Une équipe internationale menée par Abderrazak El Albani, géologue au laboratoire Hydrasa (CNRS-université de Poitiers), vient de découvrir l’existence d’organismes vivants datant de 2,1 milliards d’années. Ils ont été mis au jour dans une carrière de grès noir du site d’Oklo, près de Franceville (Gabon). Auparavant, on pensait que l’apparition des premiers véritables organismes vivants, constitués de plusieurs cellules, dataient d’il y a 600 millions d’années
Comment se présentent les fossiles mis au jour ?
De simples ardoises noires. C’est l’aspect des mille-feuilles extrêmement fins d’argiles au sein desquels Abderrazak El Albani et son étudiant gabonais Frantz Ossa-Ossa ont découvert, de façon inattendue, 250 petits fossiles (de 6 à 10 cm) pouvant être concentrés jusqu’à 40 spécimens au demi-mètre carré. Trop grands et trop complexes pour être de simples êtres primitifs (des êtres encore dépourvus de noyaux, ou bien des êtres constitués d’une seule cellule), ces spécimens présentaient des formes diversifiées dont certaines pouvaient ressembler à des méduses, gorgées d’eau et de consistance molle. Écrasés entre deux dépôts d’argiles lors du processus de fossilisation, certains êtres ressemblent à une oreille humaine, avec un renflement au centre et un pavillon doté de rayons. D’autres ont une forme de cœur ou de cercle, toujours avec un nodule au centre.
Est-on sûr qu’il s’agit bien d’êtres vivants ?
« La morphologie de ces structures ne peut s’expliquer par des mécanismes purement chimiques ou physiques, affirme Abderrazak El Albani. Il y a donc eu intervention d’un être vivant. » Pour le prouver, les chercheurs ont fait appel à deux techniques de pointe : une sonde ionique, puis un scanner. Ils ont ainsi pu distinguer ce qui reste de la matière vivante (qui s’est transformée en sulfure de fer ou pyrite) de la roche elle-même. Avec le scanner, les scientifiques ont pu reconstituer les échantillons en trois dimensions : « La forme aboutie et régulière de ces fossiles indique un degré d’organisation pluricellulaire élevé, avec un axe de symétrie, explique le chercheur. Ces organismes vivaient en colonies, dans une mer peu profonde (20 à 30 m), et ont pu se développer et atteindre un tel niveau de complexité grâce à l’augmentation significative mais temporaire de la concentration en oxygène de l’atmosphère entre 2,45 et 2 milliards d’années. »
Qu’est-ce que cela change pour l’histoire du vivant ?
Jusqu’à présent, on supposait que la vie multicellulaire organisée était apparue il y a environ 600 millions d’années et qu’avant, la Terre était peuplée de microbes (virus, bactéries, parasites). Cette découverte déplace le curseur de l’origine de la vie multicellulaire de 1,5 milliard d’années et révèle que des cellules avaient commencé à coopérer entre elles pour former des unités plus complexes et plus grandes. Le très bon état de conservation des fossiles est dû à la particularité du bassin gabonais : une cuvette de sédiments de 35 000 km², épaisse de 2 000 m, totalement protégée des déformations des plaques par une robuste muraille de roches granitiques. « Rare et probablement unique, cet endroit doit absolument être protégé », insiste Abderrazak El Albani, qui entend faire appel à Nicolas Sarkozy afin qu’il agisse en ce sens auprès du président gabonais Ali Bongo.
Denis SERGENT