Un omniprésident fantôme. Plus d’une semaine après son décès dans une clinique de Barcelone en Espagne, Omar Bongo Ondimba (alias «OBO») est partout dans Libreville. Il arbore un air martial sur les affiches géantes placardées sur les avenues de la capitale du Gabon («Gloire éternelle à notre regretté président», dit l’une d’elle). A la télévision, toutes les chaînes locales retransmettent en direct, et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le défilé ininterrompu des Gabonais devant son cercueil drapé des couleurs nationales, installé dans une salle en marbre de l’immense palais présidentiel. Sur un clip qui passe en boucle, une jeune femme chante : «Ne pleurez plus, il est vivant !» «Papa Bongo», comme l’appelaient ses concitoyens, est aussi dans toutes les conversations : qui va lui succéder, au terme d’un règne de plus de quarante ans ?
Solennel.
Un mélange d’inquiétude et d’espoir de changement étreint la population. Officiellement, l’heure est encore au deuil dans l’ex-colonie française, même si dans la coulisse les prétendants au fauteuil présidentiel se préparent (lire page suivante). Aujourd’hui, les invités étrangers – parmi lesquels une dizaine de présidents africains, le président français, Nicolas Sarkozy, et son prédécesseur, Jacques Chirac – assisteront à un hommage solennel rendu au défunt président, suivi d’un défilé militaire, avant que la dépouille de OBO ne soit inhumée, jeudi, dans sa région natale, près de Franceville (sud-est), dans la plus stricte intimité. La mise en terre, dit-on, devrait s’accompagner de rites funéraires animistes, loin des regards extérieurs.
Devant le cercueil encadré par des officiers, c’est tout le pays qui défile depuis plusieurs jours : des familles venues avec leurs enfants, des hommes endimanchés, tout ce que le Gabon compte d’associations, de syndicats et d’organisations en tous genres. «Beaucoup de ceux qui sont venus se recueillir recevront un petit pécule, un pagne et un repas gratuit», persifle un opposant. Un autre ajoute : «Ils viennent aussi pour voir à quoi ressemble le palais présidentiel.» Mais nombre d’entre eux pleurent aussi le «papa» bienveillant qui, répètent-ils, a garanti «la paix» durant son règne. Comme si, sans lui, le pays était désormais en danger…
«Hurlé de joie».
De fait, un calme fébrile règne à Libreville. La nomination de la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé, chargée d’assurer l’intérim le temps d’organiser une nouvelle élection, conformément à la Constitution, a rassuré les Gabonais, ainsi que les chancelleries. Mais le pays est divisé. Dans la capitale, où les langues se délient difficilement, un professeur de droit, en grève depuis un mois, assure : «Lorsque la nouvelle du décès de Bongo a été connue, les étudiants du campus Omar Bongo ont hurlé de joie.» On est bien loin de l’image véhiculée par une télévision cadenassée : celle d’un peuple rassemblé dans la douleur.
A une cinquantaine de kilomètres de la capitale, dans la petite ville de Ntoum, Bertrand Bienaimé lance : «Regardez autour de vous ! Les gens boivent, ils ne sont pas tristes, ils ne déplorent rien.» Cet instituteur de 35 ans est lui aussi en grève depuis plusieurs mois, luttant pour obtenir des conditions d’enseignement décentes. Dans son école, construite à l’époque de «la coloniale», il montre une salle de classe vide et décrépie, parsemée de quelques bancs et de tables en piteux état. Puis il ouvre la porte de son logement abrité dans une baraque en bois, située à deux pas : un deux pièces cuisine où s’entassent une dizaine de personnes.
Mais confrontés à cette situation sociale extrêmement tendue, tous dénoncent moins le vieux patriarche que son clan, accusé de s’être enrichi de manière inconsidérée. «Je l’ai dit au Président quand je l’ai vu en novembre : trop, c’est trop ! Des gamins meurent sans soin dans les hôpitaux à quelques centaines de mètres de votre palais», raconte Gregory Ngbwa Mintsa. Ce dernier, qui s’est associé à une plainte déposée en France contre trois chefs d’Etat africains accusés de détournement de fonds, dont Omar Bongo, avait été emprisonné durant quelques jours en janvier. Avant d’être libéré suite à l’intervention de «papa Bongo».