Sous la pression du Fmi, la Banque centrale vient de livrer un rapport non exhaustif sur les malversations au bureau de Paris. 101 personnes citées dont 15 directement impliquées.
La Banque centrale, sous la pression du Fmi, vient de livrer des conclusions « non exhaustives » sur les malversations au Bep. Les lignes qui suivent en constituent l’économie.
En son temps, Philibert Andzembe était resté dans les généralités, bien que disposant déjà de données accablantes et de première main. Le gouverneur – « rappelé » par son pays, le Gabon – de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), dans son interview à Cameroon Tribune et que certains cadres de la maison continuent de considérer comme « un gros ratage communicationnel », avait même redressé l’échine, traitant d' »écume de surface » et de « recherche de sensationnel » les révélations des médias sur le vaste scandale financier touchant le Bureau extérieur de son institution à Paris (Bep). Entre-temps, le Fonds monétaire international (Fmi) est passé par là, obligeant l’auguste banque centrale à publier les résultats des enquêtes menées notamment par le cabinet Mazars et Théodore Dabanga, directeur général du contrôle général.
C’est désormais chose faite depuis vendredi dernier. Ainsi contrainte et forcée par le Fmi, la banque des banques étale au grand jour les tripatouillages financiers de quelques cadres, le laxisme de ses dirigeants, et, surtout, la gigantesque machine à sous qu’elle était devenue au fil des ans et dont le jackpot engraissait des particuliers. Les conclusions des enquêtes menées auprès de Bnp Paribas et de la Société générale, ne sont « pas exhaustives » et ne peuvent, de ce fait, pas encore traduire l’ampleur des détournements.
A fonds perdus
Le mode opératoire allait de l’imitation des signatures des personnes habilitées aux doubles paiements (touchant les mises à disposition initiées par les agents de la Banque, aux règlements des frais liés aux évacuations sanitaires en passant par des détournements des chèques établis à l’ordre du Trésor public et des organismes en charge des retraites (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, sans oublier des détournements de chéquiers et leur usage frauduleux, la falsification des relevés bancaires et le « maquillage » des écritures comptables. Théodore Dabanga, qui s’est penché sur ce tonneau des Danaïdes, enfonce le clou : » Manifestement, la Beac est encore très loin des standards internationaux en matière de contrôle et il devient urgent et prioritaire d’engager la réforme du dispositif de contrôle au sein de la Banque. »
Le Bep a reçu, de janvier 2004 à mars 2009, des approvisionnements de l’ordre de 36,174 milliards de Fcfa avec un pic en juillet 2007, où il a fait des demandes de renflouement de l’ordre de 1,4 milliard de francs. Des appels de fonds jugés « démesurés par rapport aux besoins réels ». Et, au stade actuel des investigations, le montant total des détournements, établis avec certitude, opérés au moyen de chèques, virements, retraits en espèces et titres de transport, s’élève à 16.548.969.100 francs.
L’enquête pointe, pendant la période étudiée, » 858 chèques et 6 virements frauduleux au profit de 101 bénéficiaires, 1306 retraits en espèces frauduleux et 38 bénéficiaires de titres de transport aériens frauduleux « . Le montant estimé du préjudice de la Beac s’élève à 18,5 milliards de francs (total des suspens au niveau du Bep), et, selon les premières investigations sur la base des justificatifs partiellement fournis par Bnp Paribas et la Société générale, les détournements avérés se situent à 16,5 milliards de Fcfa (hormis les chèques suspects dont les images sont attendues). La première banque citée a ainsi vu 2,377 milliards de Fcfa de dépôts se volatiliser en 2008. La deuxième, entre 2004 et 2007, a enregistré des opérations frauduleuses de l’ordre de 4,178 milliards Fcfa.
Cet envoi massif de fonds, sans rapport avec ses besoins réels et sans contrôle de leurs utilisations, aura suscité un tel appétit que les pilleurs du Bep » s’en sont donné à cœur joie « . Les responsabilités du Bep sont donc établies de manière irréfutable, mais les services concernés du siège (secrétariat général et direction de la comptabilité) de Yaoundé assument aussi une part de responsabilité sur ces graves manquements, les fraudes n’ayant été rendues possibles que » grâce aux approvisionnements inconsidérés et sans restriction effectués par le siège en faveur du Bep « .
» La mission, peut-on lire dans le rapport, a investigué uniquement sur les suspens ou les écarts sur les rapprochements bancaires. Cependant, il y a lieu de relever que certaines opérations qui n’apparaissent pas en suspens de rapprochement parce qu’enregistrées aussi bien par les banques commerciales que par la Beac peuvent se révéler frauduleuses. La mission n’a pas eu le temps matériel de revoir toutes les pièces comptabilisées pour en apprécier la moralité. » En tout, ce sont 101 personnes (personnes physiques, entreprises diverses) qui sont bénéficiaires des chèques et virements frauduleux.
Tout au long de leurs acrobaties financières et comptables, les responsables du Bep auront fait preuve d’une » volonté manifeste de dissimuler ces opérations en retardant leur comptabilisation dans les livres (…) pendant des mois, voire des années. Certaines opérations d’approvisionnement étaient supprimées sur les faux relevés bancaires afin de ne pas susciter la curiosité des responsables, de présenter une situation du compte qui dégage toujours un besoin de trésorerie et justifier ainsi les demandes d’approvisionnement inconsidérées qui étaient faites « .
Voracité sans contrôle
Tout en haut de l’affiche des personnes indexées, l’on retrouve le Gabonais Armand Ndzamba. Cet homme aujourd’hui derrière les barreaux et ses sociétés connues auront, en l’état actuel des investigations, bénéficié de 317 chèques frauduleux directement émis à leur profit. Entre 2004 et 2008, son épouse et lui, mais aussi ses sociétés, ont été recensés pour un montant de 4,096 milliards de Fcfa. Et comme si cela ne suffisait pas, » en plus des chèques frauduleux, des chèques émis régulièrement en faveur des organismes de prestations sociales et du Trésor Public français ont été détournés pour le compte des sociétés lui appartenant « .
Pour les enquêteurs, aucun doute ne subsiste sur le fait que les opérations d’approvisionnement de fonds par le siège en faveur du Bep étaient très mal suivies, aussi bien par les services centraux que par le Bep lui-même.
Le siège de la Beac approvisionnait le compte de son agence parisienne auprès de la Société générale et de la Bnp, » sans se soucier des utilisations qui en étaient faites « . De même, les fax ou les télécopies des demandes d’approvisionnement, » sans que cela ne suscite la moindre réaction du siège « , n’avaient pas les signatures autorisées. Philibert Andzembe, qui relevait dans Cameroon Tribune que » seuls des représentants d’un État sont indexés « , pensant sans doute à des ressortissants de son pays, devra certainement relire ses manuels de patriotisme…
Il y a bien plus. Sans vouloir accabler un homme qui a certainement hérité d’une situation compromise, l’on pourrait se demander comment le spécialiste de la haute finance qu’il est, parvenu à la tête du gouvernorat en juillet 2007 a-t-il pu, dès la fin de la même année, fait procéder à la clôture du compte du Bep auprès de la Société générale sans en avoir fait auditer les mouvements. Cette question, et bien d’autres encore de la même veine, devraient constituer le plat de résistance de la réunion des chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), prévue ce mois en Centrafrique.
Source : Quotidien Mutations