Rome, le 23 mars 2009 – (E.S.M.) – Dans les media d’Europe et d’Amérique, le voyage de Benoît XVI au Cameroun et en Angola, qui s’achève aujourd’hui, a pratiquement été éclipsé par les polémiques nées d’une phrase qu’il a prononcée à son départ, dans l’avion qui le conduisait à Yaoundé, en réponse à la question d’un journaliste:
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde – Et, dans la seconde affaire, il y a conflit non seulement entre l’Eglise et l’état, mais aussi au sein de la hiérarchie. Rome désavoue un diocèse brésilien, qui répond en accusant le Vatican de ne pas connaître les faits et de mettre la doctrine en doute. Les documents de la dispute
Dans les media d’Europe et d’Amérique, le voyage de Benoît XVI au Cameroun et en Angola, qui s’achève aujourd’hui, a pratiquement été éclipsé par les polémiques nées d’une phrase qu’il a prononcée à son départ, dans l’avion qui le conduisait à Yaoundé, en réponse à la question d’un journaliste:
« On ne peut pas régler le problème du sida par la distribution de préservatifs: au contraire, le risque est d’aggraver le problème ».
Au même moment, une seconde polémique éclatait à partir d’un autre pays du Sud, le Brésil, à cause de l’avortement d’une fillette.
Les contraceptifs et l’avortement sont deux des sujets les plus controversés dans les rapports entre l’Eglise et la modernité. L’Eglise catholique s’est notamment prononcée sur les contraceptifs dans l’encyclique « Humanae Vitae » de Paul VI et sur l’avortement dans l’encyclique « Evangelium Vitae » de Jean-Paul II.
Sur le premier sujet, la polémique de ces jours derniers a été grossie surtout par les réactions irritées que les propos du pape ont suscitées chez les gouvernements français, allemand, belge et espagnol, la Commission Européenne et des dirigeants de l’ONU et du FMI.
Mais, dans le cas de l’avortement de la petite brésilienne, un conflit au plus haut niveau de la hiérarchie catholique s’est ajouté à la polémique entre l’état et l’Eglise.
***
A propos du sida, l’Eglise a été accusée pour la énième fois d’en favoriser la diffusion en interdisant le préservatif.
Mais les faits disent qu’en Afrique les initiatives de lutte contre la propagation du sida sont dues pour près d’un tiers à des catholiques. Les préservatifs sont diffusés massivement par des gouvernements, organismes internationaux et ONG; on ne constate pas que les catholiques en empêchent la distribution et l’utilisation, notamment dans le cas d’époux dont l’un est porteur du virus. Mais tout responsable avisé sait qu’ils ne suffisent pas, comme le prouve la diffusion du sida dans les pays riches du Nord où les préservatifs sont à la disposition de tous. L’avis de l’Eglise, confirmé par l’expérience sur le terrain, est qu’à eux seuls les préservatifs ne freinent pas la promiscuité sexuelle, vraie cause de la diffusion du fléau; au contraire ils l’encouragent parfois en créant un sentiment de sécurité trompeur.
C’est pourquoi l’Eglise catholique agit surtout de deux façons contre le sida, comme Benoît XVI l’a rappelé dans sa réponse qui a lancé la polémique: à travers une « humanisation de la sexualité », invitant à limiter celle-ci à l’amour conjugal fidèle, et à travers les soins aux malades. Les enquêtes prouvent que quand l’emploi du préservatif est précédé par une formation au contrôle de la sexualité et par des soins adaptés et gratuits, les résultats sont réconfortants.
Rencontrant à Yaoundé des responsables de la lutte contre le sida puis des malades en traitement, Benoît XVI a comparé l’action de l’Eglise à celle de Simon de Cyrène, le paysan africain qui aida Jésus à porter la croix.
Cette image de proximité vis-à-vis de ceux qui souffrent amène tout droit au second conflit qui a éclaté, ces jours-ci, à propos de l’avortement d’une petite fille.
***
« Du côté de la fillette brésilienne »: c’est le titre, dans « L’Osservatore Romano » du 15 mars, d’une note en première page signée par l’archevêque Rino Fisichella, président de l’académie pontificale pour la vie et recteur de l’Université Pontificale du Latran.
L’autorité du signataire, l’emplacement du texte et plus encore son contenu font que l’article est sûrement l’un de ceux que la secrétairerie d’état du Vatican a contrôlés et autorisés.
L’article partait du cas d’une fillette brésilienne déjà fertile à 9 ans qui a été violée à plusieurs reprises par son jeune beau-père, s’est trouvée enceinte de jumeaux et que l’on a fait avorter au quatrième mois de grossesse.
Ce cas, a écrit Fisichella, « n’a été rendu public dans les journaux que parce que l’archevêque d’Olinda et Recife s’est empressé d’annoncer l’excommunication des médecins qui ont aidé à interrompre la grossesse ». Mais « avant de penser à l’excommunication », il fallait « avant tout défendre, embrasser, caresser » la fillette avec cette « humanité dont nous, hommes d’Eglise, devrions être des annonciateurs experts et des maîtres ». Mais « il n’en a pas été ainsi ».
