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Sommet Afrique – France : liberté de la presse, l’Afrique à deux vitesses

Le XXVe Sommet Afrique – France a lieu cette année à Nice du 31 mai au 1er juin 2010. 52 Etats africains sont invités à participer aux discussions, ainsi que les représentants de l’Union européenne, de l’Organisation Internationale de la Francophonie, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, de la Commission de l’Union africaine et de la Banque mondiale.

Le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, tiendra trois réunions à huis clos avec l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement sur les enjeux politiques majeurs du 21ème siècle : la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale ; renforcer ensemble la paix et la sécurité ; le climat et le développement.

Des rencontres de travail sont prévues entre les différents ministres compétents dans les domaines économiques. Le sommet s’ouvrira pour la première fois de son histoire aux forces vives africaines et françaises : 80 entrepreneurs français et 150 entrepreneurs africains sont attendus pour contribuer aux travaux. Ayant parmi ses thèmes centraux le rôle de l’entreprise dans le développement et l’emploi en Afrique, le XXVe sommet est résolument tourné cette année vers l’économie et le monde de l’entreprise.

La place accordée aux questions économiques et de développement ne saurait cependant occulter l’importance de renforcer la liberté de la presse et la liberté d’expression, principes sans lesquels n’est possible aucun fonctionnement démocratique, préalable à un développement économique juste et socialement efficace, car vecteur de cohésion sociale. Ces questions sont cruciales pour le continent africain, longtemps poursuivi par son image de corruption et de sous-développement.

Il existe aujourd’hui une Afrique à deux vitesses : celle des pays vertueux, les plus respectueux de la liberté de la presse et du travail des journalistes, et celle de pays comme la Gambie ou le Rwanda, qui perçoivent le journaliste comme un ennemi. La richesse du paysage médiatique malien n’a rien à voir avec l’absence totale de médias indépendants en Erythrée. Un professionnel de l’information au Ghana dispose d’une capacité d’expression et d’une liberté de ton infiniment plus grandes que son confrère de Guinée équatoriale. Quant à la France, hôte de ce sommet, elle aurait elle-même beaucoup à apprendre des quelques pays africains qui ont, depuis plusieurs années, fait la preuve de leur calme et de leur tolérance vis-à-vis des journalistes.

Les droits fondamentaux, préalables au développement

La situation de la liberté de la presse en Afrique est contrastée, comme l’est la situation politique du continent en général. Un tiers des pays africains sont dirigés par un chef d’Etat issu de l’armée ou de la rébellion, des crises internes minent le Soudan, la Somalie, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Plusieurs pays comme le Liberia et la Sierra Leone ont de grandes difficultés à exorciser leurs vieux démons.

Un chef d’Etat africain est sous le coup d’un mandat d’arrêt international et de sept chefs d’inculpation dont ceux de génocide et de crimes contre l’humanité : le président du Soudan nouvellement réélu, Omar el-Béchir. Plusieurs dictateurs délirants, comme Teodoro Obiang Nguema, « Dieu de la Guinée équatoriale », ou Issaias Afeworki en Erythrée, sorte de Roi Lear convaincu de défendre son peuple contre une guerre imaginaire, se maintiennent grâce en partie au manque de volonté politique des organisations régionales et dans l’indifférence de la communauté internationale. Les situations en Côte d’Ivoire et au Zimbabwe sont volatiles.

Tous ces régimes occultent malheureusement les réussites de certains Etats et les efforts des autres. Car le continent africain abrite également des pays porteurs d’une vraie tradition démocratique, comme l’Afrique du Sud, le Mali, le Bénin ou, dans une moindre mesure, le Sénégal. D’autres encore vivent dans les contradictions permanentes. A cet égard, le contraste entre une Tunisie économique dont le niveau de développement la rapproche des standards européens et une Tunisie politique qui la renvoie dans le cercle des Etats autoritaires peu fréquentables est saisissant.

Les différences politiques, culturelles, linguistiques, les différences d’avancement économique et d’intégration dans le commerce mondial, mais aussi les décalages observés dans le respect des libertés fondamentales devraient inciter à parler des Afriques plutôt que de l’Afrique.

