Tanguy Berthemet, envoyé spécial à Libreville – Trois vainqueurs pour une élection. Alors qu’aucun résultat définitif n’a été publié, les trois candidats favoris pour l’élection présidentielle gabonaise revendiquent lundi leur victoire pour succéder à Bongo, décédé en juin après 41 ans au pouvoir.Quelques heures après la clôture du scrutin, qui s’est déroulé sans incident majeur, l’opposant historique Pierre Mamboundou a ainsi évoqué une «victoire finale». Ali Bongo, fils du défunt président Omar Bongo, s’est dit lundi «largement gagnant».L’ancien ministre de l’Intérieur André Mba Obame, qui a bénéficié du désistement de cinq candidats en sa faveur, a lui aussi affirmé qu’il serait «proclamé président de la République» sur la foi de résultats recueillis par son équipe de campagne. La France, ex-puissance coloniale, s’est félicitée lundi du «bon déroulement» du scrutin présidentiel au Gabon et a déclaré faire confiance aux institutions gabonaises pour que le processus se poursuive «dans le calme». Les résultats complets devraient être annoncés mercredi.
PORTRAIT – Sur une vaste scène, dans la chaleur d’une fin d’après-midi gabonaise, Ali Bongo attaque son dernier discours de campagne. Polo blanc et cheveux comme toujours soigneusement gominés, le fils du président défunt Omar Bongo, qui brigue sa succession, arpente la scène visiblement à l’aise, haranguant la foule, se risquant à une ou deux blagues. Puis il lance encore une promesse sur l’avenir radieux qui attend le Gabon. Sur le football cette fois. Avec lui, il en est certain, les Panthères, l’équipe nationale, se rendront à la prochaine Coupe du monde. Les supporteurs, le plus souvent venus de quartiers populeux dans l’espoir de glaner les gadgets offerts pour l’occasion, applaudissent poliment.
La campagne éclair de ces deux dernières semaines n’a que partiellement levé le mystère qui entoure Ali. Jusqu’alors, «M. Fils» n’était pour les Gabonais qu’un nom. Une silhouette mafflue et maladroite, engoncée dans un costume sombre, aperçue lors des funérailles d’Omar Bongo. Un visage austère, vu à la télévision pour annoncer la mort du président, appeler au calme. Et, déjà, se poser en successeur.
Une jeunesse dorée
Mais il en faudra plus pour faire de Bongo junior un président accepté par la population rétive à une succession «monarchique». À 50 ans, Ali n’a pas le charisme hâbleur de son géniteur, pas plus que le charme éruptif de sa mère, la chanteuse Patience Dabany. Son français parfait cache mal son incapacité à parler le téké ou une autre langue locale et le gouffre qui le sépare du Gabon des mapanes, les bidonvilles de la capitale. Malgré tout, Ali se rêve depuis longtemps en président. Que son père ne lui ait jamais donné l’onction officielle ne semble pas l’avoir gêné. Né en 1959 au Congo-Brazzaville, alors que son père y était, de son propre aveu, «petit espion pour la France», Ali a connu la jeunesse dorée de la nomenklatura gabonaise. Des écoles huppées en France – une pension, le lycée Sainte-Croix de Neuilly – et des études de droit à la Sorbonne. À son retour au pays, le jeune homme s’illustre surtout dans les night-clubs et sur les scènes musicales. Il enregistre même quelques disques : La Nuit, Bongo, l’ami de Giscard…
C’est précisément cet «ami de Giscard» qui mettra fin à sa bohème d’enfant gâté. En 1982, le fils est appelé au cabinet présidentiel et, comme son père avant lui, se convertit à l’islam. Alain-Bernard Bongo devient Ali Ben Bongo. «Ça a provoqué une métamorphose», explique le politologue Jean-François Obiang. «J’ai pris goût à la politique», affirme Ali Bongo. Il entre au Parti démocratique du Gabon (PDG), alors parti unique, pour faire ses armes. Avec les jeunes Turcs, il milite pour l’ouverture au multipartisme. En 1990, le pays explose. La France envoie ses paras rétablir l’ordre et le paysage politique se diversifie. Papa Bongo propulse son rejeton, âgé d’à peine 30 ans, ministre des Affaires étrangères. La greffe de celui qu’on surnomme «Baby Zeus» ne passe pas. Il doit démissionner. Bongo junior devra attendre 1999 pour retrouver un maroquin, celui de la Défense, un poste clef qu’il ne quittera plus.
La face répressive du pouvoir
Dans l’ombre de ce père tout-puissant, il ronge son frein et manœuvre. Il écarte d’abord Idriss Ngari, son puissant prédécesseur à la Défense. Puis il choisit des chefs des armées acquis à sa cause pour se préserver dans le futur, place des pions sûrs un peu partout au sein du parti. «Ali n’est pas pour autant un homme de réseau. Il n’en a aucun», assure un membre du PDG. Pour ses adversaires, cette relative solitude est le fruit de la brutalité qu’on lui prête. Aux côtés André Mba Obame, «le frère», compère de toujours, il va même finir par incarner la face répressive du pouvoir.
À la mort d’Omar Bongo, en juin dernier, sa désignation comme candidat du PDG n’est donc plus qu’une formalité. Maître du parti, il devient de fait le nouveau dirigeant du pays. «La présidente par intérim ne fait presque que de la figuration», affirme un ministre. Dès lors, la famille tait ses querelles. Pascaline, sa demi-sœur, grande argentière du régime avec laquelle il entretient des rapports difficiles, se rallie. Bien des caciques suivent. Tous font bloc autour du nom de Bongo. André, lui, se cabre : le choc des ambitions va entraîner la brouille avec Mba Obame, devenu son premier adversaire lors de l’élection présidentielle.
Seulement, le nom de Bongo est aussi un handicap sérieux. Après quarante et un ans de règne d’Omar, il peut susciter un rejet épidermique des Gabonais. Beaucoup soupçonnent Ali de ne chercher qu’à préserver les énormes intérêts d’une classe politique prête à tout pour assurer la pérennité du système qui a fait sa richesse, quitte à maintenir le Gabon dans le sous-développement. Une accusation «ridicule et stupide», dit Ali Bongo.
Une réponse un peu courte pour un homme que la vox populi dit immensément riche. Sa vie à Libreville n’est certes pas ostentatoire. Il sort peu et sa femme, Sylvia Valentin, une Française épousée en 2000, est discrète. Mais une enquête en France a révélé qu’Ali possède à Paris un appartement avenue Foch et deux voitures de sports. Dès lors, la rumeur se fait certitude pour la rue. Tout comme celle qui veut qu’Ali soit en fait un orphelin du Biafra adopté par Omar Bongo.
Pour diriger, il peut compter sur l’aide des pays du Golfe, notamment le Koweït, sensibles à sa présence à la tête du Conseil national islamique. On lui prête aussi de puissants appuis en France. Sa réception à l’Élysée par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant en 2008 a fait l’effet d’un adoubement. En campagne, Ali Bongo a soigneusement gommé toutes les références à ces soutiens étrangers et même à ceux gagnés dans l’appareil. Le candidat n’a revendiqué que les leçons apprises auprès de son père. Et du bout des lèvres. Après cinq décennies d’attente, «M. Fils» rêve maintenant de marcher seul.