Pour la troisième fois en trois ans, Nicolas Sarkozy était en visite au Gabon, mercredi 24 février. Une visite éclair pendant laquelle le président français a déclaré : « Il n’existe plus de pré carré et je ne le regrette pas. Ce sont des conceptions d’un autre temps. » Une opinion que ne partage pas Bruno Ben Moubamba, vice-président d’Union nationale, l’une des deux principales formations de l’opposition gabonaise. Depuis la France, il estime que le président français « est inscrit dans un processus qui consiste à renvoyer l’ascenseur à ceux qui l’ont soutenu ».
Que pensez-vous du voyage de Nicolas Sarkozy au Gabon ?
Nicolas Sarkozy, c’est l’histoire d’une grande déception. Lorsqu’il était candidat, il avait déclaré au cours d’un de ses meetings, en janvier 2007, qu’il ne serait jamais complice d’une dictature. Il avait critiqué les officines sur fond d’affaire Clearstream. Il promettait la rupture et ringardisait Chirac et sa politique Françafrique.
J’ai 43 ans et je ne pouvais qu’être sensible à ce nouveau discours. Je me battais à l’époque, en tant que membre de la société civile, contre les biens mal acquis et contre Omar Bongo. Or, on se rend compte qu’il se comporte exactement comme Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing.
Qu’est-ce que les trois présidents français ont en commun ?
Il faut se rappeler que Jacques Chirac comme Valéry Giscard d’Estaing chantaient les louanges du maréchal Mobutu [ancien dictateur du Zaïre, devenu République démocratique du Congo]. Ils pratiquaient une forme d’autisme diplomatique tant le maréchal était impopulaire et pillait littéralement le pays. On les voyait à l’époque en VRP de réseaux privés, d’une forme de mafia internationale, en défenseurs d’intérêts privés.
Pourquoi cette attitude ?
Nicolas Sarkozy commence son voyage à Franceville, ça signifie Areva et les irradiés de Mounana [le groupe nucléaire français est accusé par des ONG d’avoir délibérement mis en danger les salariés de cette mine d’uranium]. Il va ensuite rendre visite à Rougier, le principal exploitant de bois des forêts gabonaises, alors même que le chef de l’exécutif, Ali Bongo, avait déclaré qu’il n’y aurait plus d’exportations. Je suis prêt à parier d’ailleurs qu’il reviendra sur sa décision.
A titre personnel, Nicolas Sarkozy est peut-être contre la dictature et pour les droits de l’homme en Afrique, mais il est inscrit dans ce même processus qui consiste à renvoyer l’ascenseur à ceux qui l’ont soutenu. Il est pris dans le syndrome du Fouquet’s. A titre d’exemple, il est bon de rappeler que la fille d’Omar Bongo, Pascaline, est membre du conseil d’administration de Bolloré au Gabon [Gabon Mining Logistics]. La plupart des gens que nous combattons, nous, dans l’opposition, siègent au conseil d’administration des sociétés françaises installées dans le pays. On voit bien que le président français ne vient pas lancer le nouveau cycle de relations que ma génération demande et qui ferait entrer l’Afrique francophone dans le XXIe siècle.
Depuis la France, vous aviez souhaité que l’opposition ne rencontre pas M. Sarkozy ?
Elle a dû le rencontrer cet après-midi. Mais il n’y a dans cette rencontre aucun caractère officiel. Ce n’est pas public, pas publié, pas assumé. A ce titre, c’est une méthode d’un autre âge. Quand le président de la République française rencontre la classe politique américaine, c’est fait formellement, dans un cadre strict.
En novembre 2007, il s’adressait ainsi au Congrès américain, avec standing ovation et caméras de télévision. C’est une manière de montrer une forme de respect pour le pays en question. La moindre des choses aurait été de soigner les formes. Au Gabon, ça ressemble à une convocation soumise à la magnanimité du maître. C’est, à mes yeux, une rencontre humiliante qui légitime l’ingérence.
Y a-t-il des protestations prévues pendant la visite de M. Sarkozy ?
A ma connaissance, non. J’étais à l’origine de la manifestation du 7 août 2009 qui demandait que Bongo quitte le ministère de la défense. Et là, je déplore qu’il n’y ait rien. Or, je pense que le simple fait que le Gabon soit une étape sur la route du Rwanda devrait faire réfléchir l’opposition. Il faut se défendre pour être respecté. Kagamé [le président rwandais] s’est défendu et M. Sarkozy va donc aller à Canossa [s’humilier] en se rendant au Rwanda. Ce voyage au Gabon marque le soutien au régime d’Ali Bongo et je le crains, c’est considérer le Gabon comme une « vache à lait ».