Interview de l’opposant gabonais, secrétaire exécutif de l’Union Nationale
Le mois dernier était créée, à Libreville, l’Union Nationale (UN), qui fédère trois partis d’opposition (UGDD, MAD et RNR) et cinq candidats à l’élection présidentielle de 2009. Parmi eux, celui qui officiellement est arrivé en seconde position à l’issue du scrutin : André Mba Obame, ancien ministre de l’Intérieur d’Omar Bongo Ondimba. Il dresse un bilan sévère des premiers mois de la mandature d’Ali Bongo Ondimba et présente les objectifs la nouvelle formation politique.
A l’exception de Pierre Mamboundou (président de l’Union du Peuple Gabonais ), l’opposant historique de feu Omar Bongo Ondimba, les ténors de l’opposition au président actuel se sont rassemblés au sein de l’Union Nationale. De passage à Paris où il rencontre, ce samedi, la diaspora gabonaise, André Mba Obame, le secrétaire exécutif du nouveau parti, a accordé un entretien à Afrik.com.
Afrik.com : Six mois après l’élection d’Ali Bongo Ondimba, où en est André Mba Obame, l’homme d’une part, et le politicien d’autre part ? Vous sentez-vous encore menacé ?
André Mba Obame : Les menaces, on s’y habitue. On est même plus menacé qu’avant. Quand j’ai annoncé ma candidature à la présidentielle, mes amis ont été surpris. Ils ont cru à un coup de tête. Et puis, il y a eu le coup d’Etat (l’élection d’Ali Bongo Ondimba, ndlr). Ils ont cru que je viendrais à la soupe. Il y a eu des propositions : Premier ministre, etc. J’ai refusé. Maintenant, la population ne veut pas d’Ali. Alors on a continué à travailler. Et l’Union Nationale a vu le jour. Certaines personnes peuvent penser que ce qu’on a fait est éphémère. Mais nous sommes engagés dans un processus politique véritable qui conduira inévitablement à l’alternance.
Afrik.com : C’est à dire ?
André Mba Obame : L’alternance pour installer le changement. Nous avons constaté que la division a toujours freiné le changement. Nous nous sommes dits que les Gabonais méritent mieux. Le geste qui sauve, c’est l’union. C’est important pour la cohésion du pays.
Afrik.com : Selon les dires de plusieurs hommes politiques gabonais, Omar Bongo savait se rallier les opposants même les plus affirmés en leur faisant miroiter richesses et honneurs.
Pensez-vous qu’aujourd’hui, face à de telles méthodes, l’opposition parviendrait à rester unie ?
André Mba Obame : Omar Bongo, ce n’était pas d’abord la mallette. C’était quelqu’un qui prenait le temps de discuter et de convaincre. Pour Ali, les gens on pris l’argent et voté contre. Ils ont dit que c’était l’argent du pays. Omar Bongo, c’était un Monsieur. Tout le contraire de son fils.
Afrik.com : L’Union Nationale déjà engagés dans la course des législatives, qui ont lieu dans un an. A quoi vous servirait un majorité au Parlement ?
André Mba Obame : Nous sommes engagés dans une lutte pour le pouvoir. En obtenant la majorité à l’Assemblée, nous prendrons le poste de Premier ministre, et s’instaurera une cohabitation. On va se battre pour que les élections soient claires. C’est l’un des points que nous avons débattus avec Nicolas Sarkozy (lors de sa visite au Gabon, le 24 février dernier, ndlr). Nous avons demandé au président Sarkozy que la France nous aide pour que les listes électorales soient fiables, pour que soit utilisée la biométrie, que soient redéfinies les attributions de la Cour constitutionnelle – elle est impliquée en amont dans tout ce qui est préparatif, donc elle ne devrait pas juger les contentieux en aval. Et il a dit qu’il allait nous soutenir pour que soit respectée la transparence électorale.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous des premiers mois de la mandature Ali Bongo ?
André Mba Obame : Tout ce mal pour ça ! Il n’a reculé devant rien pendant les élections, et maintenant tout ce gère dans l’amateurisme. Quel gaspillage ! Si l’on prend le dossier du bois, par exemple. On dit qu’on ne veut plus exporter (de grumes brutes, ndlr). C’est bon pour les écolos. Mais le problème, c’est qu’il y a une loi [1] qui avait fixé le délai à 2012. Or, en octobre 2009, on dit qu’à partir de janvier 2010 on n’exporte plus rien. Il y a des entreprises qui avaient des employés. Elles sont en train de licencier. Pourtant, les forestiers l’ont soutenu pendant la campagne, les opérateurs aussi. Mais en quelques mois, il s’est brouillé avec ses principaux soutiens. Un deuxième exemple : la journée continue. Sans négociation, elle a été annoncée le jour du nouvel an. Or, rien n’avait été préparé. Aujourd’hui, c’est une catastrophe. Sans parler du SMIG à 300 000 francs par mois annoncé avant la campagne, de l’expulsion des étrangers – y compris des ressortissants de la CEMAC – dans des conditions déplorables… Que d’amateurisme !
Afrik.com : Ali Bongo, au moins dans ses déclarations, semble vouloir respecter ses promesses électorales. Récemment, il a annoncé, dans l’objectif de rationaliser les dépenses publiques, qu’il mettait en place des mesures pour éradiquer 6000 fonctionnaires fantômes des structures de l’Etat. Il a annoncé des plans d’investissement, dont un de grande envergure à destination de Port-Gentil…
André Mba Obame : Les 43 millions à Port-Gentil, on les finance comment ? Il y a des annonces, des annonces, et au final rien du tout. En juin, revenez demander combien de fonctionnaires fantômes il y a au Gabon, vous n’aurez pas de réponse.
Afrik.com : Pourquoi ?
André Mba Obame : Aux postes de responsabilité, il a mis en place des gens qui ne connaissent pas le système. Même les militaires sont mécontents. Il y a eu des problèmes récemment avec 300 militaires qui étaient à Bangui et qui n’ont pas été payés. Quand ils sont rentrés, ils ont réclamé leur dû. Pendant une semaine, ils n’ont rien reçu. Alors ils ont menacé : « Si demain on n’a pas notre argent, vous verrez ce que vous verrez. » Le lendemain, ils avaient leur argent. D’autre part, l’armée n’a pas été contente de voir toutes ces personnes venir faire le coup de poing au Gabon pendant les élections. Ce n’étaient pas des militaires gabonais. C’étaient des mercenaires de RDC, des Ougandais…
Afrik.com : Pourquoi Nicolas Sarkozy soutient-il Ali Bongo ?
André Mba Obame : Honnêtement, je ne sais pas s’il le soutient. Je pense sincèrement que Nicolas Sarkozy croit en la rupture. Mais, cette rupture, il faut avoir les hommes pour la faire. « Les piliers de la Françafrique sont mes principaux adversaires en France, et vous pensez que je veux que ça continue ? », voilà ce que nous a dit Nicolas Sarkozy.