La visite, aujourd’hui, de Nicolas Sarkozy au Rwanda semble sonner le glas de toute enquête sur la responsabilité de la France dans le massacre de près d’un million de Tutsis par les milices hutues en 1994.
D’une pierre deux coups. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le voyage africain de Nicolas Sarkozy. De Libreville (Gabon) à Kigali (Rwanda), il conforte la place de la France dans son pré carré (lire ci-dessous), l’Afrique de l’Ouest francophone où il avait pris quelques coups ces derniers temps, et il tente de passer à l’offensive en ouvrant une nouvelle page des relations avec le Rwanda, pays membre du Commonwealth.
Sarkozy n’a pas prévu de présenter des excuses
Seul problème, mais il est de taille : ce rapprochement avec le Rwanda – aboutissement du processus de normalisation amorcé par un déplacement, fin 2008, du secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, et poursuivi par celui, en janvier, du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner– se fait au détriment des centaines de milliers de victimes du génocide perpétré en 1994. Il s’apparente à un enterrement de première classe de toute tentative de recherche des responsabilités françaises. Il est vrai qu’à l’époque, le pouvoir en France était partagé : Mitterrand à l’Élysée et Balladur à Matignon. Venant juste après la reprise des relations diplomatiques rompues en 2006, cette visite doit permettre « d’acter la volonté des deux parties de se tourner vers l’avenir sans pour autant oublier le passé », dit-on dans l’entourage du président français. D’ailleurs, lors de cette visite, de seulement trois heures, Nicolas Sarkozy n’a pas prévu de présenter des excuses au nom de la France. Du côté de l’Élysée, on s’empresse d’ailleurs de souligner que le président rwandais, Paul Kagamé, n’a rien demandé de tel. À Paris, on fait simplement valoir que Nicolas Sarkozy s’est déjà exprimé clairement sur le sujet lors d’un sommet Europe-Afrique à Lisbonne, en 2007, « à savoir qu’il y a eu une responsabilité collective de la communauté internationale » qui n’a pas su intervenir pour empêcher le génocide, et que « la France a eu sa part » dans cette responsabilité.
« Cette visite est une injure aux victimes »
Pourtant, le Rwanda a toujours accusé la France d’avoir une responsabilité dans les événements tragiques de 1994 par son soutien au régime du président Juvénal Habyarimana dont la mort, dans l’explosion de son avion, avait été le prétexte au déchaînement des milices hutues contre la communauté tutsie. Kigali avait ainsi rompu avec Paris, fin 2006, après l’émission, par la justice française, de mandats d’arrêts internationaux contre neuf proches de Paul Kagamé, en lutte armée en 1994 contre le pouvoir, dans l’enquête sur la mort du général Habyarimana. De son côté, en août 2008, la commission d’enquête rwandaise sur les responsabilités de la France dans le génocide accusait Paris d’avoir été au courant des préparatifs du massacre et d’avoir participé à son exécution. Le rapport mettait notamment en cause des militaires de l’opération « Turquoise » et les plus hauts responsables politiques français.
« Cette visite est une injure aux victimes du génocide si elle ne marque pas une étape dans la reconnaissance des responsabilités françaises dans ce génocide », écrivent des organisations politiques, des associations françaises et des personnalités, dans un appel rendu public (voir en pages Tribunes-Idées). « Les affaires sont les affaires », semblent répondre Sarkozy et Kouchner. Car nul doute qu’à l’issue de ce rapprochement, des entreprises françaises, toujours les mêmes, prendront ou reprendront pied au Rwanda et dans la région des Grands Lacs.
Pierre Barbancey