À l’occasion de sa visite au Gabon et au Rwanda, les 24 et 25 février, le chef de l’État français entendait tourner la page. Il y est indiscutablement parvenu dans le second pays. Nettement moins dans le premier.
Le monument blanc qui trône à l’entrée de la Cité de la démocratie, à Libreville, est à moitié repeint. Ou à moitié décrépi, tout dépend du point de vue. Il est en tout cas à l’image des relations franco-africaines, thème longuement abordé pendant les trente heures passées par Nicolas Sarkozy sur le continent : à moitié rafraîchies ou à moitié désuètes. Tout dépend du point de vue…
Tout au long de la tournée qui, les 24 et 25 février l’a mené du Gabon au Rwanda, avec une escale surprise au Mali, dans la nuit, le chef de l’État français a pour sa part célébré leur « rénovation ». Une manière de caractériser le grand écart auquel il est contraint : un pied résolument engagé vers l’avenir, l’autre englué dans un passé qui a… bien du mal à passer.
Les gerbes de fleurs qu’il a déposées, le 24 janvier, sur la tombe en marbre d’Omar Bongo Ondimba, à Franceville, et, le lendemain, sur les stèles qui recouvrent les ossements de 250 000 victimes du génocide rwandais, à Kigali, semblaient vouloir enterrer définitivement cette longue et souvent sombre histoire. Quand les fleurs auront fané, la page sera-t-elle enfin tournée ?
Libreville : tout changer pour que rien ne change
Au Gabon, le nouveau chapitre de l’amitié franco-gabonaise est encore à l’état de brouillon. L’accueil à l’aéroport de Franceville fut des plus classiques : chants d’une foule en liesse, tee-shirts aux effigies des deux présidents, accolade chaleureuse de Nicolas Sarkozy à Patience Dabany, mère d’Ali et première femme d’Omar, présence sur le tarmac d’intermédiaires aussi célèbres qu’ombrageux, comme Robert Bourgi… Tout cela fleurait bon la vieille « Françafrique ». Depuis qu’il a renoncé à prôner la « rupture » dans les relations franco-africaines promise en 2006, avant son élection, le chef de l’État français réagit différemment au contact du sol africain.
Pour lui, venir au Gabon répondait à trois exigences : rendre la politesse à un Ali Bongo Ondimba (ABO) qui s’est rendu trois fois en trois ans à l’Élysée ; le soutenir après son élection contestée ; et rassurer une communauté française que les réformes récemment lancées par le nouveau locataire du Palais du bord de mer, notamment dans la filière bois, inquiètent.
Côté gabonais, on a ressorti les vieilles recettes et réservé « le meilleur accueil » à cet « ami de toujours ». « Sous Omar, le Gabon comptait, explique un proche de l’ancien président. À sa mort, les Gabonais ont craint que leur pays ne perde de son influence. Avec la venue de Sarkozy, on montre qu’on ne nous enterrera pas si facilement. » Petite revanche vis-à-vis des voisins de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac)…
Pour la page à tourner, il faudra donc repasser. « Au crépuscule de l’empire colonial, Léon Mba avait fait le choix d’un partenariat privilégié avec la France, a rappelé ABO lors de son discours au Palais des congrès, devant des photos jaunies des anciens couples présidentiels franco-gabonais. Un choix historique assumé depuis. »
Quelques heures plus tard, au cours du dîner officiel, Sarkozy lui a répondu : « Mon cher Ali, je dois vous avouer que je suis ému de me retrouver dans ce Palais du bord de mer où, en juillet 2007, votre père m’avait reçu. Il n’est plus là, mais aucun d’entre nous ne peut oublier la mémoire qu’il a imprimée à nos relations. »
Certes, l’adoption solennelle de nouveaux instruments juridiques a mis une couche de peinture neuve sur ces relations ancestrales : plan d’action stratégique, nouveau partenariat de défense, création d’un Conseil franco-gabonais des affaires… Le président français a même rencontré des opposants ! Inimaginable à l’époque d’Omar Bongo Ondimba, sans doute, mais l’événement a surtout permis à Sarkozy de légitimer la démarche d’ouverture démocratique prônée par son alter ego.
« Laissez-nous avancer », a scandé ce dernier, à plusieurs reprises, comme pour appeler la communauté internationale à croire en sa volonté de faire bouger les choses. Il sait dorénavant que, pour l’y aider, il peut compter sur la France. Où qu’il aille.
