Pour assurer leurs approvisionnements alimentaires et/ou énergétiques, de nombreux pays achètent des terres agricoles dans les pays en développement. Un phénomène qui prend de l’ampleur au point que la communauté internationale tire la sonnette d’alarme.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il semble s’emballer depuis les crises alimentaires de 2007-2008 et la flambée des prix des matières premières. L’appropriation de terres agricoles de pays du Sud par des investisseurs publics ou privés s’est accélérée, au point d’inquiéter la communauté internationale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Banque mondiale ou encore le Fonds des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) se penchent très sérieusement sur le sujet aujourd’hui.
Le principe ? Des investisseurs issus de pays dépendants des importations alimentaires et cherchant à externaliser et sécuriser leur production alimentaire nationale, achètent des terres agricoles dans d’autres pays. L’Arabie saoudite, le Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, la Libye et l’Égypte font partie des principaux acheteurs actuels. «Ce qui est nouveau, c’est la taille des acquisitions, les nouvelles motivations qui y président (des économies d’échelle offertes par la production à grande échelle jusqu’à la sécurité alimentaire et énergétique), le manque considérable de transparence et de consultation publique et l’implication accrue des gouvernements», note la Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) dans un rapport.
«Entre 2000 et 2050, les surfaces cultivées mondiales auront progressé de 19 %, à un rythme moyen de 7,5 millions d’hectares nouvellement cultivés par an, soit un rythme presque deux fois plus rapide que celui observé entre 1961 et 2000. Les nouvelles surfaces agricoles auront été trouvées essentiellement en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, et dans une moindre mesure en Asie», selon les prévisions du modèle Agrimonde.
L’achat de terres, dans des pays où généralement règne l’insécurité alimentaire, pour externaliser la production alimentaire devrait donc se poursuivre. Conscients des risques de dérive, les principaux observateurs prêchent pour un encadrement de ces pratiques, sans toutefois trouver la manière d’appréhender le problème.
Le phénomène est difficile à estimer, du fait du manque de transparence de ces nombreuses transactions. Près de 20 à 30 millions d’hectares de terres auraient fait l’objet d’acquisition ces dernières années, un chiffre probablement sous-évalué. La Banque mondiale a identifié environ 400 projets répartis dans 80 pays, dont près du quart (22 %) sont en cours de réalisation. La plus grande partie (37 %) de ces projets d’investissement est destinée à la production alimentaire (cultures et élevage) et énergétique, agrocarburants principalement (35 %). L’Afrique concentre la moitié des projets, suivie par l’Asie, l’Amérique latine et l’Europe de l’Est. Parmi les critères de choix des investisseurs, la Banque mondiale note la disponibilité des terres, la faible mécanisation et la gouvernance foncière médiocre.
Une étude de la FAO, de l’Institut international pour l’environnement et le développement(IIED) et du Fonds international de développement agricole (FIDA) souligne que si les fonds souverains jouent un rôle important dans ces transactions, le secteur privé et les investisseurs non étrangers ont un rôle non négligeable dans ces pratiques. Ainsi, l’accaparement de terres à des fins spéculatives par les élites locales, via la privatisation de terres collectives, ne doit pas être sous-évalué. Face à ces acteurs souvent peu scrupuleux, les populations locales ont peu de poids. Les droits d’usage coutumiers sont ignorés, ils sont dès lors expulsés ou privés de l’usage des terres.
«D’aucuns jugent que ces opérations à grande échelle menacent les droits fonciers des pauvres, en particulier des détenteurs de droits coutumiers et collectifs, la sécurité alimentaire des pays hôtes et l’environnement. Mais on peut estimer qu’ils constituent des investissements dans un secteur et des régions qui en ont grandement besoin, et contribuent peut-être à lutter contre la pauvreté et atteindre les objectifs de développement, ainsi qu’à satisfaire les besoins alimentaires de la planète», a indiqué le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) et l’OCDE, dans un document de travail de décembre 2009.
Sur le terrain, le tableau est moins rose car «ces opérations ne bénéficient malheureusement pas à la population». Face à ces dérives, les observateurs proposent d’encadrer ces pratiques, à défaut de pouvoir les interdire. Cependant, «obtenir un accord international sur la question sera très long», analyse Michel Clavé, directeur de l’agriculture et de l’agroalimentaire du groupe Crédit Agricole et président de la mission sur les cessions d’actifs agricoles. La mission propose donc d’établir un label «agro investissement responsable», qui engagerait les investisseurs et les pays hôtes.
De leurs côtés, la FAO et la Banque mondiale planchent sur le sujet. La première a lancé une initiative sur la gouvernance foncière, principal problème dans les pays hôtes, tandis que la seconde promeut sept principes pour des investissements responsables dans l’agriculture. Mais difficile de croire que, sans cadre réglementaire strict, ces instances parviendront à moraliser ces pratiques.
Publié le 28-07-2010 Source : Actu-Environnement Auteur : Gaboneco