Le palais présidentiel, dans les environs de la capitale Antananarivo, le 18 mars 2009. Le président déchu Marc Ravalomanana a déserté les lieux. Son rival Andry Rajoelina a été nommé chef de l’Etat pour une période de transition.
Le palais présidentiel, dans les environs de la capitale Antananarivo, le 18 mars 2009. Le président déchu Marc Ravalomanana a déserté les lieux. Son rival Andry Rajoelina a été nommé chef de l’Etat pour une période de transition.
Visite guidée du palais-bunker de Iavoloha, quelques heures après la démission du président déchu Marc Ravalomanana et la consécration de son rival.
Ultime refuge du président déchu Marc Ravolomanana, le palais-bunker de Iavoloha n’est pas de facture nord-coréenne pour rien. La Corée, fut-elle coupée en deux, demeure le « pays du matin calme ». Or, ce mercredi à l’aube, une douce quiétude berce les collines de Iavoloha, tout juste piquées de fumerolles indolentes. Aujourd’hui, c’est opération portes ouvertes. Au lever du soleil, les militaires mutins, maîtres des lieux depuis la veille, vous laissent déambuler aux alentours de l’austère et colossale bâtisse blanche, dont l’architecture hésite entre le château Playmobil et le Disneyland asiatique. Le potentat, on le sait bien, prétend toujours perpétuer son emprise par des moyens Lego. Marque déposée? Exact, mais un peu moins, pour le coup, que le chef d’Etat malgache.
A main gauche, lorsqu’on arpente le boulevard asphalté qui file vers le portail vert d’eau du palais, une pièce d’eau ourlée d’une plage privée couleur ciment, avec transats et parasols. Sur le fronton de l’édifice, la devise nationale: « Tanindrazana-Fahafahana-Fandrosoana ». Patrie, Liberté et Progrès.
Portrait déchiré, citadelle abandonnée
A l’évidence, les rebelles ralliés à Andry Rajoelina, le tombeur de « Ravalo », ont conquis une citadelle abandonnée. L’assaut n’a laissé que peu de stigmates. Quelques vitres brisées, des portes capitonnées défoncées à coups de crosse ou de rangers, des bureaux jonchés de paperasses… Ici, un parapheur à soufflets vide; là, un coffre-fort entrouvert à la barre à mine; ailleurs, un oeuf intact dans un verre à pied ébréché.
Suite de la visite par ici. Sur le flanc droit du « palais d’Etat », en face du « National Leadership Institute of Madagascar », somnolent une trentaine de tracteurs bleus made in India, de la marque Bharat. Logique: avant d’accéder à la mairie d’Antananarivo puis à la présidence, Ravalomanana a fait son beurre dans le yaourt et les crémeries. Un de ses portraits, dûment déchiré, gît près de la barrière du porche. Comme relique, c’est un peu maigre; même si l’on y ajoute les douilles cueillies ça et là.
Tentons une incursion à l’intérieur de l’enceinte. Elle sera brève. Des soldats revêches nous somment de déguerpir. A peine aurons-nous le temps de longer le seuil du service « Transmissions et Informatique – Sonnez avant d’entrer ». Consigne visiblement bafouée: la porte vitrée a volé en éclats. Quand on pense que Ravalomanana préférait à ce fortin le palais d’Ambohitsirohitra, siège de la présidence niché au coeur de Tana, au point d’ordonner la construction d’une résidence adjacente, chantier laissé en souffrance… Tel est le destin des puissants d’ici-bas: ils héritent de bastilles qui leur déplaisent, et construisent des résidences qu’ils n’habiteront jamais.
Un DJ devenu président
Le malheur des uns… Rengaine connue. « Andry », lui, ne touche plus terre. Etat de lévitation singulier pour un « TGV ». On n’est jamais si bien servi que par soi-même: ce matin, flanqué d’une cohorte de fidèles, il est allé chercher au siège du Haut Conseil constitutionnel (HCC) le blanc-seing qu’il réclamait. On ne sait jamais; des fois que la Poste malgache égarerait le précieux document. Les neuf sages du HCC ont eu le bon goût d’entériner un double fait accompli, imposé d’ailleurs au mépris de la Constitution. D’abord, la cession des prérogatives de l’exécutif à un « directoire militaire ». Puis le transfert, par cet ovni juridique, des leviers du pouvoir au trentenaire Andry Rajoelina, ex-disc-jockey fétiche des soirées branchées du tout-Tana. Cousue de fil kaki, la martingale aura au moins épargné à « Ravalo » une cuisante humiliation: la reddition en présence de ce cadet qui ressemble tant à ce qu’il fut. Il aura fallu, pour en arriver là, extorquer au triumvirat placé à la tête de l’éphémère directoire, un ralliement insolite -annoncé dans le Cercle des officiers du Capsat, épicentre de la mutinerie. « Décision prise de notre plein gré, jure le trio. Sans la moindre pression. » Ce qui doit signifier que le mess manquait alors de bière.
Foule en transe
A 12h30, retour Place du 13-Mai. A la tribune, un vieux croco du marigot malgache, Norbert Ratsirahonana, très actif ces jours derniers dans la coulisse, et qui fut dans une vie antérieure chef de l’Etat puis patron de la HCC, joue les « ambianceurs ». Et, indice inquiétant, fait acclamer le capitaine qui la veille, au siège de l’Episcopat, braqua sa Kalachnikov sur les galonnés rétifs au pronunciamento des insurgés du Capsat. Lorsque Norbert cède le micro à « Andry TGV », celui-ci peine à se départir de cette gaucherie de l’étudiant auquel le doyen de la fac remet un diplôme enrubanné. Mais très vite, le « président de la Haute autorité de la transition », doté pour deux ans de toutes les attributions dévolues au chef de l’Etat, reprend la main. Ses priorités? La lutte contre la pauvreté et la baisse du prix du riz, denrée de base s’il en est. On a déjà entendu ça quelque part. D’autres promesses plongent la foule dans la transe. Ainsi, l’orateur s’engage à vendre « Force One », le luxueux avion que venait de s’offrir son prédécesseur, au profit du financement d’un hôpital. De même, il annonce un bal populaire samedi prochain, jour de son investiture. Rendez-vous au stade Mahamasina, haut-lieu des jamborees politiques de la capitale. L’ancien DJ compte-t-il officier aux platines? Mystère.