Le Tour de France, le Giro, la Vuelta, les classiques belges… Merckx, Coppi, Hinault…. la légende du cyclisme s’est forgée en grande partie sur le Vieux Continent. Même si l’apport des cyclistes australiens, et surtout américains, avait déjà contribué depuis les années 1980 à une internationalisation, un véritable virage a été pris ces dernières années.
Entre la volonté de nouveaux pays de prendre part à la grande fête du vélo, et la nécessité d’exister à l’échelle planétaire pour résister à la concurrence des autres sports, l’Union cycliste internationale (UCI) a considéré comme une nécessité le fait de développer mondialement son sport. Comme le défend Philippe Chevallier, directeur du département route à l’UCI, il devenait « impossible de justifier que ce sport demeure uniquement européen ». « Le tournant remonte à 2005. On a mis en place six calendriers différents : le calendrier mondial (ProTour) et cinq circuits continentaux (Europe, Asie, Afrique, Amérique et Océanie). Un vainqueur est désigné sur chacun de ces circuits, même s’il est peu médiatique. Il fallait offrir quelque chose de lisible », justifie Philippe Chevallier, qui affirme : « D’ici dix ans, il y aura à coup sûr une transformation complète du calendrier. »
Depuis, on assiste à une explosion d’épreuves, phénomène qui génère un intérêt accru dans des contrées peu habituées jusqu’à présent au cyclisme de compétition. « En Argentine, le tour de San Luis prend de l’ampleur, et des équipes du ProTour vont même y préparer leur saison en janvier. En Chine, le tour du Hainan ou le tour de Qinghai Lake sont très populaires », raconte le dirigeant de l’UCI.
COURIR DU 1er JANVIER AU 31 DÉCEMBRE
Pour le directeur de Cofidis, Francis Van Londersele, « la nouvelle donne vers un cyclisme mondialisé est inéluctable ». « Un jour, il y aura des courses inscrites au calendrier mondial sur les cinq continents. On peut déjà aujourd’hui courir du 1er janvier au 31 décembre », constate-t-il. Marc Madiot, son homologue de La Française des jeux, est aux premières loges de cette évolution : « Le DownUnder (Australie) compte depuis 2008 pour le classement mondial. Le tour de Pologne s’est installé depuis 2005. Et cette année, deux courses organisées au Canada comptent également pour le calendrier mondial [Grands Prix du Québec et de Montréal]. » Avec ses coureurs, Madiot a déjà couru en Afrique du Sud, en Serbie ou au Gabon, par exemple, et il a reçu une invitation pour la Chine en juillet.
Cette évolution inquiète les deux professionnels français. « Il ne faut pas que ces épreuves se développent au détriment du patrimoine historique des courses européennes. Et la question de la pérennité de nos équipes françaises se pose également », plaide Marc Madiot, qui semble craindre cette concurrence nouvelle. Francis Van Londersele confirme : « Ce mouvement peut mettre en péril un certain nombres d’équipes et de courses au niveau européen et français. Si l’on veut faire évoluer le cyclisme dans l’esprit d’un calendrier mondial à l’image de la Formule 1, il faut entreprendre une réflexion d’ensemble de réorganisation de ce sport. »
RESPECTER LE PATRIMOINE HISTORIQUE
A l’UCI, Philippe Chevallier explique « comprendre ces craintes », mais tient à rassurer les acteurs traditionnels du cyclisme. « Bien sûr qu’il y aura un souci pour les courses moyennes, mais il n’est pas question de sacrifier des épreuves », explique l’ancien coureur français. « Il y a un manque de jours de course dans certaines périodes, et puis d’autres disparaissent naturellement. Nous respectons les épreuves historiques », ajoute-t-il. A certaines exceptions près déjà citées précédemment (tour DownUnder et Canada notamment), le mouvement de mondialisation du cyclisme instaure de fait une sorte de deuxième division, des courses de second ordre qui intéressent localement ou régionalement mais qui n’ont pas encore trouvé leur audience globale. « Nous allons vers un sport mondial et un sport de deuxième division », constate Francis Van Londersele.
Cette saison, l’équipe Cofidis n’est ainsi plus classée ProTour (18 équipes). Elle n’a donc pas été conviée à participer au DownUnder du 19 au 24 janvier. Francis Van Londersele a, dès lors, décidé d’emmener ses coureurs en Afrique. « La meilleure façon de remplacer l’Australie nous a semblé être la Tropicale Amissa Bongo. Par le passé, d’autres équipes françaises y avaient participé. Nous sommes donc partis dans une optique de préparation de la saison européenne », explique le directeur sportif de Cofidis. L’expérience a été plutôt satisfaisante. « Samuel Dumoulin a gagné une étape, mais certains coureurs ont connu quelques mésaventures intestinales », relate Van Londersele.
UN INTÉRÊT EN CHINE, EN AFRIQUE
La course gabonaise a été créée en 2006. Jean-Claude Hérault, ancien DGA du Tour de France pendant dix ans, est un des organisateurs de la Tropicale. Il a également géré de 2001 à 2007 le tour du Faso et organisé en 2008 le tour ivoirien. A ce titre, il possède une belle expérience du cyclisme africain. « Le tour du Faso existe depuis vingt-trois ans, le cyclisme en Afrique n’est donc pas une terre vierge. Mais, ces dernières années, l’évolution est rapide. Cette année, des tours ont lieu au Mali, au Cameroun, en Erythrée, au Rwanda ou encore au Sénégal… », rappelle-t-il. Comme l’évoque Philippe Chevallier, l’objectif de ces épreuves est la confrontation entre le cyclisme professionnel et le cyclisme local. « L’idée est de développer le vélo sur la planète. Si l’on veut obtenir un cyclisme de haut niveau mondialisé, la confrontation et les rencontres sont obligatoires. »
Pour ce faire, l’UCI a mis en place une règle qui permet aux organisateurs d’inviter jusqu’à 50 % d’équipes professionnelles. Pour cette édition, Cofidis, Bbox ou AG2R ont participé. « Il faut permettre aux équipes africaines sélectionnées de se frotter au niveau professionnel européen. Des têtes d’affiche comme Moncoutié ou Voeckler sont à ce titre essentielles », affirme Jean-Claude Hérault.
L’éclosion d’épreuves un peu partout dans le monde contribuera-t-elle pour autant à une diversification des origines des coureurs de l’élite se pose. Pourra-t-on un jour voir des coureurs africains s’illustrer dans les épreuves reconnues ? « Il y a un brassage important grâce à la multiplication des épreuves. L’Erythrée, le Kenya ou le Rwanda ont des cyclistes remarquables », déclare l’organisateur français. Les performances des Africains sont d’ailleurs en nette amélioration. « Dans les 40 premiers au classement de la Tropicale cette année, on retrouve 24 coureurs africains non professionnels », se félicite-t-il.