Dans son appartement du neuvième étage, Jacques Méda savoure une vue imprenable sur la vallée de la Garonne d’un côté, et sur les coteaux de l’autre : « Après l’Afrique, j’avais besoin d’espace », explique-t-il, en montrant les nombreuses et larges baies vitrées. Et l’Afrique, il la connaît bien pour y avoir vécu une trentaine d’années, ce que ne prédisposait pas sa naissance et sa jeunesse en Champagne.
L’équateur franchi
Le déclic a eu lieu en 1940, paradoxalement en Prusse Orientale. Alors qu’il préparait une licence de droit à Paris, le voilà mobilisé, vite capturé, direction l’Allemagne en wagons à bestiaux, estampillé matricule 49 411 et captif durant cinq années. En Prusse, environné de forêts, il est enrôlé comme bûcheron de fortune et découvre la vie au grand air. Autant dire que le retour dans une France ruinée et démoralisée, où règne le marché noir, le refroidit sérieusement. « Mes parents m’ont dit » Tu vas pouvoir rentrer sans problème dans l’administration, mais je n’en avais plus du tout envie « . Je rongeais mon frein puis, en 1949, j’ai vu une petite annonce afin de fonder un tribunal en Afrique équatoriale, et je me suis retrouvé greffier chef à Brazzaville au Congo. »
Ce grand départ est symbolisé par un diplôme, encadré dans son salon, et qui confirme que le bonhomme a bien pénétré dans l’hémisphère boréal, bref, qu’il a franchi pour la première fois l’équateur. Étant en avion, il n’a pas eu droit à un seau de mer comme les marins, mais à une bonne bouteille d’eau gazeuse.
Il se souvient ensuite de « l’odeur chaude et sauvage au sortir de l’avion », de la première femme qui l’a accueilli à son arrivée, « Antoinette, une assistante sociale rôdée à l’Outre-Mer », qu’il finira par épouser. Une photo les montre assis près d’une cascade, paysage idyllique d’une époque révolue.
Le docteur Schweitzer
Après le Congo, Jacques Méda effectue un séjour en brousse, cette fois au Gabon, soumis à un climat équatorial très humide. C’est à Lambaréné qu’il rencontre le docteur Albert Schweitzer, « un homme particulier, à l’ancienne mode. On l’a critiqué mais il fallait avoir du courage pour installer et tenir un hôpital en pleine brousse », explique-t-il en feuilletant « Histoire de la forêt vierge », dédicacé par le fameux docteur. « Je me rappelle que ma femme a voulu chasser une mouche qui s’était posée sur son col de chemise. Il l’en a empêchée en disant : » Toute vie est sacrée ! « . C’était un grand bonhomme.
Gabonais d’adoption (« j’ai complètement renoncé à la cravate ») il montre une autre dédicace, sur le livre « Gabon terre d’avenir », signé de Léon Mba, premier ministre qui deviendra président. Puis le Gabon change avec la découverte d’uranium, de pétrole. Et Jacques Méda décide de partir à la découverte du désert et gagne le Tchad.
« Le Tchad, un pays dur, un monde à part et intéressant. Greffier en chef, c’était un titre un peu ronflant, mais on faisait régner la justice sur un territoire de la taille du Lot-et-Garonne. Là-bas, on ne voyait pas de saloperies minables, comme en France. Bon, de temps en temps on se tuait à coups de sagaies, des sagaies fabriquées dans le métal des barils de pétrole. Il existait aussi une justice coutumière, et on laissait faire. Mais les cases n’avaient pas de portes et comme on ne pouvait pas sonner on frappait dans ses mains avant d’entrer. On ne se faisait jamais voler. »
En short sous la soutane
L’Afrique, il la quitte en 1965. « Ça a été très dur. On vivait à peu de frais, on trouvait des fruits partout. Je n’avais pas très envie de retrouver des tribunaux français, moi qui avais toujours vécu en short, même sous la soutane ! Et nous qui arrivions d’Afrique, nous étions considérés comme des aventuriers peu recommandables… »
« Parqué » malgré tout dans le nord, à Dunkerque, Jacques Méda va beaucoup s’y plaire, à sa grande surprise. « On ne pouvait pas nous envoyer plus au nord, mais c’était très chaleureux. Un jour de Carnaval, je rentre dans le palais de justice déserté, et je croise le procureur déguisé. » Mais qu’est-ce que vous faites là, vous n’êtes pas dans le défilé ? » m’a-t-il dit ! »
Puis vient la retraite et la volonté de ne surtout pas vivre dans une grande ville. Il découvre Villeneuve-sur-Lot, qui lui plaît, puis Tonneins « où on a tout à proximité ».
« À 90 ans, je suis l’un des doyens des retraités, mais beaucoup sont bêtes comme des rats et restent devant leur télé. Moi, j’apprends le portugais, je suis les réunions publiques. Je ne suis peut-être pas fait pour ce pays, mais ici, on est bien ! »