Je n’ai pas fermé l’œil dans la nuit de mardi dernier devant le concert des hommages rendus au président du Gabon. De la part des autres présidents africains – toujours en exercice – et de la France qui l’a imposé au peuple gabonais pendant plus de 40 ans, on comprend. Comme dit Eva Joly : “ Bongo a servi la France, pas ses citoyens ”. Mais des autres chefs d’Etats, Etats-Unis (!) Nations-Unies, on n’a rien compris. Même Hugo Chavez y a été de son couplet ! Combien de personnes ont le courage comme ce Gabonais sur Stv2 de dire que la mort du président Bongo, c’est une délivrance et pour son pays et pour le continent africain tout entier ? Rouge est le sang des Noirs.
Hitler, ami de la France
Pourtant en 2001, Noël Mamère apprenant l’assassinat de Joseph Kabila nous a répondu au téléphone que : “ De ce côté-là de l’Atlantique, ils pensaient que c’est une bonne chose chaque fois que le monde se débarrasse d’un “ dictateur ” ”. Bongo n’a pas été juste un dictateur. En écoutant tous ces griots chanter ses louanges, une lecture me vient à l’esprit : Boris Vian publie “ J’irai cracher sur vos tombes ” en 1946 sous le pseudonyme de Vernon Sullivan. Le roman devient très vite un best-seller mais est jugé tellement subversif qu’il est interdit en 1949. Il faut dire qu’il est déconseillé aux âmes sensibles : sexe, pédophilie, violence, meurtres (les derniers chapitres sont particulièrement atroces), le cocktail est explosif et ne laisse pas le lecteur indemne. J’ irai cracher sur vos tombes est un roman d’une noirceur abyssale, cru et sans concession, qui s’articule autour du récit d’une vengeance qui fait froid dans le dos ”(1). Toute la question à propos de la vie et de la mort du Gabonais est de savoir qui se venge de qui ?
Voilà un homme qui en voulait probablement à la terre entière d’être si mal loti par la nature. Un mettre trente les bras levés parmi les “ grands ” de ce monde, pire, il n’avait dans aucun domaine le 10è du génie d’un Napoléon. Et pourtant tous les médias sont mis aujourd’hui dans l’obligation de l’encenser plus ou moins grossièrement ! C’est cette image que les Français glorifient depuis toujours : celle d’une Afrique monstrueuse ! Dès lors que vous êtes un Africain “ normal ”, les Blancs vous détestent et décident que vous n’êtes pas représentatif. De là à sauter le pas en politique…L’Afrique ne doit être représentée que par l’anormalité, pour tout dire, l’animalité. Dès qu’il y a quelque chose de bon, de bien sur cette terre, ça ne doit pas être Africain. Mais qu’est-ce qu’on leur a fait pour mériter une haine si ontologique ?
Omar Bongo n’était pas juste un dictateur mais un égocrate comme tous ceux que la France impose aux pays africains depuis 50 ans. Quand nous dénonçons leurs crimes (2) contre nos peuples, cela ne choque personne. Monsieur Fillon, Pm des Français parle de caricature, de préjugés, bref c’est nous qui fabulons. Mais quand une député européenne de la France estime que “ si Bongo a bien servi les intérêts de la France, notamment avec la manne pétrolière, il n’avait pas le souci de ses concitoyens, ” alors il y a comme une onde de honte qui passe sur la glorieuse France .Qu’est-ce qui aurait pu pousser d’honorables résistants à déclarer que Hitler était un ami de la France ? Si non la conscience qu’il y a encore des témoins de cette tragique histoire de l’Afrique, des gens qui pourraient bien un jour confondre certains bénéficiaires des largesses des présidents africains. Tous ces gens qui ont bâti leur fortune, leur pouvoir et souvent même leur puissance sur le sang des Africains ! A chacun ses amis : Bongo n’était pas des nôtres.
