Ali, fils d’Omar Bongo, était donné hier grand favori du scrutin présidentiel, tandis que surgissaient de fortes présomptions de fraudes.
Libreville (Gabon), envoyé spécial.
Accoudé à la balustrade, au premier étage d’un des bâtiments de l’école Martine-Oulabou, à Libreville, Jean-Aristide sent la moutarde lui monter au nez. Il est là depuis 7 heures du matin pour accomplir son devoir électoral. Il se met à vociférer : « Il est 11 heures et le bureau de vote n’est toujours pas ouvert. Ils vont encore frauder. Ils veulent encore quarante ans de pouvoir pour mourir à quatre-vingt-dix ans ». Autour de lui, tout le monde proteste. Les esprits s’échauffent. Et pour cause. Ce bureau du 2e arrondissement de la capitale est connu pour être un centre où les résultats sont manipulés par le parti au pouvoir. Pourtant, l’affluence constatée hier, à l’occasion de l’élection présidentielle, montre que les Gabonais veulent tourner une page de leur histoire. À l’instar de Guy-Patrick, la quarantaine. En 1993, au moment de la première élection pluraliste au Gabon, il s’était rendu aux urnes. « Quand j’ai vu le bordel que c’était (Paul Mba Abessole a vu sa victoire volée à Bongo – NDLR) j’ai arrêté. Pourquoi voter si mon bulletin n’est pas pris en considération ». Hier, il s’est déplacé. « Là, on a une occasion de changer les choses. Soit ça se passe maintenant, soit ça ne se passera plus du tout », craint-il. Il n’est pas vraiment optimiste au vu des multiples incidents qui ont émaillé le scrutin.
À l’école Sainte-Marie, en fin de matinée, on frise l’émeute. Les présidents des bureaux de vote, qui devaient assurer l’ouverture et sceller les urnes, ne se sont pas présentés. Des personnes les remplacent au grand mécontentement des électeurs qui leur demandent les justificatifs. « Où est ton mandant ? » demande une femme avec colère à celui qui explique, penaud, qu’on lui a simplement téléphoné quelques heures auparavant pour qu’il vienne. Au centre Domi, c’est presque l’inverse. La présidente, Ntsame Anne-Marie, ne s’en laisse pas conter et refuse de démarrer les opérations électorales tant que les représentants de la Cenap (la commission électorale) ne viennent expliquer pourquoi les urnes ne sont pas « codifiées », c’est-à-dire portant un numéro dûment enregistré. « C’est une élection capitale », explique-telle. « Qui nous dit qu’ils ne vont pas remplacer les urnes ? Les vrais résultats qui sortent d’ici ne seront pas ceux qui seront proclamés. »
Les résultats officiels ne seront proclamés que dans les prochains jours même si la victoire d’Ali Bongo Ondimba, candidat du Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir et fils du défunt président, semble assez probable. Tout au long de la campagne, le PDG a montré qu’il était une formidable machine, dépensant des milliards de francs CFA, inondant le pays d’affiches, multipliant les rassemblements, distribuant tee-shirts et casquettes à l’effigie d’Ali. Celui-ci doit se faire un prénom pour reléguer son nom au second plan. Car le système Bongo est associé à la corruption, au pillage des richesses et à la Françafrique. Ici, le kongossa (la rumeur) rappelle qu’Ali a longtemps vécu en France. Pas n’importe où : à Neuilly dont le maire était un certain Nicolas Sarkozy, qui l’aurait même marié. Devenu président, Sarkozy n’a pas oublié le Gabon ni Ali. On raconte que la fille d’Omar Bongo, Pascaline, véritable successeur politique de son père (c’est elle qui organise tout), sachant qu’une femme ne pouvait être élue à la présidence, a voulu imposer son mari contre son frère. L’intervention de l’Elysée aurait tranché le différent au profit d’Ali. Autre marque d’affection, aucun membre de l’Union européenne n’a fait le déplacement pour contrôler le scrutin, alors même que l’UE était présente pour l’élection sud-africaine.
Conscient du mécontentement qui règne dans le pays, Ali a pris ses distances – en tout cas en parole – avec le système Bongo, promettant sans rire que « la corruption sera maintenant sanctionnée » et que « la richesse du pays sera partagée équitablement ». Des promesses dont doutent ses adversaires. L’opposition à Ali, qui s’est d’abord présentée en ordre dispersé, a tenté de se regrouper. Certains candidats, comme l’ancien premier ministre Jean Eyeghe Ndong et le président du Rassemblement pour le Gabon (RPG), Paul Mba Abessole, ont retiré leur candidature au profit d’André Mba Obame, qui, il y a deux mois, était encore le ministre de l’Intérieur de Bongo ! Le RPG a voulu favoriser une union du type « Tout sauf Ali ». Il n’est pas certain que ce montage de dernière minute ait été suffisant pour renverser la vapeur. Outre le kongossa qui explique que Pascaline aurait versé 27 milliards de francs CFA à Mba Obame, d’autres observateurs plus sérieux et proches du PDG, ne cachent pas qu’il ne s’agit que d’un montage visant à installer une opposition de façade en la personne de l’ancien ministre de l’Intérieur. Dans cet imbroglio politique, la représentation ethnique revient, lancinante, montant les Fang contre les Punu, les Myéné et autres. La seule unité existant aujourd’hui au Gabon est celle réalisée autour de l’équipe nationale de football. Les Panthères doivent affronter, samedi, les Lions du Cameroun. Une rencontre qui déterminera la qualification pour la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Mais qui sera dans la tribune présidentielle ?
Pierre Barbancey