Plusieurs dizaines de fossiles d’organismes multicellulaires datés de 2,1 milliards d’années ont été découverts dans le bassin de Franceville au Gabon.Il faudrait tout récrire : les manuels de biologie, mais aussi toute l’histoire de la vie. La découverte, publiée jeudi 1er juillet à la « une » de la revue Nature, de plusieurs dizaines de fossiles d’organismes multicellulaires datés de 2,1 milliards d’années, promet de secouer comme jamais le landerneau des paléobiologistes. Car, à lire les travaux dirigés par le sédimentologue Abderrazak El-Albani, chercheur au laboratoire Hydrasa (CNRS et université de Poitiers), les premières formes de vie complexes sont apparues 1,5 milliard d’années plus tôt que les estimations actuelles.
Tout commence en janvier 2008, dans le bassin de Franceville, dans le sud-est du Gabon, dans une région étudiée de longue date, principalement fréquentée pour sa richesse en manganèse et en uranium. Trois géologues, Paul Sardini, Frantz Ossa Ossa, un jeune thésard, et Abderrazak El-Albani, prélèvent des échantillons sur le site d’une carrière de grès. « La thèse portait sur des questions de paléoenvironnement et nous ne nous attendions pas à trouver des fossiles », explique M. El-Albani. De retour à Poitiers, l’examen des photographies et des échantillons suggère que certains motifs imprimés dans la roche pourraient être d’origine biologique.
« Abderrazak El-Albani est venu me voir en me disant : « Je suis comme une poule qui a trouvé une bicyclette ! Sais-tu à qui je pourrais montrer ça ? », raconte le paléontologue Philippe Janvier (CNRS et Muséum national d’histoire naturelle), grand spécialiste des premiers vertébrés. Et il est vrai que ce qu’il me montrait était extrêmement bizarre. » C’est finalement le paléontologue Stefan Bengtson (Muséum national d’histoire naturelle de Suède) qui, avec une vingtaine de chercheurs de seize institutions, mènera l’analyse aux côtés de M. El-Albani.
La densité d’organismes, une quarantaine par demi-mètre carré analysé, est surprenante. Non moins que leur taille, qui peut atteindre une douzaine de centimètres. Au total, les auteurs documentent près de 250 spécimens de ces êtres au corps mou et gélatineux, « qui ne présentent aucune ressemblance avec quoi que ce soit de connu », selon M. Janvier.
Surtout, la datation des fossiles – 2,1 milliards d’années – paraît insensée. Car, si la vie stricto sensu est apparue tôt dans l’histoire de la Terre – il y a sans doute quelque 3,8 milliards d’années -, les scientifiques penchaient jusqu’ici pour une émergence beaucoup plus tardive des formes de vie complexes. Les premiers fossiles en attestant étant datés de 600 millions à 700 millions d’années seulement. Il y a 2,1 milliards d’années, seule l’existence d’êtres unicellulaires – en particulier des bactéries et des archées – était présumée.
Comment être sûr que les formes estampées dans les sédiments du bassin de Franceville ne sont pas des artefacts ? Qu’ils ne sont pas de simples motifs minéraux, créés par les remous des fonds marins, sur lesquels ils ont été figés il y a quelque 2 milliards d’années ? Fossiles ou « pseudo-fossiles » ? L’histoire de la paléontologie est jalonnée d’âpres et insolubles controverses sur la nature des empreintes retrouvées dans la pierre.
Cette fois, grâce à la microtomographie à rayons X, les auteurs ont d’abord élucidé la structure interne de ces êtres, dévoilant une organisation spatiale complexe, une délicate collerette enrobant des tissus centraux plus denses. Afin d’exclure le moindre doute, les chercheurs ont ensuite analysé le carbone et le soufre des fossiles. Les différents isotopes de ces deux éléments ne laissent guère de doute : ces empreintes sont bel et bien des traces de vie.
Comme souvent les trouvailles importantes, celle-ci pose plus de questions qu’elle ne propose de réponses. « Ce qui est très troublant, c’est que cette découverte semble remettre en cause l’horloge moléculaire », dit ainsi M. Janvier. Cette « horloge » – fondée sur l’estimation du rythme moyen de mutations génétiques – permet de construire des arbres phylogénétiques, c’est-à-dire de bâtir la généalogie du vivant et d’en dater les embranchements. A en croire ce tic-tac génétique, le premier eucaryote – l’ancêtre commun aux animaux, aux plantes, aux champignons et aux protistes – remonterait à environ 1,6 milliard d’années. Comment, alors, expliquer que des eucaryotes multicellulaires soient déjà présents un demi-milliard d’années plus tôt ? Une telle éventualité conduirait à penser que l’horloge moléculaire est lourdement biaisée. Et ce, dit M. Janvier, « en dépit d’une très abondante littérature »…
L’article publié dans Nature ne tranche pas tout, loin s’en faut. Il laisse une marge d’interprétation. « Il faut être prudent. Il n’est pas du tout exclu qu’il s’agisse en réalité d’agrégats de procaryotes, estime le systématicien Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Dans ce cas, on pourrait avoir affaire à des macrostructures microbiennes. » Et l’horloge moléculaire, comme les grands cadres chronologiques de l’histoire du vivant, serait sauve.
Simples assemblages de procaryotes – c’est-à-dire de microbes ? Eucaryotes multicellulaires – c’est-à-dire êtres macroscopiques et complexes ? Dans les roches étudiées, la présence possible de stérane, un biomarqueur signant l’activité de cellules eucaryotes, appuie plutôt la seconde hypothèse. Mais la période considérée est si lointaine qu’il faut peut-être voir autrement la question. « A mon sens, il faut se sortir de la tête toute comparaison avec ce que nous appelons eucaryotes et procaryotes, estime Hervé Le Guyader, biologiste de l’évolution (université Paris-VI). C’est précisément cela qui est passionnant : ce sont peut-être des formes de vie qui n’ont rien à voir avec celles que nous connaissons. » « C’est un peu comme si on découvrait des organismes extraterrestres ! », renchérit M. Janvier.
En outre, comment comprendre l’absence de fossiles entre 2,1 milliards et 600 millions d’années, âge des plus anciens fossiles retrouvés jusqu’ici, dans les collines d’Ediacara, en Australie ? Comment interpréter ce « trou » gigantesque de près d’un milliard et demi d’années, au cours duquel les paléontologues ne retrouvent aucune trace semblable ? Certains n’excluent pas que les formes de vie fossilisées dans les argiles gabonaises aient simplement disparu sans descendance.
« Il est envisageable que les formes de vie les plus complexes, donc les plus fragiles, aient disparu au profit des organismes les plus archaïques », dit ainsi M. El-Albani. Et que la nature, remettant sur le métier son ouvrage, ait permis l’apparition, un peu plus d’un milliard d’années plus tard, de nouvelles formes de vie plus élaborées, qui auraient fait florès et dont le vivant actuel serait la descendance.
M. Janvier ne croit guère à un tel scénario. Mais pour Alain Meunier, coauteur de l’analyse des fossiles gabonais, tout reste possible. « Il n’y a aucune raison pour que l’histoire de la vie soit linéaire, comme nous avons tendance à la raconter », résume-t-il.
Stéphane Foucart
on est peut etre pas au bout de nos suprises,quelqu’un que soit son origine homme reste humain.au lieu de chercher à réecrire l’histoire,cherchons plutot à la proteger contre nous meme.