaires me permettent d’avoir aujourd’hui un point de vue à émettre sur cette question en tant citoyen et fondateur d’une association œuvrant dans la promotion de la conservation et la valorisation des patrimoines (naturelle et culturelle) au Gabon.
Lors de la dernière rencontre des ministres en charge de l’Economie forestière, du Tourisme et des parcs nationaux, Emile Doumba et Yolande Bikè de ce mois de Mars. Un constat accablant et non surprenant pour les esprits avisés a été fait « Des espèces dites protégées sont massacrées chaque jour par les braconniers qui bafouent toute interdiction de chasse dans certaines zones de l’immense forêt et savane que renferme le Gabon ».
Evidemment, le massacre de notre biodiversité ne saurait être tolérée Mais avant de porter un jugement sur cette question, il me semble judicieux de revenir sur un point essentiel que l’on semble occulter : les conditions de création de ces parcs nationaux au Gabon.
L’opportunisme, l’improvisation et la quête d’autres sources de financement autre que le pétrole en déclin semblent avoir été des sources de motivations non négligeables à la création de ces parcs que certains qualifient déjà de « parcs papiers ».On se souviendra que c’est au cours du sommet de la Terre à Johannesburg en 2002, contre toute attente, que le chef de l’Etat illuminé ce jour avait décidé de créer 13 parcs nationaux en un jour, quand d’autres pays prennent 20 à 30 ans de réflexion pour créer un seul parc national (cas du parc de la Guyane qui a nécessité près de 20ans de réflexion !!!). Les 13 sites ont été créés sur la base des résultats des évaluations botaniques, fauniques et socio-économiques effectuées pendant 2 ans seulement par des équipes de la DFC (Direction Faune Chasse), WCS et WWF (Fonds Mondial pour la Nature) sans l’implication réelle, du moins sans tenir compte des avis des anthropologues locaux (à l’exemple de Claudine Angoué au Parc de la Lopé) pour anticiper sur les éventuelles conséquences liées au mode de vies traditionnelles des populations de ces territoires La logique voudrait qu’avant de commencer par 2 ou 3, il faille commencer par 1 mais non, nous avons apporté notre touche Gabonaise en créant non pas 2 ou 3 mais 13 parcs en un jour. « Quelle idée !! » S’exclama un de mes professeurs lors de cette annonce. La France grand ami du Gabon qui nous sert à bien des cas de modèle dispose à l’heure actuelle de 9 parcs nationaux et leur gestion n’est pas évidente malgré tous les moyens logistiques et financiers dont dispose ce pays les problèmes de sous effectif des gardes moniteurs par exemple restent d’actualité.
Si l’idée de créer des parcs nationaux au Gabon est louable compte tenu de la richesse de nos patrimoines naturels et culturels à conserver avec parcimonie et les enjeux mondiaux de protection et de conservation, la manière dont le Chef de l’Etat s’est précipité pour la création de 13 parcs nationaux suscite tout de même quelques interrogations :
– pourquoi s’est t- on précipité de créer 13 parcs nationaux dans un pays qui n’avait aucun auparavant ? N’aurait-il pas été judicieux de commencer par la création d’un parc pilote tel que la Lopé avant d’étendre l’expérience dans les autres provinces après satisfaction des résultats?
– Quel contenu donne t- on aux parcs nationaux dans notre pays ?
Après 7 ans d’existence, le constat est sans appel, la gestion des parcs nationaux au Gabon est plus que difficile avec le manque de moyens (on se souviendra de cet appel du chef de l’Etat à l’ONU aux investisseurs internationaux, appel improvisé suite à la disparition des « papiers » de son discours », problème de personnel et la montée en puissance du braconnage sans précédent. Et pourtant depuis la création de ces aires protégées le Gabon a reçu de nombreux aides financières venant d’investisseurs Américains, de l’Union Européenne ainsi que la Banque mondiale mais sur le terrain rien de concret n’a été réalisé, aucun sentier de randonnées, ni un modèle d’hébergement touristique adapté à l’environnement et accessible à tous comme c’est le cas des carbets en Amérique du Sud. Aucune solution alternative pour la survie des populations sacrifiée des parcs nationaux interdites de chasse, de pêche sur leurs espaces de vies malgré l’article 8J de la convention sur la diversité biologique qui recommande aux Etats signataires comme le Gabon d’impliquer les populations locales dans la gestion des aires protégées et le respect de leurs modes de vies traditionnelles.
Pendant que le parc national se veut chez les autres un outil à la fois de protection et de développement local. Au Gabon il reste réduit à un outil de répression et de terreur pour les populations locales riveraines aux parcs nationaux. A titre d’exemples toutes les politiques actuelles convergent vers la protection intégrale : financement pour la formation des écogardes, classement du parc de Lopé au rang de patrimoine de l’UNESCO, lutte contre le braconnage…afin d’attirer davantage des financements des investisseurs étrangers, sans trouver des solutions durables pour la survie des populations locales qui habitent ces espaces. En effet après les échecs d’Ecofac (projets d’élevage de petits gibiers), aucun projet de développement durable n’a été proposé par les différents experts en charge de ces territoires : « avec les villageois. Nous tentons de mettre sur pied quelques projets de développement en sollicitant leur financement par des Ambassades et des ONGs. Avant cela, il est important d’avoir la confiance de ces derniers car les politiques affirment que les parcs vont avoir des retombées positives pour les villageois mais jusque là, ils ne voient pas de changement dans leur quotidien, bien au contraire leur vie se complique de jour en jour. Notre programme consiste donc à amener le service social dans les villages.. (un responsable du – WCS à la Lopé)
Si les investisseurs affluent ces derniers temps, les aides ne sont pas reversées aux associations locales mais aux ONGs étrangères pour des rapports ou études ce qui ne résout rien des problèmes étant donné que la mission première de ces ONGs n’est pas de trouver des solutions aux quotidiens des Gabonais (c’est la responsabilité de l’Etat !) mais avant tout de remplir leur portefeuille.
