Le Parquet de Paris s’est opposé pour la troisième fois le 20 avril dernier à l’ouverture d’une information judiciaire sur les biens détenus par trois présidents africains en France, pour laquelle Transparency International, le réseau de juristes Sherpa et un citoyen gabonais font pression depuis plus de deux ans. Le Parquet de Paris explique que les plaignants qui dénoncent notamment des «détournements de fonds publics», n’ont aucune légitimité dans leur action dès lors qu’ils ne sont pas préjudiciables des faits reprochés.
Cette fois c’est la légitimité des plaignants qui a été remise en cause par le Parquet de Paris, qui a une nouvelle fois refusé l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les biens détenus par trois présidents d’Afrique centrale en France.
Le cabinet du Procureur du Parquet de Paris a annoncé le 20 avril dernier que la plainte déposée par les associations Transparency International, Sherpa et un citoyen gabonais, était toujours irrecevable.
Cette plainte avec constitution de partie civile vise le président gabonais Bongo Ondimba, congolais Sassou Nguesso et équato-guinéen Obiang Nguema avec des chefs d’accusation tels que le «recel de détournement de fonds publics», le «blanchiment», l’«abus de biens sociaux» et l’«abus de confiance».
Dans ses réquisitions d’irrecevabilité, le parquet considère que les plaignants n’ont aucune qualité pour agir en France et ne peuvent se prévaloir d’aucun préjudice.
Ce réquisitoire a été transmis la semaine dernière à la juge d’instruction financière Françoise Desset, qui prendra la décision finale d’ouvrir ou non une information judiciaire, décision pour laquelle elle n’est pas tenue par l’avis du parquet.
«Comme toute personne, les associations doivent justifier d’un préjudice personnel et direct pour être admises à se constituer partie civile», estime le Parquet dans ses réquisitions.
Transparence International France «ne saurait (…) être directement et spécialement touchée par les faits, eux-mêmes peu circonscrits, qu’elle dénonce, en l’espèce les détournements de fonds publics de trois Etats africains», poursuit le réquisitoire.
Concernant le ressortissant gabonais, «les faits de recel de détournement de fonds publics de l’Etat gabonais dénoncés par Grégory Ngbwa Mintsa, à supposer qu’ils soient établis, ne sont susceptibles de causer un préjudice direct qu’à cet Etat», estime enfin le Parquet.
L’avocat de Sherpa, maître William Bourdon, a précisé qu’il allait déposer à la juge d’instruction «une note complémentaire» en réplique au Parquet.
La position du parquet n’est pas une surprise puisqu’il a déjà classé sans suite deux premières plaintes dites «simples» sur les mêmes faits en mars 2007 et juillet 2008, avec un argumentaire juridique différent, évoquant seulement une «infraction insuffisamment caractérisée».
Enquête en France sur les biens de trois présidents africains
Par Reuters, publié le 05/05/2009 à 22:03 – mis à jour le 05/05/2009 à 22:39
PARIS – Contre l’avis du parquet, un juge d’instruction de Paris a décidé mardi d’ouvrir une information judiciaire pour « recel de détournement de fonds publics » concernant le patrimoine détenu en France par trois présidents africains de pays producteurs de pétrole, a-t-on appris mardi auprès du bureau du procureur.
Contre l’avis du parquet, Françoise Desset, la doyenne des juges d’instruction du pôle financier de Paris, a décidé d’ouvrir une information judiciaire pour « recel de détournement de fonds publics » concernant le patrimoine détenu en France par trois présidents africains de pays producteurs de pétrole et leurs proches: Omar Bongo, président du Gabon (à gauche), Teodoro Obiang, président de la Guinée équatoriale (au centre) et Denis Sassou-Nguesso, président du Congo-Brazzaville. (Reuters)
Procédure sans précédent, des poursuites sont donc susceptibles d’être déclenchées concernant les 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus en France par Omar Bongo, président du Gabon et ses proches, les 24 propriétés et 112 comptes bancaires du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou-Nguesso.
Le dossier concerne aussi les limousines achetées à Paris pour plus de 4 millions d’euros par le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, et ses proches.
Cette décision, rendue par la doyenne des juges du pôle financier de Paris Françoise Desset après une plainte de l’association Transparency France, devrait cependant faire l’objet d’un appel du parquet. Ce dernier demandait un refus d’informer, jugeant irrecevables les plaintes déposées.
Dans ce cas, la chambre de l’instruction devra trancher et dans l’attente de son arrêt, il n’y aurait pas d’investigations. L’avocat des plaignants, Me William Bourdon, a cependant salué la décision.
« C’est une décision sans précédent parce que c’est la première fois qu’une enquête judiciaire est ouverte concernant le détournement d’argent public imputé à des chefs d’Etats en exercice. Est désormais possible l’identification et la poursuite de ceux qui, inlassablement et sournoisement, appauvrissent leurs pays », a-t-il dit à Reuters.
A ses yeux, la décision met en lumière l’inanité du projet de l’Elysée de supprimer le juge d’instruction. « Si le juge d’instruction était supprimé dans ce pays, une telle enquête n’aurait jamais eu une chance d’aboutir. L’appel est probable et le parquet devra alors assumer d’apparaître comme ce qu’il est, le bras armé de la raison d’Etat », a-t-il ajouté.
ENQUÊTE DE POLICE EN 2007
La juge a accepté la plainte déposée en décembre par l’association Transparency International France, qui a selon elle le droit juridiquement d’agir, mais non celle d’un citoyen gabonais, Grégory Gbwa Mintsa, qu’elle juge irrecevable.
Les biens ont déjà été minutieusement inventoriés par la police financière parisienne en 2007 dans une enquête préliminaire. Mais le procureur avait déjà classé sans suite cette première procédure, estimant alors que l’infraction n’était « pas suffisamment caractérisée ».
La procédure se déroule dans un climat tendu en Afrique, où deux Congolais qui voulaient porter plainte ont renoncé en expliquant avoir reçu des menaces. En janvier, Grégory Gbwa Mintsa a été emprisonné durant douze jours dans son pays.
Me William Bourdon assure qu’un avocat de Paris se disant mandaté par le Gabon est venu lui proposer d’ouvrir un compte bancaire en Suisse bien garni pour son association, Sherpa, associée à la procédure.
Les immeubles cossus du trésor africain sont devenus encombrants. Un hôtel particulier acheté près des Champs-Elysées pour 18,8 millions d’euros par l’épouse d’Omar Bongo, fille de Denis Sassou-Nguesso, a fait l’objet en 2007 d’un simulacre de « saisie » publique par des militants anticorruption.
Les fonds ne peuvent venir, pour les plaignants, des salaires des présidents, mais ont forcément, à leurs yeux, été acquis avec de l’argent public détourné. Ils soulignent que le procès Elf à Paris en 2003 a démontré que les revenus tirés de l' »or noir » profitaient personnellement aux chefs d’Etats en question.
Ces derniers nient toute malversation. Mais Omar Bongo n’a pas engagé à ce jour les poursuites en diffamation qu’annonçait son avocat, Me Patrick Maisonneuve. Denis Sassou-Nguesso a assuré qu’il ne possédait en propre que deux logements en France. Le reste, détenu par ses enfants, ne le regarde pas, a-t-il au Figaro en mars.