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La Françafrique version Sarkozy

Il avait promis « une relation nouvelle » entre la France et l’Afrique. Une promesse en partie tenue, mais pas vraiment sur le registre attendu…
Promis, juré, craché ! La Françafrique, c’est fini. Finis, les « réseaux d’un autre temps », les « émissaires officieux », les « complaisances » et les « secrets ». A bas le « mythe » qui prête à la France « la faculté de redresser les situations, de rechercher des intérêts économiques que nous n’avons pas et d’être capables d’assurer la stabilité ou de créer l’instabilité dans un pays. » Désormais, avec l’Afrique, « il nous faut construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé. »
Cette profession de foi, prononcée à Cotonou, le 19 mai 2006, le candidat de la « rupture » l’avait même gravée dans le marbre en l’inscrivant dans son programme : « Je favoriserai le développement des pays pauvres, en cessant d’aider les gouvernements corrompus. (…) On ne fera pas bouger les choses par le seul tutoiement entre le chef de l’Etat français et ses homologues du continent, mais par la conscience collective d’un intérêt commun ».
« La politique africaine est pilotée par les réseaux Guéant-Bourgi »
Un projet sacrément prometteur que vont prendre à la lettre le secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie Jean-Marie Bockel et le « Monsieur Afrique » de la cellule diplomatique de l’Elysée Bruno Joubert, ce qui leur vaudra le surnom de « rénovateurs ». Las, l’illusion d’une volonté de changement aura été de courte durée. L’éviction du premier, le 18 mars 2008, à la faveur d’un mini-remaniement, et le départ du second, le 16 septembre 2009, vont faire éclater au grand jour l’incohérence du chef de l’Etat sur le dossier de la Françafrique.
Car, derrière leur disgrâce, il y a un seul et même homme, répondant au titre d’ »émissaire officieux », ces fameux intermédiaires que Nicolas Sarkozy avait pourtant promis de faire disparaître. Il s’agit de l’avocat Robert Bourgi, qui se réclame de l’héritage de Jacques Foccart, l’homme des réseaux africains sous le général de Gaulle, et auquel, il faut le rappeler, le chef de l’Etat a décerné la Légion d’Honneur le 27 septembre 2007. Tout un symbole !
C’est lui, comme il s’est plu à le raconter dans les médias, qui a demandé à l’Elysée, au nom du président gabonais Omar Bongo, la tête de Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir publiquement dénoncé, le 15 janvier 2008, en preux chevalier, la persistance des pratiques affairistes et des réseaux officieux, et annoncé solennellement vouloir « signer l’acte de décès de la « Françafrique ». C’est lui aussi qui a poussé vers la sortie Bruno Joubert : ce serait parce qu’il était las de guerroyer contre Robert Bourgi, qui, estimait-il, « n’a pas cessé de jouer à contre-pied de ce qu’est la politique française » en Afrique, qu’il aurait fini par jeter l’éponge (Le Monde, 17 octobre 2009). Et c’est encore lui qui a soutenu la candidature controversée de Dov Zerah, dont il est réputé proche, au poste de directeur général de l’Agence française de développement. Sa nomination, intervenue la semaine dernière, suscite déjà des craintes sur la politique qui sera menée par cette institution clé de l’aide au développement sénégalaise, et comptait bien rempiler pour les 25 prochaines années. Mais Dakar en a décidé autrement, préférant attribuer le contrat à la société Dubaï Ports World, en octobre 2007. Paris n’a pas vraiment apprécié. Le 17 juin 2008, puis le 26 août, Karim Wade, fils et conseiller spécial du président sénégalais Abdoulaye Wade, était reçu à l’Elysée pour une séance d’explications, racontent les journalistes Antoine Glaser et Stephen Smith. Et le fils de faire miroiter, en guise de compensation, le projet de construction d’une centrale nucléaire par un consortium de sociétés françaises composé d’Areva, Bouygues et EDF. Celui qui se verrait bien prendre les rênes du pays dans la foulée de son père compterait-il sur le soutien de la France pour mener à bien cette opération succession ?
Au Niger, Nicolas Sarkozy a décroché de haute lutte, face aux appétits chinois, l’accord entre Areva et les autorités nigériennes pour l’exploitation de l’immense gisement d’uranium d’Imouraren, dans le Nord du pays. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il a le plus explicitement résumé sa politique africaine : « Au Niger, la France a des intérêts, elle les assume et les promeut, en toute transparence ». Effectivement, on sait qu’il était intervenu en 2007, alors que les relations entre Areva et Niamey étaient au bord de la rupture, pour calmer le jeu, s’engageant à fournir à l’armée nigérienne, aux prises avec la rébellion touareg, des véhicules de reconnaissance et à rénover 35 automitrailleuses. Et on imagine que s’il s’accommode de la junte, qui, après avoir pris le pouvoir lors du putsch de février 2010, a donné l’assurance que le contrat signé par Areva ne serait pas remis en cause, ce n’est pas seulement parce qu’elle a promis des élections.
Au Togo, alors que Vincent Bolloré était entré en guerre avec la société espagnole Progosa pour le contrôle du port autonome de Lomé, le chef de l’Etat français se serait mêlé de la partie, à en croire Le Canard enchaîné du 6 février 2008, en glissant à son homologue togolais Faure Gnassingbé : « Bolloré est sur les rangs. Quand on est ami de la France, il faut penser aux entreprises françaises ».
La liste est longue…
Témoin de cette offensive économique de la politique africaine de la France, le sommet France-Afrique 2010 accueille, pour la première fois, en plus des chefs d’Etats, deux cent trente entreprises françaises et africaines. Car, consciente que sa main-mise sur son pré carré est menacée, la France cherche aussi à établir des relations ailleurs sur le continent, comme avec l’Etat pétrolier du Nigeria ou l’Afrique du Sud, pour trouver de nouveaux débouchés à ses entreprises. « Celui qui n’aurait pas deux fers au feu dans le monde où nous vivons serait bien imprudent », reconnaissait Alain Joyandet (Le Monde, 26 mars 2009).
C’est, peut-être, dans cette phase de Françafrique caricaturale que nous sommes en train de vivre les derniers moments de la relation particulière qui liait Paris et ses anciennes colonies. Pas sûr que les nouvelles générations africaines voudront se tourner vers une France qui « n’a plus un kopeck à mettre dans sa politique africaine », comme l’affirme Jean-François Bayart, qui ne vise plus qu’à accroître ses parts de marchés et qui « humilie » l’Afrique par sa politique en matière d’immigration. On pourra alors dire que Nicolas Sarkozy aura finalement été en rupture avec le passé, mais, cela va sans dire, sans gloire.

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