Abderrazak El Albani, chercheur au CNRS, a coordonné l’équipe de scientifiques qui a découvert, à Franceville, au Gabon, des organismes fossiles complexes âgés de 2,1 milliards d’années, bouleversant ainsi
la chronologie établie. Il alerte l’opinion sur la protection du site.
Géologue et sédimentologue, Abderrazak El Albani travaille au laboratoire Hydrasa, rattaché à l’université de Poitiers et au CNRS. Il a dirigé les recherches qui ont permis, selon lui, la découverte des premières formes de vie complexes.
En quoi cette découverte est-elle importante ?
Abderrazak El Albani. Parce qu’elle représente une avancée significative de nos connaissances sur les fossiles datant des périodes les plus anciennes de notre planète Terre. Ce qui était admis communément, c’est l’émergence de la vie multicellulaire aux alentours de 600 millions d’années avant notre ère. Cela a constitué le point de départ de nombreuses théories. Et jusqu’à présent, on n’avait rien de similaire pour des périodes antérieures. Donc cette découverte apporte la preuve que la vie peut exister 1,5 milliard d’années plus tôt que ce qui était décrit. On déplace donc le curseur de l’origine de la vie multicellulaire.
Quelles sont les conditions qui ont permis l’apparition de ces formes
de vie multicellulaires ?
Abderrazak El Albani. Une des conditions majeures, c’est la présence d’oxygène dans l’atmosphère. En effet, à l’âge des fossiles découverts, correspond une première augmentation de la concentration d’oxygène, qui s’est faite entre 2,4 et 1,9 milliard d’années avant notre ère. Ensuite, cette concentration en oxygène aurait baissé, peut-être suite à des dégagements d’autres gaz causés par une activité volcanique intense, créant une atmosphère peu propice à l’émergence de la vie. Aux alentours de 600 millions d’années, une deuxième augmentation de l’oxygène présent dans l’atmosphère a permis le développement de la vie multicellulaire à grande échelle : c’est l’explosion cambrienne. Avant notre découverte, une question restait insoluble : pourquoi après l’augmentation de 600 millions d’années, il y a apparition de la vie, et après l’augmentation de 2,4 milliards, il n’y aurait rien.
C’est-à-dire que la vie, sous une forme multicellulaire, serait apparue, puis aurait disparu ?
Abderrazak El Albani. Très probablement. Beaucoup de chercheurs se posent la question de savoir si la vie aurait disparu ou si, tout simplement, on n’en aurait pas encore trouvé la trace. Le problème avec ces roches très anciennes, de l’ordre du milliard d’années, c’est qu’elles sont dans la plupart des cas, transformées, par des facteurs liés à la température, à l’évolution des bassins sédimentaires. Or, le bassin sur lequel on travaille, le bassin gabonais de Franceville, montre des roches en excellent état de conservation. Cela ne veut pas dire qu’on va trouver des fossiles, mais c’est quand même un élément important, pour trouver des restes. De deux choses l’une : soit on ne trouve pas de traces de vie, parce que cela n’a pas été conservé ; soit le taux d’oxygène a baissé pendant tout l’intervalle entre 1,9 milliard et 600 millions d’années. Pas d’oxygène, pas de vie multicellulaire ; c’est l’hypothèse que je défends.
Quelles sont les perspectives ouvertes par ces découvertes ?
Abderrazak El Albani. Tout d’abord, il s’agit d’un travail d’équipe d’une vingtaine de chercheurs et de seize institutions, que j’ai coordonné. Notre projet est le fruit d’une collaboration entre des géochimistes, des géologues, des sédimentologues, des minéralogistes. C’est un travail multidisciplinaire dont l’objectif est d’essayer de mettre la recherche française sur les rails, concernant cette problématique. Nous allons soumettre à nos instances (CNRS, Agence nationale de la recherche…) de nouveaux projets sur le sujet. Des projets qui apporteraient à la fois les moyens financiers, techniques, humains et surtout intellectuels pour nous permettre de rattraper notre retard par rapport aux Américains ou aux Anglais. Le but, c’est de comprendre précisément le métabolisme, le fonctionnement, la filiation de ces organismes par rapport à ce qu’on connaît des étages géologiques plus récents, de comprendre leur mode de vie en détail et d’essayer de mieux cerner cette évolution de l’oxygène dans l’atmosphère.
La visibilité qui vous est offerte
à l’occasion de cette découverte peut-elle vous permettre de débloquer ces nouveaux crédits ?
Abderrazak El Albani. L’objectif, c’est d’abord de partager. C’est une découverte qui apporte quelque chose à la science, à la connaissance. Il faut donc la partager avec la communauté scientifique internationale, puis avec les gens qui ne sont pas spécialistes, le public. C’est notre rôle de communiquer, on a été sollicité pour ça et c’est très important. Dans un deuxième temps, bien sûr, si ça peut nous aider à obtenir les moyens qui sont nécessaires pour prolonger ces travaux, tant mieux. Je profite aussi de cette fenêtre pour alerter sur la protection du site. Car il est en danger. Même s’il va bientôt être classé patrimoine mondial de l’humanité, c’est une carrière de grès encore en exploitation. Je me bats depuis plusieurs semaines pour arrêter le massacre de cette carrière. J’adresse un message à l’État français, pour qu’on puisse, en collaboration et en coordination avec le gouvernement gabonais, assurer la protection du site le plus rapidement possible. Avec mon équipe, nous sommes à la disposition de toute instance qui pourra nous aider à le protéger.