Même le départ précipité de Sarkozy pour Bamako, dans la soirée du 24, alors qu’il devait passer la nuit à Libreville, a, semble-t-il, laissé de marbre les autorités gabonaises. C’est dire le niveau de confiance entre les deux pays…
Au Mali, le président français a rencontré Pierre Camatte, l’otage français libéré la veille. Après avoir assuré à tous les Français qu’il « ne les laisserait jamais tomber », Sarkozy a pris la route de Kigali, où une autre page de l’Histoire allait se tourner. Cette fois, pour de bon.
Kigali : revirement de l’Histoire
Au Rwanda, la visite de Nicolas Sarkozy a certainement mis fin à seize années de glaciation entre les deux pays. Comparé aux tapis rouges déroulés, la veille, à Franceville et à Libreville, l’accueil que lui a réservé Paul Kagamé, le 25 février au matin, est apparu minimal. Pas d’affiches géantes exaltant leur amitié, mais des drapeaux français et rwandais sobrement hissés.
À 10 h 30, Sarkozy a entamé sa courte escale (quatre heures) par une visite au mémorial de Gisozi, sorte de passage obligé pour tout étranger en visite. Obligé, mais, en l’occurrence, délicat pour le chef d’un État dont la responsabilité dans le génocide qui, en 1994, provoqua la mort de près de 1 million de Rwandais est directement mise en cause. Devant les photos terriblement accusatrices, il a pressé le pas, ne laissant pas à son guide le temps de lui rappeler que Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, l’Américain Bill Clinton et le Belge Guy Verhofstadt avaient, eux, présenté leurs excuses au peuple rwandais.
Même silence sur l’attitude de la France dans les quelques phrases tracées par Sarkozy dans le livre d’or, avant de quitter le mémorial pour se rendre au village d’Urugwiro, le palais présidentiel. Au Rwanda, les mots pèsent une tonne. Surtout quand ils sont prononcés en français. Sarkozy a su en faire l’économie jusqu’à son entretien en tête à tête avec Paul Kagamé.
Tout était réuni pour que la rencontre soit un succès, la France ayant auparavant émis des signaux clairs : accélération des procédures judiciaires à l’encontre des responsables du génocide établis sur son territoire, mise en sommeil de l’enquête du juge Bruguière, qui, en novembre 2007, avait provoqué la rupture des relations diplomatiques… Depuis plusieurs mois, le Rwanda s’était mis à l’unisson : le 29 novembre 2009, le dialogue avait été officiellement rétabli.
À 13 h 15, quand les deux chefs d’État se présentent devant les journalistes, l’ambiance est au beau fixe. Ils sont manifestement sur la même longueur d’onde. « Des erreurs politiques ont été commises ici ; elles ont eu des conséquences absolument dramatiques », lance Nicolas Sarkozy. Il y a deux ans, Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères, qui a joué un rôle important dans la réconciliation, avait qualifié de « faute » le rôle de la France pendant le génocide. Sarkozy – qui honnit tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à de la repentance – se contente du mot « erreur », mais reconnaît « une forme d’aveuglement quand nous n’avons pas vu la dimension génocidaire du gouvernement du président assassiné ». Paul Kagamé semble satisfait. Il y a déjà plusieurs années que le Rwanda ne réclame plus d’excuses. Il s’agissait simplement de trouver les mots justes, les bonnes personnes et le moment adéquat. À quelques mois d’une élection présidentielle à l’issue de laquelle il devrait se succéder à lui-même, Kagamé a plus que jamais besoin du soutien de ses partenaires extérieurs. L’heure était venue.
« Nous refusons d’être les otages du passé, a répondu le Rwandais, comme pour officialiser la fin de la brouille. Les fautes ont été reconnues, notre regard se porte maintenant vers l’avenir. »
L’avenir devrait se préciser au mois de mai, quand le président rwandais se rendra à Nice à l’occasion du sommet France-Afrique. À l’ordre du jour, entre autres, la question des Grands Lacs. Quand, en janvier 2009, il avait évoqué le « partage de l’espace et des abondantes richesses minières dont regorge la République démocratique du Congo avec le « petit » Rwanda », Sarkozy s’était fait reprendre sèchement par Kagamé. Un an plus tard, la page est bel et bien tournée : c’est ce dernier qui souhaite « participer pleinement » aux projets qui seront mis au point dans le sud de la France.
Elise Colette, envoyée spéciale