Quand ils ont appris que la France fermerait ses bases militaires à Dakar, certains Sénégalais ont dit: « il était temps », 50 ans après l’indépendance du pays. Mais l’anxiété a aussitôt gagné des milliers de familles dont les revenus dépendent de la présence des militaires français.
« S’ils partent, comment ferons-nous pour vivre? » La question tourmente Coumba Ndiaye, mère de famille d’une cinquantaine d’années, depuis que Dakar a annoncé le 19 février que les bases françaises fermeraient, « en vertu d’un accord qui sera signé avant le 4 avril ».
La France n’a prévu de garder que 300 soldats au Sénégal, soit 900 de moins qu’aujourd’hui, a confirmé mercredi à Libreville le président français Nicolas Sarkozy.
En revanche, elle maintient sa base militaire d’un millier d’hommes dans la capitale du Gabon.
Pour Coumba Ndiaye, c’est la fin d’un monde. « Qu’allons-nous faire? Avec cette vie dure et le chômage partout au Sénégal ? », demande cette mère de famille en boubou, employée depuis 29 ans au service « restauration et hébergement » de la Base aérienne (BA) 160, dans le quartier de Ouakam.
« Nous sommes en ordre de bataille pour défendre nos intérêts. Si les bases militaires ferment, qu’est-ce que nous allons devenir? », renchérit le Oumar Mbodj, un responsable du syndicat national des personnels civils sénégalais des bases françaises dans ce pays.
Car les bases font actuellement travailler au moins « 3.000 civils » sénégalais, dont 400 sous contrat, sont payés directement par l’armée française, selon une source à l’ambassade de France.
Les Sénégalais qui s’activent comme gardiens, jardiniers, employés de maisons, font chacun souvent vivre autour d’eux une dizaine de personnes.
« Le départ des Français ne fait pas notre affaire! Beaucoup de Fatou (nom désignant couramment les employées de maisons des expatriés, ndlr) vont se retrouver au chômage », commente une « bonne » rencontrée à Ouakam.
Ouakame est un ancien village traditionnel devenu un quartier à part entière de la capitale sénégalaise. C’est le lieu de naissance de l’ancienne candidate à la présidence de la République française, Ségolène Royal, fille d’un militaire français qui fut affecté à Dakar…
Aux abords de la BA 160, le vendeur Yaya Mané est assis devant un étalage de statuettes, masques et figures d’animaux. « Je ne veux même pas penser à ce départ. Tous nos clients ou presque sont des militaires français », dit-il. Autour de lui, des compatriotes écoulent des cartes de crédit téléphonique, des cigarettes, des nappes de table…
Pourquoi la fermeture des bases françaises a-t-elle été finalement décidée?, se demande à présent la presse sénégalaise, tentant de connaître les dessous des négociations.
En période de boom immobilier, Le Quotidien a accusé les autorités sénégalaises de vouloir « faire main basse sur les énormes emprises foncières de la base de Bel-Air », camp français situé en bord de mer.
Mais pour l’hebdomadaire indépendant Le Témoin, le départ des troupes françaises constitue « une séparation douloureuse, certes, mais ô combien salutaire! ».
« Il était temps que, effectivement, l’Afrique se libérât enfin de la présence des bases militaires étrangères sur son sol », juge ce journal, tout en s’inquiétant du « rude coup porté à une économie déjà si fragile ».
Les militaires français avaient des employés. Ils consommaient aussi. Et le Témoin a même une pensée pour « l’industrie de la prostitution qu’ils entretenaient, les bars-restaurants et boîtes de nuit qu’ils faisaient tourner. »