La préparation de l’élection présidentielle, les relations avec les Forces vives, la place des militaires dans la vie politique, le « cas » Toumba… Sur tous ces sujets, le président par intérim se livre pour la première fois.
Un mois après avoir été désigné président par intérim à Ouagadougou, où le chef de la junte, Moussa Dadis Camara, est en convalescence, le général Sékouba Konaté a accepté, pour la première fois, d’accorder un entretien à un journaliste. L’envoyée spéciale de Jeune Afrique, en l’occurrence. Entre-temps, il a nommé un Premier ministre choisi par l’opposition, Jean-Marie Doré, et, le 8 février dernier, créé le Conseil national de transition (CNT), présidé par la syndicaliste Hadja Rabiatou Serah Diallo.
Face à des étrangers, journalistes de surcroît, cet homme de 46 ans réputé peu loquace paraît vite embarrassé, voire agacé lorsque les questions deviennent insistantes. L’entretien s’est déroulé dans la nuit du 10 au 11 février, vers 1 heure. Il a duré trente minutes : quatre fois moins que celui que nous avait accordé, en juillet 2009, le capitaine Moussa Dadis Camara, dont Konaté assure l’intérim depuis que le chef de la junte a été victime d’une tentative d’assassinat, le 3 décembre dernier.
La rencontre avec le « général », comme tout le monde l’appelle, a eu lieu à Kobaya, dans la haute banlieue de Conakry, à environ une heure du centre-ville, au domicile de son ami Mounir Cissé, directeur adjoint du protocole d’État, de huit ans son cadet. « Quand Sékouba est fatigué ou qu’il a envie d’être tranquille, il vient ici », explique Cissé, attentif au moindre désir de son « grand ». L’endroit est bien gardé, mais ne semble pas pour autant propice au repos.
Une centaine de mètres avant d’arriver à la villa luxueuse, dont la façade est éclairée par des projecteurs, automitrailleuses et hommes en armes sont postés à tous les coins de rue, dans l’obscurité. À l’intérieur, l’ambiance est bon enfant. Dans les salons, au rez-de-chaussée et à l’étage, des militaires et quelques civils regardent des films et des clips vidéo pendant que le général se repose dans une chambre, à l’abri des regards indiscrets. Rares moments de détente pour un homme dont tous ses proches disent qu’il aime la tranquillité et ne supporte pas longtemps d’être « envahi ».
Bousculade au portillon
Depuis que le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) s’est emparé du pouvoir, en décembre 2008, Konaté est sans cesse sollicité. Que ce soit au camp Alpha-Yaya-Diallo, où il passe encore souvent une partie de la journée, ou à son domicile de Taouyah, amis et visiteurs en tout genre qui veulent entrer dans ses bonnes grâces ou demander un service le poursuivent de leurs assiduités. Depuis trois semaines, on attend de connaître la composition du gouvernement de transition. La fièvre monte, les candidats aux postes de ministre se bousculent au portillon.
Quand Konaté en a assez, il arrive qu’il rende visite à ses camarades de jeunesse, comme Baïdy Aribot, le directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale, ou Laye Keira, le directeur général du Fonds minier, tous deux nommés en 2009 et avec qui il fait encore des promenades nocturnes à Boulbinet, le quartier de Conakry où il a grandi. Konaté a fréquenté le même lycée que Aribot. Ils ont obtenu leur baccalauréat en 1982, avant de partir étudier l’agronomie à l’université de Sonfonia, près de Conakry. Sont également proches du président intérimaire les colonels Mamadou Korka Diallo et Amadou Doumbouya. Le premier est ancien ministre du Commerce ; le second, alias « Grand D », est issu de la même promotion de l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, et membre du CNDD.
Konaté, dont l’ardeur au combat dans les conflits du Liberia et de la Sierra Leone lui a valu le surnom de « Tigre », est décrit par tous comme un homme simple, pressé de quitter le pouvoir. « Il menace souvent de démissionner, révèle un de ses proches. Récemment, il a voulu rendre le tablier car les désaccords de la classe politique sur la composition du gouvernement l’ont mis en colère. »Contrairement à Dadis, Sékouba n’explose pas en public, mais, dans son entourage, chacun préfère éviter ses foudres. À première vue, en tout cas, le président de la transition s’est montré courtois, posé et attentif.
Dans cet entretien exclusif accordé à Jeune Afrique, il s’est prêté à sa manière, souvent laconique, au jeu des questions-réponses.
