Le temps passe vite et les souvenirs s’effacent. Il y a un an, le 8 juin 2009, dans le silence aseptisé d’une clinique barcelonaise, s’éteignait l’une des figures les plus emblématiques – et les plus controversées – de l’Afrique francophone postcoloniale. Que reste-t-il, aujourd’hui, d’Omar Bongo Ondimba ? Une succession dynastique tout d’abord, qui, à l’instar de celles de Hassan II et de Gnassingbé Eyadéma, s’est jouée sur le mode classique du fils tiraillé entre rupture et continuité. Rompre avec cette figure de la loi qu’est le père, certes, ne serait-ce que pour s’imposer face aux gardiens du temple et s’affranchir des doutes qui, en dépit du passage obligé par les urnes, se posent inévitablement sur la légitimité de l’héritier. Mais ne pas aller trop loin dans ce sens, car « blâmer son père, c’est se flétrir », comme le disait Confucius, et parce que, dans le fond, il s’agit avant tout de faire fructifier son héritage. D’où cette priorité accordée au changement de style, de collaborateurs, de langage, de look, de méthode de travail, bref de tout ce qui se voit, mais qui demeure in fine cosmétique, en attendant la vraie fracture, celle qui s’attaquera au noyau des rapports opaques entre le pouvoir et l’argent.
Cette sourde continuité sous les paillettes de la rupture, Ali Bongo Ondimba la pratique au quotidien, comme tous les « fils de… ». En Afrique, il est vrai, on ne tue pas le père au sens où l’entendait Sigmund Freud, on l’estompe, on le fige, on le totémise, on l’imite tout en prenant soin de multiplier les lignes de démarcation : « Lui, c’était lui ; moi, c’est moi… » Sur ce dernier point, il faut le reconnaître, Ali ne fait pas vraiment dans la dentelle. Le côté chef de village, paternel, attentif, redistributeur dans tous les sens du terme du « vieux » a cédé la place à une conception quasi sarkoziste de la gouvernance : ni palabres ni états d’âme, et tant pis pour ceux qui croient pouvoir se prévaloir de l’amitié ou (pire) de la générosité du père pour être reçus par le fils. C’est le meilleur moyen de trouver porte close. L’argent, certes, est toujours là. Mais il se gère dans la discrétion, loin des enveloppes et des mallettes. Pour un peu, le successeur d’OBO passerait pour pingre, laissant les orphelins de papa noyer leur frustration dans l’amertume, quand ils ne la monnayent pas auprès de ses rivaux.
Car s’il est un domaine dans lequel Ali Bongo Ondimba n’a pas remplacé son père et ne pouvait le faire, c’est bien celui du leadership régional. Aux yeux de ses pairs d’Afrique centrale, même s’il est quinquagénaire, il reste « le petit », avec tout ce que ce qualificatif véhicule de soupçons d’ingratitude. Lui se comporte comme s’il n’en avait cure, jouant volontiers perso et solo sans craindre d’agacer ses voisins. Le Gabon avait fini par lasser son père ? Il s’affiche « Gabon first », comme avant lui Mohammed VI (l’un de ses modèles, avec Sarkozy) avait replacé le Maroc au cœur de ses préoccupations. Quant aux Gabonais, persuadés que le « vieux » ne s’intéressait plus guère à eux au point de se sentir oubliés, ils semblent apprécier ce recentrage nationaliste. Dans son cercueil du caveau familial de Franceville – où qu’il se trouve, en réalité –, Omar Bongo Ondimba médite peut-être sur cet aphorisme célèbre de Jules Renard : « Un père a deux vies, la sienne et celle de son fils. » En attendant que vienne le temps, inéluctable, de la nostalgie…