Bongo, un verrou sur l’Afrique
Quand le racisme s’allie à la haine de soi, cela donne non pas le style glacial et concis, de Lee Anderson, le héros de Boris Vian mais un personnage folklorique à l’image du “ président africain ” créé de toutes pièces par les Occidentaux qui ont monté une machination froidement calculée. Ils ne lésinent pas sur nos moyens pour arriver à leurs fins : faire main basse sur les richesses africaines et bloquer définitivement le développement économique et humain de tout un Continent. Voilà pourquoi “ l’ambivalence du personnage met mal à l’aise, il inspire à la fois dégoût et pitié. Cruel, manipulateur, séducteur et pervers, on comprend néanmoins les raisons de sa rage lorsque son passé brisé par le racisme est évoqué. Car “ J’irai cracher sur vos tombes ” est avant tout une violente dénonciation de l’intolérance et de la ségrégation raciale. L’intrigue repose sur la couleur de la peau de Lee : il a du sang noir, mais sa peau claire et ses cheveux blonds lui permettent de s’immiscer au sein de la bourgeoisie blanche et de perpétrer sa vengeance de la façon la plus horrible qui soit. Aux grands maux, les grands remèdes : Boris Vian n’hésite pas à choquer le lecteur pour mieux convaincre ”(3). Voilà pourquoi le discours que la France met actuellement dans la bouche de certains Africains nous choque et en même temps nous convainc que le verrou vient de sauter…
Avec un Pib égal à celui du Portugal, il faut que tous les Africains sachent que Bongo a construit cinq kilomètres de routes par an dans son pays ! Qu’il laisse le taux de mortalité infantile parmi les plus élevés au monde ! Que “ la manne pétrolière n’a pas profité aux Gabonais : elle nous a profité, ” dit Eva Joly presqu’en s’excusant ! Qu’il a institutionnalisé l’homosexualité d’Etat au Gabon et que le peu d’enfants nés sous son règne dans son pays, lui sont souvent attribués. Qui ne connaît des histoires folles sur ses mœurs sexuelles et les fameuses montres de Bongo…Il marquait au fer rouge tout ce qu’il touchait, comme du bétail. Il y a quelques années, ne s’est-il pas fait livrer des mannequins blanches à domicile alors que l’on soupçonnait déjà qu’il ne mourrait pas d’un banal cancer, de quoi déjà ? Combien d’Africains, combien de Gabonais savent à quel prix ce scandale fût couvert…par ses amis français !
J’écoutais ce matin encore sur une des télévisions financées probablement par Bongo, une spécialiste expliquer que la plupart des personnes qui ont subi des violences (sexuelles) dans leur enfance en arrivent souvent à des comportements d’autodestruction qui relève de cette haine de soi. Et parmi ces comportements, il y a la prostitution. Sans vouloir faire de la psychanalyse à la petite semaine, il faut peut-être se dire que si tant de gens en arrivent à regretter Bongo, si tant de d’honorables Français vont aller pleurer sur sa tombe le 18 Juin (!!!), c’est au-delà d’une “ grande dette ” de la France à l’ Afrique. Ils vont faire le déplacement pour pleurer sur leur misère personnelle. Et l’autre qui parlait “ d’amour et de paix ” à propos de Bongo, il n’a certainement pas lu Tolstoï…
Entre Barak Obama et Ben Laden
“ Ce livre est terrible, parfois même choquant, et à la fois, il nous fascine, on continue à le lire avec un grand plaisir. Boris Vian a la faculté de nous emporter dans son roman, et nous fait passez des moments forts à chaque ligne tout aussi agréable que malheureux . On prend le parti d’un assassin… C’est fou ! C’est Boris Vian ! ” Omar Bongo ne fut ni un Sage, ni un grand président. J’ai entendu des commentaires incroyables : que Bongo aurait préparé sa succession ! La grosse blague. Que la passation de pouvoir s’est faite selon la Constitution ! Il y aurait donc une Constitution au Gabon ? Que l’Opposition gabonaise (comme celle du Cameroun, on connaît la chanson !) ne serait qu’un ectoplasme ! Heureusement un Gabonais a rassuré les invités de Thierry Ngongang au moins sur ce point …
A notre connaissance, le Mouvement “ Bdp ”(4) existe depuis bien des années et il n’a pas dit son premier mot. En bons Bantous, on nous conseille de laisser passer le deuil. On aurait souhaité que cette terre du Gabon qu’il a tant maudite, allant jusqu’à traiter son peuple de “ chiens ”(5) lui soit épargnée et que comme d’autres de ses compères, sa dépouille reste en terre étrangère et pourquoi pas au Panthéon ou du moins au Père Lachaise pour services rendus. Cela aurait été la seule façon honorable de ne pas continuer à souiller la terre de nos ancêtres. Malheureusement à ce jour, l’Afrique n’a pu produire que Barak Obama, trop gentil, le président tout sourire comme les Blancs les aiment. Si on me demandait mon avis, je dirais comme l’ami Shanda (6) “ une si grande honte, sagesse et puissance de pacotille, des maladies douteuses, des morts que l’on cache, des mythes de succession dans la stabilité : un discours pour nègres. ” Attendons voir, un Ben Laden peut en cacher un autre. Si non, j’irai cracher sur leurs tombes.
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mle_otabela@hotmail.com
notes
1. Cette critique est inspirée du commentaire d’une internaute sur le net.
2. Eteki Otabela M.L. : Le totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun , l’ Harmattan Paris 2001; revoir notre commentaire dans notre livre à sortir chez l’ Harmattan : une religieuse occidentale en mission au Gabon nous assurait que le totalitarisme au Gabon est bien pire que celui que nous décrivons au Cameroun…
3. idem1
4. le Mouvement “ Bongo doit partir ”, bdp a été le code discret entre Gabonais sur le Net…
5. Dans une des interviews de Bongo passée à la télé dans l’actuel concert des louages : le président interviewé sur les Gabonais qui jugent sa politique, répond : “ les Chiens aboient la caravane passe ” !
6. Cf. Le papier de Shanda Tonme ds Le Messager du mardi 9 Juin : De Mobutu à Bongo et la suite…