Sur le terrain, les populations locales à la Lopé par exemple subissent chaque jour les méfaits du parc comme nous l’indique ce jeune du village Kazamabika interrogé : « Le parc a beaucoup transformé notre vie. Il faut désormais vivre avec du riz, le foufou et des boîtes de conserves lorsqu’ il n’y a pas de poissons. Or tout ceci nécessite des moyens financiers.
Aujourd’hui, on vit grâce à Dieu. Si tu arrives à la plantation, tu te demanderas comment ces gens font pour vivre car les éléphants détruisent en quelques minutes un travail qui aura demandé des mois de travail ».
La chasse étant interdite abusivement sur ces territoires, les populations ont cependant le droit de planter aux environs de leurs habitations. Or les animaux ne connaissent pas la notion de limite, en particulier l’éléphant « lorsqu’ il a faim, il arrache tout, passe et détruit en quelques secondes un travail qui a demandé du temps et de l’énergie ».
Qu’ a-t-on prévu pour de telles cas ?
Selon ses humeurs, le président peut faire un don pour soulager les populations, ce fut le cas en 2004, lorsqu’il délégua un de ses « haut représentant » pour distribuer de l’argent qui est à peine arrivé aux familles dont les plantations avaient été détruites par les éléphants. Une solution ponctuelle qui devait normalement dans un Etat de Droit être inscrite noir sur blanc dans la loi sur les parcs nationaux au Gabon. C’est à dire une indemnisation, voire un revenu minimum de survie pour ces populations dont les terres ont été consacrées à la conservation.
Il faut dire que la population animalière a largement augmentée à la Lopé dépassant pour certains animaux tels que les buffles le seuil de tolérance. Ainsi, Il n’arrive pas un seul mois qu’un buffle fauche quelqu’un ; c’est un fait qui semble banal aujourd’hui sur ces lieux.
Il est bien connu que la chasse dans nos sociétés traditionnelles était un moyen efficace d’une part pour réguler la population animalière afin de maintenir un équilibre naturel du milieu et d’autre part c’était un moyen de reconnaissance sociale qui concourait à témoigner du respect à certains chasseurs au regard du nombre d’éléphants tués. Aujourd’hui, Lorsque « Les ministres en charge de l’Economie forestière, du Tourisme et des parcs nationaux, Emile Doumba et Yolande Bikè, unissent désormais leurs forces en faveur d’une lutte plus efficace contre le phénomène du braconnage en nette augmentation ces derniers temps, ce en dépit des efforts fournis par les services compétents sur le terrain…», (Source Gabonews, 2 mars 2009). A l’évidence, une telle démarche fait fit d’un vieil adage bien connu des gabonais «ventre affamé n’à point d’oreilles ». En unissant désormais leurs forces en faveur d’une lutte plus efficace contre braconnage, il semble qu’on veuille faire abstraction à une réalité sociale et culturelle bien connue. Est-il raisonnable de persister dans la répression sans résultat probant ou est-il plus sage d’associer réellement les populations locales dans une démarche participative ?
En se focalisant sur la répression, on persiste sur « le mauvais côté de l’histoire » en se détournant du vrai problème. Que fais t- on de ces populations sous-alimentées dans les territoires des parcs nationaux crées?
Dans un Etat démocratique, soucieux du devenir de son peuple et respectant les accords internationaux (convention sur la diversité biologique) la logique voudrait que l’on prenne en compte les aspirations du peuple. Les populations locales des parcs nationaux sont une catégorie sacrifiée de la population d’une nation comme le Gabon au détriment de la conservation à ce titre l’Etat devrait prendre conscience de cette situation en favorisant des véritables politiques de diversification de l’économie, d’amélioration de vie en milieu rural dans le respect du développement durable (micro-crédit, écotourisme …).
Pour que la conservation soit une réalité qui fédère les populations locales, il est important que ces dernières voient les retombées directes et positives d’une telle initiative au risque de voir l’émergence d’effets pervers. Il faut par ailleurs que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. En effet, sur ce dernier point, il est bien établi que les populations locales, autochtones au territoire payent très souvent les frais des répressions des agents des eaux et forêts (formés essentiellement dans la répression ) alors que la présence d’ouvriers étrangers des compagnies minières venues exploiter les matières premières s’approvisionnent en produits locaux dont très souvent en espèces protégées et exploitent les minerais, le bois, le pétrole au détriment du statut de zone protégée sous la barbe des populations locales.
En définitive, l’essor du braconnage que l’on peut observer aujourd’hui dans les aires protégées au Gabon est une réponse des populations locales vis-à-vis des dirigeants. Au lieu donc de vouloir contourner le problème, il semble important de prendre ce problème à bras le corps, examiner les problèmes de fonds quitte à réformer et adapter la loi des parcs nationaux en tenant compte non pas seulement des exigences des bailleurs de fonds ou des conseils de ces ONGs étrangères « en quête de fric » mais des aspirations de ces populations des villages profonds du Gabon. Ce n’est qu’à partir d’une véritable démarche participative établie dans le respect de l’autre que l’on parviendra à résoudre le problème du braconnage au Gabon comme le souligne Serge Bahuchet et Maret (1993) « Une politique de développement rural est plus efficace que celle de répression, afin d’atteindre les objectifs de conservation ».
Par Landri Ekomie Obame
Président Fondateur
ONG Désir Nature Gabon
Doctorant à Paris5-Sorbonne
Terrain d’étude Guyane Française