L’espoir est en Afrique

La Cap Vert, le Ghana, le Mali, l’Afrique du Sud, la Namibie, le Burkina Faso, le Botswana, le Liberia, Maurice, la Tanzanie, la République centrafricaine, les Comores, le Mozambique (82e), et quelques autres figurent en bonne position dans le classement de la liberté de la presse, établi chaque année par Reporters sans frontières. En octobre 2009, quatre de ces Etats se trouvaient devant la France, placée seulement à la 43e position.

Reporters sans frontières suit de près les évolutions porteuses d’espoir, comme en Mauritanie où, depuis le renversement de la dictature de Maaouiya Ould Taya en 2005, les verrous de la censure ont été levés et règne une meilleure condition de travail des journalistes. Il faut également saluer la tenue des états généraux de la communication, du 29 au 31 mars 2010, à Niamey, au Niger, ainsi que la réouverture de la Maison de la presse et l’examen d’un avant-projet de loi portant sur la dépénalisation des délits de presse. Un projet de loi prometteur également nourrit l’espoir d’un changement de situation pour la presse au Zimbabwe. Fin mars 2010, le Premier ministre, Morgan Tsvangirai, a rappelé quelles étaient les priorités de son gouvernement : la présentation devant le Parlement d’un projet de loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Bill) et d’un projet de loi sur les professionnels des médias (Media Practitioners Bill).

Même si la situation n’est pas totalement rose, y compris dans les pays plébiscités par Reporters sans frontières pour leurs efforts ou leurs avancées, même si certains acquis restent fragiles, les pays d’Afrique bougent.

Et ils sont face à de grands défis : la forte polarisation des groupes de presse, à Madagascar par exemple, où les médias ne parviennent pas à s’extraire des clivages politiques ; l’affiliation ethnique dans certaines régions ; le manque de formation des journalistes qui semble une constante sur tout le continent ; la censure, comme récemment réintroduite en Ethiopie, au Soudan ou au Rwanda ; le degré élevé de violence, en Somalie, au Nigeria, en République démocratique du Congo ; l’absence de culture démocratique chez les partisans politiques, comme en a pu faire l’expérience tout récemment le journaliste mozambicain Salomao Moyana, directeur de l’hebdomadaire Magazine Independente, victime de menaces de mort de la part de sympathisants du parti Résistance nationale du Mozambique (RENAMO) ; la dépénalisation des délits de presse, question cruciale illustrée par la tragédie du journaliste Germain Ngota, dit Bibi Ngota, mort en prison au Cameroun après un mois de détention préventive… Il existe encore trop de pays où les journalistes font attention de ne pas dépasser la fameuse « ligne rouge » ; trop de régimes assimilent liberté d’expression à risque d’instabilité politique !

Indépendance n’est pas liberté

Le XXVe sommet se déroule cette année dans une ambiance particulière pour le continent africain puisque 17 pays fêtent leur accès à l’indépendance. Par ordre chronologique, le Cameroun, le Sénégal, le Togo, Madagascar, la République démocratique du Congo, la Somalie, le Bénin, le Niger, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, le Mali, le Nigeria et la Mauritanie.

Il s’agit d’un moment privilégié pour une nation, moment qui consiste à revenir sur son passé, sur ses réussites et ses échecs, de formuler une vision de l’avenir, ses choix de construction politique et sociale. Dans ce contexte, Reporters sans frontières appelle les nations africaines à placer la liberté de la presse au cœur de leur projet d’avenir, pilier de la démocratie, condition incontournable de tout progrès humain.

Dans ce contexte également, les pays les plus avancés dans ce domaine que sont le Ghana, le Mali, ou la Namibie, ont un rôle indéniable à jouer auprès de leurs voisins. Ils devraient rendre compte aux autres pays du continent noir, comme parfois à la France, de leur expérience, faire part de leurs vécus, expliquer comment leurs paysages médiatiques respectifs ont pris naissance, comment la profession s’est constituée et ce que la liberté de la presse a apporté en cohésion sociale, en stabilité politique, en renforcement des institutions.

Reporters sans frontières appelle également à une plus forte intégration politique régionale et que des organisations comme L’Union africaine (UA) s’investissent dans la question de la liberté de la presse, qu’elle la prenne à bras-le-corps, soit moteur de l’échange des pratiques et des valeurs, afin de pousser tout le continent vers le haut. Car l’Afrique a beaucoup à apprendre d’elle-même.

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