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Le Dr. Daniel Mengara aux Haïtiens (Partie 1): « Le problème du Noir est qu’il a trop de vanité, et pas assez de fierté »

(Partie 1) Le Dr. Daniel Mengara, invité d’honneur au Banquet Annuel de la communauté haïtienne du New Jersey organisé par la Radio Haïti Info, s’est exprimé samedi 14 août 2010 devant près de 120 Haïtiens, dont des hommes d’affaires et professionnels, pour partager avec eux ses réflexions sur l’héritage psychologique des peuples noirs et les perspectives et enseignements que le Noir doit tirer de sa double meurtrissure sous le joug de l’esclavage et du colonialisme. Le Dr. Daniel Mengara conclut, en substance, que le problème du Noir est qu’il a trop de vanité, et pas assez de fierté.

Voir la vidéo: Partie 1 et Partie 2.

Ci-dessous, le texte complet du discours et la vidéo du discours.

 


De l’héritage psychologique des peuples noirs: Perspectives et enseignements

Mesdames et messieurs, Bonsoir

Je voudrais d’abord remercier les organisateurs de ce banquet, notamment la Radio Haïti Info, Maître Saintil, Monsieur Prince, Monsieur Pyrrhus, Monsieur Gary Gentil et Monsieur Pierre Louis Antoine. Je les remercie vivement pour cet honneur et leur exprime ma gratitude.

Je voudrais également remercier mes frères et sœurs haïtiens, et les amis d’Haïti, qui sont venus nombreux en ce jour écouter les quelques réflexions qui sont les miennes. Et j’insiste bien sur les mots frères et sœurs car, malgré la funeste traversée des océans qui fut celle de vos ancêtres, qui sont aussi, en réalité, mes ancêtres, personne ne peut nier la fraternité d’esprit, de sang et d’histoire qui lie le noir d’Afrique à celui d’Haïti.

D’ailleurs, je suis presque convaincu que si l’on faisait parmi nous des analyses d’ADN, on trouverait peut-être que certains d’entre vous ont des ancêtres qui viennent du Gabon, le pays où je suis né, étant entendu que les esclaves qui furent enlevés d’Afrique vers le nouveau monde sont, pour la plupart, venus de la côte ouest de l’Afrique, selon un espace s’étendant des côtes Sénégalaises jusqu’aux côtes angolaises. Et peut-être que le même sang qui coule dans mes veines est celui qui coule aussi dans les veines de certains d’entre vous, faisant ainsi de ceux-là mes vrais frères et sœurs de sang.

C’est d’ailleurs pour cela que j’adore la musique Kompas et Troubadour. Et je vous avoue que je me retrouve tellement dans la musique haïtienne que je l’écoute tous les jours. En fait, je ne vais jamais au travail sans au préalable avoir écouté un petit Kompas ou un petit Troubadour dans ma voiture. Je me sens Haïtien.

C’est donc avec émotion que je me trouve au milieu de vous aujourd’hui, mes chers frères et sœurs.

Je voudrais néanmoins, avant que de me lancer dans les réflexions qui m’amènent ici aujourd’hui, vous proposer d’observer une minute de silence à la mémoire des martyrs haïtiens, y compris bien évidemment les victimes du terrible tremblement de terre qui a fait tant de victimes innocentes et tant de sans-abris en Haïti.

Je vous remercie.

Au début de cette communication, je vous ai parlé des liens de fraternité spirituelle, consanguine et historiques qui existent entre Haïti et l’Afrique. Je vous ai également dit que je venais d’un pays d’Afrique qu’on appelle le Gabon.

Il y a, entre nos deux pays, trois différences majeures :

La première différence est que le Gabon a reçu son indépendance de la France il y a 50 ans, c’est-à-dire le 17 août 1960, sans bataille ni guerre, alors qu’Haïti a dû conquérir la sienne par les armes, le sang et les sacrifices, devenant ainsi le 1er janvier 1804, la première nation noire indépendante du monde.  Il y a donc, d’une part, 50 ans d’indépendance octroyée, donnée ou offerte dans le cas du Gabon, et plus de 206 ans d’indépendance chèrement arrachée à la France côté haïtien.

La seconde différence est que le Gabon est un pays d’Africains noirs qui se trouve en Afrique centrale dans l’hémisphère est, plus précisément sur la côte atlantique du continent africain, alors qu’Haïti est un pays de noirs d’origine africaine qui se trouve dans la Caraïbe, c’est-à-dire presqu’au centre de l’hémisphère ouest.

La troisième différence est que le Gabon est un pays riche à qui la World Factbook de la CIA attribue une population de 1,5 million d’habitants pour un revenu par habitant de près de 14,000 dollars en parité de pouvoir d’achat (purchasing power parity), alors qu’Haïti a un revenu par habitant de  1,300 dollars pour une population de près de 10 millions d’habitants. A titre nominal, ces chiffres tombent à 733 dollars par habitant pour Haïti et 7,400 dollars pour le Gabon. Mais dans les deux cas, le Gabon est, si on se base sur ces chiffres, 10 fois plus riche qu’Haïti en termes de PIB par habitant (Produit Intérieur Brut).

