Six mois après son élection, Ali Bongo Ondimba (ABO) a donc pris ses marques dans le grand bureau présidentiel, au premier étage du Palais du bord de mer. Entièrement rénovée sous feu Omar, qui l’occupait encore il y a dix mois, la pièce n’a pas changé : la même immense table de travail, les mêmes écrans plasma allumés en permanence, l’éternelle et gigantesque carte de l’Afrique. La similitude s’arrête là, à cet écrin d’un pouvoir qui a changé de mains, d’allure, d’objectifs, mais aussi, pour l’instant, de stature. Ali n’est pas Omar. Il n’est pas le doyen, le « Vieux », le sage que l’on vient consulter, qui dispense conseils et argent un peu partout sur le continent. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?
Comme les autres « fils de », ceux qui sont au pouvoir ou ceux qui y pensent tous les matins en se rasant, Ali doit résoudre une équation quasi impossible : faire autrement – et surtout mieux – que son géniteur, sans pour autant critiquer son œuvre, pointer du doigt de quelconques carences ni choquer cette multitude d’hommes et de femmes qui ont profité des privilèges et rentes de situation généreusement octroyés par l’ancien président, le père de la nation, le chef de village, l’ami, le banquier qu’était Omar Bongo Ondimba. Ces mêmes personnes qui ne pourront jamais s’empêcher de mesurer à l’aune de leur propre confort les « performances » du nouveau chef de l’État ni comprendre qu’on puisse ne pas favoriser systématiquement sa coterie. Louvoyer entre une opposition qui veut votre peau, un camp présidentiel en recomposition, miné par les guerres d’ego et balayé en permanence par les lancinants soupirs des déçus du jeu de chaises musicales lancé par ABO à son arrivée, n’est pas chose aisée. Remettre un pays léthargique au travail non plus…
Comme Mohammed VI au Maroc, Joseph Kabila en RD Congo, Faure Gnassingbé au Togo, en attendant peut-être Gamal, Karim, Léhady et consorts, Ali n’est pas de la même trempe que son père. Il incarne une nouvelle génération de dirigeants, un autre style. Dans la colonne des « moins » de cette génération, évidemment, l’expérience. Mais aussi le charisme, la connaissance du moindre recoin de leur pays et des langues que l’on y parle, des comportements de leur population, souvent fonction des (des) équilibres ethniques ou régionaux, de l’Histoire. Ils sont moins madrés, n’ont pas le même entregent ni la même faconde. Ils n’ont pas les pieds dans la glaise, pas plus qu’ils n’ont la tête dans les étoiles. Ils sont d’un autre monde et d’un autre temps, plus modernes, donc, et aussi plus ouverts sur l’extérieur, les évolutions technologiques et peut-être plus proches d’une jeunesse qui compose l’écrasante majorité de leur population. Pour eux, le temps presse, les palabres les agacent, ils sont tentés plus que de raison par le passage en force. À l’inertie souvent de rigueur chez leurs pères, ils préfèrent le pas de charge, quitte à risquer la sortie de route. Ils aiment les nouveaux atours du pouvoir, les costumes tendance, les belles (et puissantes) voitures, les portables dernier cri, et l’assument. Une évolution qui n’est pas sans rappeler les différences de styles entre deux générations de présidents français, celle de Chirac et celle de Sarkozy.
Depuis ce fameux premier étage du Palais du bord de mer, Ali Bongo Ondimba dirige le Gabon. À sa manière, qui, comme tout ce qui est nouveau, intrigue. Ses premiers pas dans la fonction illustrent le changement d’ère auquel le pays assiste. Le travail qui l’attend est immense, à la mesure des attentes de ses concitoyens au départ foncièrement rétifs à toute succession dynastique. Pas facile de trouver son chemin dans un tel contexte, à moins d’être funambule.