Jean-Marc Sauvé a ouvert le défilé des témoins, mardi 20 avril, devant la Cour de justice de la République. Actuel vice-président du Conseil d’Etat, sa carrière de haut fonctionnaire a croisé pendant deux ans celle de l’ancien ministre de l’intérieur. M. Sauvé était alors directeur des libertés publiques place Beauvau et comptait, dans ses attributions, l’instruction des demandes d’autorisation de jeux. Parmi elles, l’exploitation du casino d’Annemasse (Haute-Savoie) qui vaut à M. Pasqua d’être poursuivi pour « corruption passive par dépositaire de l’autorité publique ».
A deux reprises, sous les prédécesseurs socialistes de M. Pasqua, en 1991 et en 1992, le dossier d’agrément présenté, à travers une société dont l’un des dirigeants est Robert Feliciaggi, est refusé à l’unanimité par la commission des jeux, notamment en raison de la « personnalité » des investisseurs. Ceux-ci apparaissent en effet très liés à Michel Tomi, gérant du casino de Bandol (Var), mis en examen pour abus de biens sociaux et dont l’établissement a fait l’objet d’une fermeture administrative.
Arrive M. Pasqua, qui connaît bien les deux hommes, et réapparaît la demande, accompagnée d’une note du directeur adjoint de son cabinet, Claude Guéant, demandant « d’accélérer » son examen. M. Sauvé réitère ses réserves en évoquant les « renseignements défavorables » sur les investisseurs et le « manque de transparence » sur l’origine des fonds investis. La commission des jeux partage son point de vue et la demande est rejetée.
Quelques semaines plus tard, elle est à nouveau déposée et là, ô miracle, le rapport du commissaire des renseignements généraux (RG) chargé des courses et des jeux explique que « rien ne permet plus de douter de l’honorabilité des postulants ». On découvrira plus tard que les dossiers personnels de MM. Feliciaggi et Tomi détenus par les RG ont été expurgés.
A l’unanimité, moins une voix – celle de M. Sauvé -, la commission émet un nouvel avis négatif. « Vous étiez en service commandé ? », demande le président Henri-Claude Le Gall au témoin. « J’ai reçu des instructions contraires à mes propositions et je les ai exécutées », répond M. Sauvé. Le dossier contient une note paraphée par M. Pasqua : « Donner autorisation. CP ».
En mars 1994, M. Sauvé est nommé préfet de l’Aisne. L’autorisation d’exploitation sera accordée à Robert Feliciaggi après son départ, le 21 mars 1994. Acheté 5 millions de francs (762 000 euros), le casino d’Annemasse, doté d’une autorisation en bonne et due forme d’exploitation des jeux, sera revendu un peu plus tard par MM. Feliciaggi et Tomi 105 millions de francs.
Jacques Reiller, à l’époque sous-directeur des libertés publiques et actuel préfet de l’Essonne, vient à la barre. C’est peu dire qu’il est mal à l’aise lorsque le président et l’avocat général évoquent des Post-it retrouvés dans le dossier du casino d’Annemasse. « Un peu sensible », avait écrit sa collaboratrice. « Beaucoup. Mais le dossier est tellement indéfendable ! », avait-il ajouté de sa main. « Attention dynamite ! », notait encore sa collaboratrice. Le préfet se racle la gorge, derrière lui, M. Pasqua l’observe, impassible. « Bien, faites entrer M. Guéant », demande le président à l’huissier.
« JE N’AI JAMAIS VU ÇA »
Le secrétaire général de l’Elysée marche d’un pas assuré dans le prétoire, jure de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». L’avocat général, Yves Charpenel, qui l’a fait citer comme témoin, se lève. « Avez-vous apporté un soin particulier au dossier d’Annemasse ? – Non. – Aviez-vous des éléments sur les relations entre MM. Tomi, Feliciaggi et le ministre ? – Non. » L’avocat général se rassoit. Le secrétaire général de l’Elysée s’en va.
Daniel Anceau, ancien commandant de police à la sous-direction des jeux, entre à son tour. De cette affaire du casino d’Annemasse, il garde, lui, un souvenir très précis. « C’était un dossier téléguidé. En quinze ans de jeux, je n’ai jamais vu ça. De noir, il est subitement passé blanc-bleu », raconte-t-il. M. Pasqua ne cille toujours pas. Mais voilà que s’avance à la barre Marthe Mondoloni, la fille de M. Tomi, tout de noir vêtue. « Présidente du PMU Gabon », annonce-t-elle comme profession. En 1999, elle a été « très honorée » que M. Pasqua la sollicite pour figurer sur sa liste aux européennes en lointaine position. « Et puis, c’était par rapport à la parité, il avait besoin de femmes », dit-elle.
Quand son père lui a demandé de prélever sur son compte de Monaco la somme de 7,5 millions de francs pour contribuer au financement de la liste, elle a obtempéré parce que « M. Pasqua est un ami de la famille ». Avec le financement public obtenu grâce aux résultats, elle en a récupéré 5, et ne s’est pas préoccupée des 2,5 millions restants. Quand on lui pose des questions précises, Mme Mondoloni n’a pas beaucoup de souvenirs : « A l’époque, mon fils s’était cassé les vertèbres, et j’ai eu mon cerveau qui s’est mis au repos. »
Pascale Robert-Diard
Article paru dans l’édition du 22.04.10