Et je note au passage que le gouvernement gabonais avait fait une donation de 1 million de dollars au gouvernement d’Haïti lors du tremblement de terre, ce que je trouve être une bonne chose, et peut-être le seul acte budgétaire sur lequel j’aie jamais été en total accord avec le gouvernement gabonais, qui est une dictature, hélas.

Mais comme je le disais tout à l’heure, ce sont là les trois différences les plus fondamentales entre les deux pays.

Parlons maintenant  de ce que j’appelle les similarités.

Les similarités commencent d’abord par le constat suivant :

Haïti est l’un des pays les plus pauvres au monde. Mais le Gabon, une fois qu’on fait abstraction de ses immenses richesses pétrolières et minières,  ne fait pas mieux qu’Haïti vu que, à titre purement comparatif, près de 60% à 70% des Gabonais vivent encore aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, ce qui est très proche des 80% d’Haïtiens  qui vivent eux aussi sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour.

Je vous surprendrai même en vous disant que les Haïtiens vivent plus longtemps que les Gabonais, puisque l’espérance de vie des Haïtiens, malgré leur pauvreté, se situe à près de 60 ans en moyenne, alors que les Gabonais n’espèrent vivre que 53 ans.

Nous avons aussi en commun une tradition de dictature. Le Gabon a connu, juste après les indépendances, 7 ans de pratique démocratique. Après le décès du premier président gabonais issu des indépendances, la France a remis le pouvoir à Omar Bongo, qui a aussitôt interdit les partis politiques et instauré une dictature de parti unique. Omar Bongo est ainsi resté 42 ans au pouvoir, c’est-à-dire du 2 décembre 1967 jusqu’au moment de son décès subite le 8 juin 2009. Certes, le multipartisme est revenu suite à la Conférence nationale de 1990, mais le régime a rapidement rendu dérisoire la constitution gabonaise, ce qui a créé chez nous le phénomène par lequel on avait le multipartisme sans démocratie. A sa mort, son régime a rapidement organisé des élections bâclées le 30 août 2009 et remis le pouvoir à Ali Bongo, fils du dictateur décédé.

Haïti a connu un parcours anti-démocratique similaire. Pourtant, Haïti avait bien commencé. C’est dès 1751 que les premières rebellions haïtiennes organisées se signalèrent, particulièrement sous le leadership de François Mackandal, un prêtre vodou qui sut instiguer l’unification de la résistance des nègres marrons. Et c’est un peu grâce à ces premières résistances qu’une seconde vague de révoltes organisées put voir le jour.

C’est ainsi que le 14 août 1791 au Bois Caïman, sous le leadership d’un autre prêtre vodou connu sous le nom de Dutty Boukman, une nouvelle révolte fut instiguée qui finit par embraser l’île de Saint-Domingue tout entière à partir du 22 août 1791, aboutissant 13 ans plus tard à la proclamation de l’indépendance d’Haïti par Jean-Jacques Dessalines le 1er janvier 1804 dans la ville de Gonaïves. Notons au passage que le virus de la dictature et de l’amour du pouvoir en Haïti s’était déjà annoncé à cette époque quand on vit Toussant L’Ouverture  se proclamer Gouverneur à vie en 1801, 3 ans avant la déclaration d’indépendance. Par la suite, le pays ne connut qu’une succession de dictatures et d’instabilités politiques. Faut-il ici signaler la lignée de ces successions aux tendances despotiques qui, dès le moment même de la Révolution, et ceci depuis les pères de l’indépendance que furent Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe, Alexandre Pétion et Jean-Pierre Boyer, jusqu’à toutes les générations de leaders qui se succédèrent, aboutirent en 200 ans d’indépendance à près de 32 coups d’états ? Faut-il aussi parler de la période des Duvalier qui régnèrent sur Haïti de 1957 à 1986, finissant eux aussi leur règne dans le chaos et l’instabilité, avec à l’appui la terreur des Tontons Macoutes ? Et que dire du passage au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide dans les années 1990, puis les années 2000, un passage qui fut une lueur d’espoir vite éteinte par les réalités d’un pays confronté à 200 ans d’instabilité politique chronique?