JEUNE AFRIQUE : Vous voulez discipliner l’armée, vous avez décidé d’organiser une élection présidentielle dans un délai de six mois… Êtes-vous l’homme du changement ?
SÉKOUBA KONATÉ : Nous entrons dans une nouvelle ère. La transition est en cours. Ma déclaration sur les élections est conforme aux accords de Ouagadougou [du 15 janvier 2010 ; l’opposition n’a pas été impliquée dans ces discussions, NDLR]. Nous avons pris un engagement, et je dois le respecter.
Serez-vous candidat ?
Non. Je ne le suis pas et ne le serai pas.
« L’armée guinéenne, disait le capitaine Moussa Dadis Camara, est très difficile à contrôler. Un sergent peut dire merde à un général. » Comment comptez-vous asseoir votre autorité ?
Lors de ma tournée des casernes [peu après l’attentat contre Dadis, le 3 décembre 2009], j’ai évoqué les quatre éléments nécessaires à une reprise en main. Il faut des casernes. Former et équiper les hommes. Et renforcer la discipline.
Depuis que vous assurez l’intérim de Dadis, on ne voit plus que très rarement des militaires armés dans les rues de Conakry. Et les pick-up chargés de soldats qui roulaient en trombe ont quasi disparu…
À un moment, une partie de l’armée s’est mal comportée. Quand je suis allé dans les casernes, j’ai dit aux hommes qu’un groupe d’individus ne doit pas ternir l’image de toute l’armée. Ceux qui se comportent mal n’y ont pas leur place. C’est devenu clair pour tous.
Le général sénégalais Mamadou Lamine Cissé a été mandaté par la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] pour travailler à la restructuration de l’armée guinéenne. Quelles sont les grandes lignes de son projet ?
J’ai rencontré le général Cissé. Nous avons discuté de la revalorisation des soldes et de l’amélioration des conditions de vie des militaires, ainsi que des mesures d’accompagnement destinées aux éléments qui doivent partir à la retraite et aux candidats au départ volontaire. Nous avons aussi parlé de la participation de l’armée guinéenne aux missions de maintien de paix de la Cedeao, de l’Union africaine et des Nations unies. Nous allons commencer le travail, et les futurs dirigeants de la Guinée le poursuivront.
On dit que l’armée est divisée, que le lieutenant-colonel Moussa Tiégboro Camara et le commandant Claude Pivi contrôlent chacun une partie des hommes. Pouvez-vous compter sur eux ?
L’armée guinéenne est une et indivisible.
On les soupçonne pourtant d’avoir fomenté un coup d’État en votre absence !
Ce sont des rumeurs sans fondement qu’ont fait courir certains pour diviser l’armée et opposer ses chefs.
Aboubacar « Toumba » Diakité a bel et bien tiré sur le capitaine Moussa Dadis Camara…
C’est un fait isolé, qui a été condamné par toute l’armée et qui ne compromet pas son unité.
Que pensez-vous du rapport d’enquête de l’ONU sur les massacres du stade de Conakry, le 28 septembre ?
Je n’ai pas d’opinion personnelle.
En avez-vous une sur le rapport de la Commission nationale d’enquête qui incrimine principalement le lieutenant Toumba Diakité et pointe aussi la responsabilité des opposants ?
Pas de commentaire.
Toumba Diakité est mis en cause dans les deux rapports. Le tenez-vous pour seul et unique responsable ?
Ce n’est pas à moi de juger qui est coupable et qui ne l’est pas.
Où se trouve-t-il, et pourquoi n’a-t-il toujours pas été arrêté ?
Je n’en sais rien. Cet homme est recherché. Il faudra peut-être du temps pour le retrouver. En tout cas, l’armée continue les recherches et la justice mène ses enquêtes.
Certains membres de la junte ont vu la main de la France derrière la tentative d’assassinat de Moussa Dadis Camara. Pensez-vous que Paris a joué un rôle dans cette affaire ?
Chacun est libre de ses commentaires et de ses jugements. Il ne m’appartient pas d’accuser qui que soit, même un État.
Toumba vous a demandé de le gracier. Allez-vous accéder à sa demande ?
On gracie quelqu’un qui a été jugé et condamné. À ma connaissance, ce n’est pas encore son cas.
Le 28 septembre, vous n’étiez pas à Conakry ; le 3 décembre non plus. Vous êtes toujours absent lors des événements dramatiques…
C’est le fruit du hasard et du destin.
Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, a déclaré qu’il préférait « savoir Dadis dans son lit au Maroc plutôt qu’à Conakry ». Trouvez-vous qu’il jette de l’huile sur le feu ?
Il est libre de ses propos et de ses opinions.
Le connaissez-vous ?
Pas personnellement. Je ne l’ai jamais rencontré.
Êtes-vous toujours en contact avec Blaise Compaoré, le médiateur dans la crise guinéenne ?
Bien sûr. Nous nous parlons régulièrement. En tant que médiateur, il est normal qu’il s’intéresse à ce qui se passe en ce moment.
Un retour de Dadis en Guinée est-il envisageable ?
Je m’en tiens à sa déclaration de Ouagadougou [du 17 janvier] et à ce qu’il a dit après la signature des accords. Je précise qu’il n’est pas retenu contre son gré au Burkina, où il a choisi de poursuivre sa convalescence.
Ces accords n’ont pas été conclus en présence des Forces vives, ni signés par elles…
À mon avis, cela ne pose aucun problème. Les Forces vives ont dit qu’elles soutenaient ces accords, qui prennent en compte leurs préoccupations. La nomination d’un Premier ministre issu de leurs rangs en découle. Depuis lors, tout se passe bien.
Mais le nouveau Premier ministre, Jean-Marie Doré, a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne reconnaissait pas ces accords…
Je ne vois pas de quoi vous parlez puisque le Premier ministre a été nommé grâce à eux.
Il entretient le flou à propos de sa candidature à l’élection présidentielle. Ne craignez-vous pas qu’il se présente ?
Il faut lui poser la question. Le fait qu’il ne soit pas candidat était l’un des critères de sa désignation.
Le 8 février, alors que tout le monde attendait l’annonce de la composition du gouvernement de transition, c’est celle de la désignation de la syndicaliste Hadja Rabiatou Serah Diallo à la tête du CNT qui est tombée.
On ne forme pas un gouvernement en vingt-quatre heures.
Pourquoi cela prend-il autant de temps ?
Ce n’est pas le temps qui compte, c’est le résultat !
Vous aviez promis des élections dans les six mois ; il n’en reste plus que cinq, et la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ne s’est pas encore prononcée sur la reprise des opérations de recensement des électeurs, en Guinée et à l’étranger.
C’est l’affaire du gouvernement. J’exigerai que les délais prévus par les accords soient respectés.
Le budget de ces opérations électorales plusieurs fois reportées [150 milliards de francs guinéens, soit 21,5 millions d’euros] n’a jamais été bouclé. La communauté internationale a-t-elle promis des fonds ?
J’ai rencontré les ambassadeurs d’Allemagne, des États-Unis, de France, etc. Ils ont promis que leurs pays accompagneront le processus.
L’armée respectera-t-elle le verdict des urnes ?
Bien sûr. Si j’ai fait la tournée des garnisons, c’est pour expliquer aux hommes que l’armée est un instrument du gouvernement. Je leur ai dit que la démocratie permettra d’améliorer leurs conditions de vie, et qu’il faut renouer avec la communauté internationale pour que le pays s’en sorte. Ils ont bien compris le message.
Que comptez-vous faire des centaines de jeunes originaires de Guinée forestière qui avaient été recrutés par Dadis ?
Ces recrutements n’avaient aucune connotation ethnique ou politique.
Les partisans de Dadis, des chrétiens de l’ethnie guerzée, sont-ils à l’origine des affrontements avec les musulmans survenus à Nzérékoré, dans le sud-est du pays, au début de février ?
Dans sa déclaration de Ouaga, le président Dadis a appelé ses partisans au calme et à soutenir les accords qu’il a signés. Ce qui s’est passé à Nzérékoré n’a rien à voir avec ses partisans. C’est un incident malheureux, et ce n’est pas la première fois que cela arrive dans cette région.
Êtes-vous en contact avec Dadis ?
Bien sûr. Nous nous parlons régulièrement, et il approuve tout ce qui se passe aujourd’hui
Vous vous êtes rendu à de nombreuses reprises au Maroc pour y passer des examens médicaux. De quoi souffrez-vous ?
La question de ma santé est personnelle.
Que ferez-vous, après les élections ?
Je retournerai à Sana, mon village, pour cultiver la terre.
Jeune Afrique | Par : Cécile Sow, envoyée spéciale à Conakry