spot_imgspot_img

«Invictus», de la fiction à la réalité

Mandela a voulu souder une nation grâce au sport. Cette entreprise a moins bien réussi que celle décrite dans le film de Clint Eastwood.

Clint Eastwood n’est pas homme à aimer les choses simples. Avec Invictus, il a donc choisi d’ouvrir une page d’histoire, ces journées où Nelson Mandela, le premier président noir d’Afrique du Sud, choisit de s’appuyer sur le rugby, sport de Blancs, pour unifier la nation. C’est la réussite de cet audacieux pari que raconte le film, « un épisode si beau, que, s’il n’était pas vrai, il serait incroyable », comme le soulignent les analystes sud-africains.

En ce printemps 1995, Nelson Mandela, alors dans sa première année de pouvoir, est loin d’être l’icône qu’il est aujourd’hui. Libéré en 1990 après vingt-sept ans de prison, le chef de l’African National Congress (ANC) doit faire face à une sévère opposition. Celle de Blancs méfiants – Afrikaners comme Anglo-Saxons -, mais aussi d’une partie des Noirs. L’ANC est miné par de profondes divisions. Les Zoulous, l’ethnie principale du pays, se méfient volontiers de ce président d’origine xhosa.

Le sport des élites

Mandela cherche donc à convaincre de sa bonne volonté à l’intérieur mais aussi à l’extérieur, en particulier auprès des investisseurs étrangers inquiets des risques de voir Mandela, que l’on dit proche de la gauche, démonter la première économie d’Afrique.

La Coupe de monde de rugby lui offre une chance en or que ce politicien madré ne laissera pas passer. Le rugby – le film le souligne largement – est le sport des élites par excellence, le jeu des high schools réservées aux Blancs quand les Noirs se concentrent sur le football. Pour unir son nom à celui des Springboks et faire vivre son ambition de réconcilier derrière l’équipe, Mandela met au point une tactique simple. Il s’oppose à ce que le nom et le maillot du XV soient changés au nom de l’antiapartheid.

C’est une façon encore une fois de rassurer et se rapprocher de François Pienaar, le capitaine des Boks. Là non plus, ce n’est pas un hasard. Le jeune Pienaar est un pur produit de l’apartheid. Il est issu de cette classe ouvrière afrikaner, celle qui a le plus bénéficié des emplois réservés, des programmes sociaux et des aides fournis aux Blancs par le régime.

La réelle amitié qui va naître entre Pienaar et Mandela – le président est le parrain de l’un des enfants du rugbyman – contribuera à construire un symbole de la Rainbow Nation, une nation arc-en-ciel en paix avec elle-même. Le happy-end proposé par Clint Eastwood n’est hélas que du cinéma. Tout comme le rêve de la France « black-blanc-beur » de 1998, l’engouement de la victoire des Springboks à la Coupe du monde va vite laisser place aux réalités d’un pays déchiré par les inégalités et une méfiance profonde. Le successeur de Nelson Mandela, Thabo Mbeki, s’y attaquera en mettant en place des programmes de discrimination positive, une façon inavouée de critiquer la méthode Mandela.

Une méfiance encore présente

Quinze ans plus tard, les relations intercommunautaires sont en effet toujours tendues. Selon une étude de l’Institute for Justice and Reconciliation publiée en décembre, 24 % des Sud-Africains « ne parlent jamais à quelqu’un d’une autre race dans une journée type » et 39 % trouvent les personnes d’une autre race « peu fiables ». Au printemps, Jacob Zuma, le nouveau président, élu lui aussi depuis à peine un an, recevra à son tour un événement sportif mondial : la Coupe du monde de football. Le parallèle s’arrête là. En Afrique du Sud, personne n’entend rejouer 1995. Il est vrai qu’une victoire finale des Bafana Bafana, l’équipe nationale, est cette fois plus hypothétique.

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES