Par Vincent Hugeux – Tensions, émeutes: le fils d’Omar Bongo a été « élu » dans la douleur. Voici ce qu’il disait, à la fin de 2005, de son parcours et de l’urgence de changement…
Proclamé, le 3 septembre, vainqueur du scrutin présidentiel contesté du 30 août -trois morts au moins à Port-Gentil, capitale pétrolière et théâtre d’émeutes et de pillages- Ali Bongo songe à la succession depuis des lustres.
Le 12 novembre 2005, tandis que la campagne présidentielle -la dernière du défunt Omar Bongo- bat son plein, son fils aîné reçoit l’envoyé spécial de L’Express dans le salon, orné de photos de New York signées Andreas Feininger, de sa villa cossue de la Sablière, fief librevillois de la nomenklatura gabonaise. Alors ministre de la Défense, « Baby Zeus » anime au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), miné par la division, le clan des rénovateurs. Au gré d’un échange de plus de deux heures, l’héritier livre ses vérités de l’époque, alternant langue de bois et accès de franchise. Morceaux choisis.
Trajectoire
« Moi, je fais de la politique depuis 1984. J’ai gagné mes galons sur le terrain. Ma place, je l’ai conquise. Je ne la dois pas au népotisme. Nos opposants peuvent dire cela de certains de mes frères et soeurs, pas de moi. J’ai fait mes classes, j’ai pris des coups, j’en ai même pris plein la figure. N’oubliez pas qu’on a modifié la Constitution pour me virer [allusion à la réforme imposée en 1991 par les caciques du PDG, fixant à 40 ans l’âge minimal pour exercer une fonction ministérielle, ce qui contraignit Ali Bongo à renoncer au portefeuille des Affaires étrangères]. En ce temps-là, mon père ne s’était pas opposé à cette modification, car il redoutait qu’on l’accuse de protéger son fils. Zacharie Myboto [ex-baron du PDG en rupture de ban, candidat malheureux en 2005 et 2009], qui se considérait comme le dauphin naturel, a demandé ma tête au président. Après mon retour aux affaires, à la Défense, en 1999, il a compris que le chef de l’Etat m’avait choisi. »
Ambition
« La population m’a vu grandir. Je suis un Gabonais comme les autres. Pourquoi serais-je frappé d’inéligibilité du fait de mon patronyme? Moi je peux tourner dans les quartiers sans sécurité au volant de ma belle voiture. Je l’ai fait à bord d’une décapotable avec Mohammed VI [l’actuel roi du Maroc]. Je ne suis pas perçu comme le fils d’un tyran. La vraie question, la voici: Ali Bongo en a-t-il vraiment envie? Je l’ignore. Je connais la scène et les coulisses du théâtre politique. Et je ne sais pas si j’ai envie des histoires de famille, des trahisons et des injures. Tout ça fait réfléchir. Si j’y pense trop, je ne ferai plus mon job. Le peuple et le président décideront. Mon père n’était pas un putschiste, moi non plus. Dieu lui a donné la santé. Et l’on n’a jamais parlé succession ensemble. Si le sujet n’est plus tabou, il n’est pas davantage à l’ordre du jour. Une certitude: ce n’est pas à Paris ou à Washington que ça se décidera. Cette époque-là est révolue. »
Opposant
[Candidat en 1998, 2005 et 2009, Pierre Mamboundou, l’opposant historique d’ethnie punu revendique la victoire et dénonce, tout comme le fang André Mba Obame, ancien ministre de l’Intérieur et ex-ami intime d’Ali, un « coup d’Etat électoral ».]
« Mamboundou fonde son combat sur une base ethnique. C’est terrible. On décèle chez lui un côté putschiste et un peu de Laurent Gbagbo [le président ivoirien]. Au fond, il veut rester leader de l’opposition. Il est plus crédible dans ce rôle. »
Héritage
« Il faut le changement tout de suite. Si le pouvoir ne l’impose pas, la rue s’en chargera. Mon père le sait, mais il est en butte à un groupe de barons à bout de souffle qui se battent pour rester. »Si nous partons, menacent-ils, le président part avec nous. » En fait, le chef de l’Etat ne doit rien à ces gens-là. Tout ne dépend donc que de lui. »