Rebondissement dans l’affaire dite des « biens mal acquis » des chefs d’Etat du Gabonais, Omar Odimba Bongo, du Congo, Denis Sassou-Nguesso, et de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema. [L’ONG Transparency International, spécialisée dans la lutte contre la corruption, a déposé plainte le 2 décembre, à l’encontre des trois chefs d’Etat, qui auraient acquis des biens mobiliers et immobiliers grâce à des détournements de fonds publics.] Alors que, jusque-là, l’examen du dossier « butait » sur le refus du parquet de Paris d’ouvrir une information judiciaire, cette fois-ci, les lignes pourraient enfin bouger.
Et pour cause : la plainte déposée par deux associations est à présent recevable, comme l’a annoncé la doyenne des juges du pôle financier de Paris [Françoise Desset]. Mais, avant que la justice puisse ouvrir une information judiciaire, c’est-à-dire enquêter, il va évidemment falloir attendre de savoir si le procureur, qui a cinq jours pour se décider, va faire appel ou non. [Le parquet a fait appel le 7 mai.] On imagine déjà le sommeil des trois chefs d’Etat africains épinglés, bien tourmenté ! Quelle sera leur réaction, maintenant que l’affaire est relancée ? Quelle sera en particulier celle du président Omar Bongo, qui s’est fait fort, dans le passé, de manifester sa sainte colère à l’égard de curieux qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, qui semblent oublier que le Gabon est, après tout, un Etat… souverain ? Ce nouvel épisode fera-t-il à nouveau monter la tension entre Libreville [la capitale du Gabon] et Paris ? Le Congolais Denis Sassou-Nguesso prendra-t-il la mesure de la profonde séparation existant entre la justice et l’exécutif français ? Une séparation des pouvoirs telle que même les assurances d’un ami nommé Nicolas Sarkozy ne peuvent entraver la mise en marche de l’appareil judiciaire.
Les trois chefs d’Etat cités dans l’affaire ont tout intérêt à mettre un terme à toute cette campagne de dénigrement et de désinformation orchestrée depuis Paris (comme le laissait entendre le palais présidentiel de Libreville). D’autant qu’être toujours cités par les médias internationaux pour de basses et sombres affaires de détournement massif d’argent n’arrange pas leur image, encore moins celle de l’Afrique. Assurément, il faut qu’on en finisse pour de bon ! Et la question qui vient rapidement à l’esprit est : comment ?
Quand bien même cela peut paraître provocateur, voire cynique, on peut demander aux chefs d’Etat africains mis en cause de prier pour que la justice française se mette enfin et résolument au travail et qu’elle aille jusqu’au bout de ses investigations. C’est la seule façon pour eux de se réhabiliter aux yeux de leur peuple et au-delà. Si tant est qu’ils n’aient rien à se reprocher. Ces chefs d’Etat seraient mal inspirés de tenter d’exercer une quelconque pression sur la justice française, déjà connue pour sa relative indépendance, ou de chercher à rabattre le caquet à ceux qui continuent de crier au vol. Cela ne ferait qu’alimenter les soupçons qui pèsent déjà sur eux.
Reste à savoir quelle différence on fait, sur le continent noir, entre l’argent public et la tirelire du président. En Occident et en Afrique, deux conceptions du pouvoir s’entrechoquent, deux modes de gestion des affaires de l’Etat s’opposent parfois. Sur le continent noir, en général, un chef d’Etat en exercice doit être considéré comme tel, et ce serait par conséquent commettre un crime de “lèse-président” que d’oser “fouiller” dans ses affaires et lui demander des comptes. En revanche, en Occident, la transparence et la droiture sont des vertus cardinales. Mais nombre de présidents africains sont encore loin d’intégrer cette conception occidentale du pouvoir dans leur gestion de la chose publique. Quoi de plus normal, alors, que de constater des brouilles entre contribuables du Nord – qui ont raison de chercher à connaître comment leurs sous sont dépensés – et chefs d’Etat africains.