Alors que le nouveau président gabonais Ali Bongo prêtait serment, ce vendredi, à Libreville, l’opposant André Mba Obame poursuit sa grève de la faim. Il répond aux questions de LEXPRESS.fr.
Elu à la présidence du Gabon le 30 août dernier, Ali Bongo Ondimba, 50 ans, a prêté serment ce vendredi à Libreville, à la faveur d’une cérémonie d’investiture empreinte de solennité.
Dans son discours, le fils aîné et successeur du défunt Omar Bongo a promis « un Gabon exempt de la corruption et de l’injustice », vivant « en paix et dans la sécurité », « où les plus méritants seront récompensés et où la sanction juste est infligée à ceux qui commettent des fautes ». « Le respect de nos traditions, a-t-il poursuivi, nous impose des équilibres, mais l’excellence, la compétence et le travail primeront au-delà de toute considération géographique et politique ».
Sur le front économique, l’ancien ministre de la Défense a promis une « diversification » adossée à trois piliers: « Le Gabon vert avec la protection de l’environnement, l’écotourisme et la valorisation de la forêt; le Gabon industriel en valorisant sur place nos matières premières; le Gabon des services ».
« J’ai bien compris, a insisté le troisième chef d’Etat du Gabon indépendant, qu’il y avait urgence d’agir vite pour redonner confiance et favoriser l’émergence d’un nouvel espoir. L’espoir de voir disparaître le chômage, la précarité et toutes les inégalités, l’espoir d’aller dans de bonnes écoles, de se faire mieux soigner, d’être bien logé, de circuler sur nos routes en toutes saisons, de recevoir sa juste part des fruits et des richesses. » Ce qui, concède-t-il, suppose « des réformes courageuses et ambitieuses », gages d’une « véritable révolution de nos mentalités ».
Naguère proche d’Ali Bongo au sein du clan des « Rénovateurs » du Parti démocratique gabonais (PDG), l’ex-ministre de l’Intérieur André Mba Obame fut aussi l’un de ses rivaux malheureux lors d’un scrutin présidentiel contesté. Crédité de 25,33% des suffrages, contre 41,79% au vainqueur et 25,64% à l’opposant historique Pierre Mamboundou, « AMO » répond aux questions de LEXPRESS.fr .
Où étiez-vous et que faisiez-vous ce vendredi 16 octobre 2009, à l’instant précis de la prestation de serment d’Ali Bongo Ondimba?
J’ai entamé le 12 octobre une grève de la faim qui durera aussi longtemps que l’intimidation, la force et la violence seront utilisées comme les seules voies pouvant permettre de régler la grave crise socio-politique que traverse actuellement le Gabon. Je suis prêt à sacrifier ma vie pour que le Gabon ne sombre pas dans la dictature, la guerre civile et le génocide. Ce vendredi 16 octobre j’étais donc chez moi, entouré des miens.
Quel sens donnez-vous à ce jeûne et qu’en attendez-vous?
La grève de la faim que j’observe est une manière non violente, mais déterminée, de poursuivre le combat pour la démocratie dans mon pays. C’est un combat que j’ai débuté en 1981, à l’âge de 24 ans, au sein de l’opposition gabonaise en exil en France. J’ai poursuivi ce combat aux côtés de feu le Président Omar Bongo Ondimba, au cours des 25 années écoulées. J’attends que le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, vienne personnellement au Gabon, ou qu’il dépêche une mission de haut niveau comme il a proposé de le faire le 4 septembre dernier, au lendemain des tueries de Port-Gentil.
Voilà quelques mois on vous aurait volontiers imaginé au premier plan des invités à la cérémonie d’investiture. Quelles réflexions vous inspire le fossé creusé en si peu de temps entre Ali Bongo Ondimba et vous-même?
Tout le monde peut se tromper, et c’est le cas aujourd’hui de toutes les personnes qui, comme vous, se sont ainsi projetées. Plus que le choc des nos ambitions respectives, ce sont des conceptions différentes de la démocratie, de l’État de droit et de l’intérêt général qui nous séparent aujourd’hui.
Depuis le 30 août 2009, Ali Bongo Ondimba ou son entourage ont-ils tenté d’une manière ou d’une autre d’obtenir votre ralliement ou votre neutralité?
Cela n’a aucune importance. L’avenir du Gabon ne peut plus se satisfaire de ces petits arrangements de politiciens. Les Gabonais veulent une autre manière de faire de la politique.
Excluez-vous votre rapprochement dans l’avenir?
Les Gabonais sont las et dégoûtés des rapprochements politiques qui ont caractérisé les vingt dernières années et qui étaient souvent une manière d’aller à la soupe. Je ne crois pas que ce procédé soit la réponse la mieux adaptée à leurs attentes et à leurs besoins. Le Gabon, pour faire face aux nombreux défis qui se présentent à lui, a besoin d’un État de droit dans lequel l’exercice des libertés, le fonctionnement des institutions et la démocratie ne sont pas de simples exercices de style pour paraître fréquentable aux yeux de la communauté internationale. Les Gabonais ont des droits garantis par la Constitution tels que le droit à une santé de qualité, à une scolarité gratuite et performante et à un logement décent. Après cinquante ans d’indépendance bientôt, il est plus que temps de satisfaire leur légitime impatience.
Les résultats définitifs tels que publiés par la Cour Constitutionnelle vous relèguent à la 3ème place, derrière Pierre Mamboundou. Y voyez-vous l’effet d’un châtiment ou une volonté d’affaiblir votre assise d’opposant?
Je maintiens que les résultats proclamés par la Cour constitutionnelle ne reflètent pas la réalité. Dès lors, la position que l’on m’attribue m’importe peu. Les citoyens savent pour qui ils ont voté, et tous les observateurs de bonne foi savent également ce qui s’est réellement passé.
Le Secrétaire d’Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, s’est dit ce vendredi matin « disponible » pour rencontrer les leaders de l’opposition, afin de « lever les malentendus ». Comptez-vous donner suite à cette proposition?
Le 17 septembre 2009, je me suis publiquement adressé aux autorités françaises en ces termes: « Aujourd’hui au Gabon, la France est impliquée à un niveau qui engage sa responsabilité devant la communauté internationale et devant l’histoire. (…) Avec gravité, je voudrais dire ici aux autorités françaises que l’avenir est sombre pour le Gabon et qu’elles doivent en avoir conscience. » Je regrette beaucoup le silence de Paris, qui avait l’occasion à ce moment-là de « lever les malentendus », comme le dit Monsieur Joyandet.
L’opposition gabonaise est-elle en mesure de surmonter ses divisions et de former durablement un front uni? Si oui, à quel prix?
C’est la première fois que le pouvoir PDG a en face de lui une coalition aussi unie et déterminée. En plus de la qualité et de la diversité des femmes et des hommes qui l’animent, l’opposition est largement majoritaire politiquement, sociologiquement et territorialement. Avec de tels atouts, et surtout avec le soutien massif et exigeant de nos compatriotes, nous allons tout mettre en oeuvre pour imposer l’alternance au système PDG qui, depuis qu’il a perdu son fondateur, est devenu véritablement dangereux et nocif pour le développement politique, économique, social et culturel du Gabon.