L’attaque contre l’archevêque d’Olinda et Recife – diocèse qui fut celui de Helder Camara – ne pouvait pas être plus dure.
En effet les déclarations de l’archevêque sur l’excommunication des auteurs du double avortement ont aggravé le conflit déjà en cours depuis longtemps au Brésil entre l’Eglise et le gouvernement, la première engagée dans une grande campagne de défense de la vie naissante, le second orienté vers une libéralisation encore plus large de l’avortement.
A Rome, le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la congrégation des évêques, a pris la défense de l’archevêque d’Olinda et Recife dans une interview à « La Stampa ».
Au Brésil, la conférence des évêques a fait de même par une note diffusée le 13 mars et par des déclarations de son président, l’archevêque Geraldo Lyrio Rocha, et de son secrétaire, Dimas Lara.
Le nouvel archevêque de Rio de Janeiro, Orani João Tempesta, s’est aussi exprimé dans ce sens, notant entre autres que la mère de la fillette avait dit que « le seul endroit où elle s’était sentie non pas maltraitée mais respectée avait été le bureau de Caritas ».
Un soutien autorisé à ce qu’a fait l’Eglise brésilienne est même venu de France. L’évêque de Toulon, Dominique Rey, de retour du Brésil, a déclaré avoir vu de ses yeux « les nombreux témoignages de miséricorde vécue par les communautés chrétiennes qui ont entouré et accompagné la fillette et sa mère ».
Mais le Saint-Siège a réagi autrement. En publiant l’article de Fisichella dans « L’Osservatore Romano », il a montré que l’objectif d’aplanir le différend avec l’opinion laïque, le président Luiz Inácio Lula da Silva et son gouvernement passait avant la défense de l’Eglise brésilienne et de sa campagne « pro vie ».
Ce qui a eu pour résultat de transporter totalement le conflit à l’intérieur de la hiérarchie et, qui plus est, en ouvrant une controverse sur le jugement à porter sur l’avortement dans des cas semblables.
L’article de Fisichella, en effet, continuait ainsi:
« Du fait de son très jeune âge et de son état de santé précaire, la vie [de la fillette] était sérieusement mise en danger par la grossesse en cours. Que faire en pareil cas? Décision difficile pour le médecin et pour la loi morale elle-même. Des choix comme celui-là se présentent chaque jour […] et la conscience du médecin se retrouve seule avec elle-même face à l’obligation de décider ce qu’il y a de mieux à faire ».
En fin d’article, Fisichella applaudissait ceux qui « ont permis à la fillette de vivre ».
Il est vrai que, dans un autre passage, le président de l’académie pontificale pour la vie rappelait que « l’avortement provoqué a toujours été condamné par la loi morale comme un acte intrinsèquement mauvais et cet enseignement reste inchangé de nos jours ».
Mais les doutes exprimés précédemment restaient et donnaient sa tonalité à tout l’article. Des doutes visiblement en opposition avec la solidité granitique de ce passage du paragraphe 62 de l’encyclique « Evangelium Vitae » de Jean-Paul II:
« Aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi au monde ne pourra jamais rendre licite un acte qui est intrinsèquement illicite, parce que contraire à la Loi de Dieu, écrite dans le cœur de tout homme, discernable par la raison elle-même et proclamée par l’Eglise ».
***
Le 16 mars, le diocèse d’Olinda et Recife a répliqué à l’article de Fisichella paru dans « L’Osservatore Romano » par des « Eclaircissements » officiels, annoncés très visiblement sur la home page de son site web.
Rome n’a en aucune façon accusé réception. Pas même quand, le 21 mars, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, est revenu sur l’affaire.
Le père Lombardi était ce jour-là à Luanda, à l’occasion du voyage de Benoît XVI au Cameroun et en Angola.
La veille, parlant au corps diplomatique et se référant à l’article 14 du Protocole de Maputo sur la « santé maternelle et reproductive », le pape s’était exclamé sur un ton polémique:
« Combien est amère l’ironie de ceux qui promeuvent l’avortement au rang des soins de la santé des mamans! Combien est déconcertante la thèse de ceux qui prétendent que la suppression de la vie serait une question de santé reproductive! ».
Rencontrant les journalistes, le père Lombardi a exclu tout lien entre les propos du pape et l’affaire de la fillette brésilienne. Et il a continué ainsi:
« A ce sujet, ce qui compte, ce sont les propos de Mgr Rino Fisichella qui, dans ‘L’Osservatore Romano’ a déploré l’excommunication annoncée trop rapidement par l’archevêque de Recife. Aucun cas-limite ne doit masquer le vrai sens du discours du Saint-Père, qui se référait à quelque chose de très différent. […] Le pape n’a absolument pas parlé de l’avortement thérapeutique et n’a pas dit qu’il doit toujours être refusé ».
Il est frappant que, près d’une semaine après la diffusion des « Eclaircissements » du diocèse brésilien, le porte-parole officiel du Saint-Siège ait fait comme s’il les ignorait totalement, que ce soit en ce qui concerne la reconstruction des faits opposée ou les objections à caractère doctrinal et moral.