Je remarque d’ailleurs qu’Haïti est en ce moment en pleine période de préparation aux élections présidentielles. Et à ce que j’ai cru comprendre, il y aurait plus de trente potentiels candidats, y compris notre très cher Wyclef Jean dont la musique est époustouflante. Eh bien, au Gabon aussi, il y eut lors de l’élection présidentielle d’août 2009, près de 22 candidats. C’est ce qui arrive généralement dans les pays où les libertés sont opprimées, car les gens se sentent tellement étouffés qu’ils profitent souvent de ces occasions pour s’exprimer. Je fus moi-même l’un des potentiels candidats à l’élection présidentielle gabonaise d’août 2009, mais la Cour constitutionnelle du Gabon avait arbitrairement rejeté ma candidature. Je parle donc ici en connaissance de cause vu que j’ai moi-même créé un mouvement politique en 1998 que j’ai appelé « Bongo Doit Partir », dont le but était, et reste toujours, de mettre fin à la dictature et à la dynastie des Bongo au Gabon.

Mais vous savez, une chose est de vouloir le pouvoir, une autre est de le gérer selon la volonté du peuple, pour le bien du peuple. Comme l’a récemment dit le Président Obama, la tendance en Afrique et probablement dans le monde noir en général a souvent été pour les politiciens de se battre pour le pouvoir en promettant la démocratie et le progrès économique à leurs peuples. Puis, une fois arrivés au pouvoir, ils se sont crus tellement indispensables et irremplaçables qu’ils ont changé les lois et les constitutions pour se constituer présidents à vie, détruisant ainsi toute chance de renouveau et de progrès dans leurs pays. Nous avons donc en Afrique comme en Haïti les mêmes types de défis à relever sur les plans politique, économique et, voire même, socioculturel.

Une question se pose cependant : qu’est-ce qui fait que, où qu’il se trouve, la pauvreté, la mauvaise gouvernance et la dictature semblent encore être aujourd’hui les dénominateurs les plus communs de l’homme noir, et ce après plus de 200 ans d’indépendance pour Haïti et quelques 50 ans d’indépendances pour l’Afrique ? Y a-t-il une malédiction nègre qui condamnerait le monde noir aux pires misères du monde, et ce depuis l’holocauste que fut l’esclavage jusqu’à l’enfer du colonialisme et de ses travaux forcés tout aussi inhumains ?

C’est vrai que sur le plan économique, Haïti a une excuse : le véritable chantage français qui voulut qu’en échange de la reconnaissance de son indépendance, Haïti payât à la France des millions et des millions de francs lourds au titre des indemnités aux planteurs blancs compromit très grandement les chances de stabilité économique dans le pays. C’est vrai aussi que les ingérences étrangères en Haïti ont plus souvent semé l’instabilité que la paix politique et démocratique propice à un développement durable.

Mais cette explication, plus de 200 ans plus tard, est-elle suffisante ? Cette explication doit-elle continuer à nous suffire ? Cette explication doit-elle continuer à tout expliquer ?

Il y a souvent en Afrique comme en Haïti, bien évidemment, les explications les plus faciles et parfois les plus simplistes : celles qui veulent que nous attribuions toujours nos malheurs aux conséquences de l’esclavage et du colonialisme sur la psychologie et le devenir du Noir, au point que nous en avons parfois fait une prison mentale. Dans ce schéma de pensée, en effet, c’est l’Européen ou le blanc qui est rendu perpétuellement responsable de nos malheurs et de nos tares. Et nous, les Noirs, nous nous sommes mis à nous satisfaire de notre statut d’éternels exploités, d’éternels traumatisées, d’éternels esclaves, d’éternels assistés, sans que nous ayons le courage de nous reconnaître certaines fautes et certaines responsabilités dans nos propres déboires.

Certes, la domination occidentale sur le Noir a une genèse historique indubitable : L’Amérique eut bel et bien une influence négative très avérée sur les premiers gouvernements haïtiens. Craignant sans aucun doute que les esclaves américains ne soient tentés par des révoltes similaires à celle d’Haïti, l’Amérique fit tout pour la rendre instable aux fins de prouver, justement, que les Noirs ne sont pas capables de se gouverner.

Mais, au jour d’aujourd’hui, cette explication historique doit-elle continuer à dominer le conscient et le subconscient des Haïtiens ? Et au moment où les autres continuent à faire l’Histoire, le Noir doit-il continuer à se contenter de la subir ?

Eh bien je dis non. Il faut que cela cesse. Je dis que tant que nous raisonnerons souvent en termes de fatalité, c’est-à-dire toujours rejeter sur autrui les échecs qui sont les nôtres, même quand de tels échecs ne se justifient plus, tant que nous baisserons les bras devant la dureté des transformations mentales et morales qui s’imposent désormais à nous, nous n’avancerons pas.

Raisonner toujours d’une manière qui rejette perpétuellement la faute de nos échecs sur les autres nous condamne à trois syndromes extrêmement sérieux, sinon dangereux :

Le premier est le syndrome de l’éternelle enfance : comme les enfants, nous ne savons pas assumer la responsabilité de nos actes et nous préférons la facilité qui consiste à nous dérober de cette responsabilité. C’est toujours la faute des autres.

Le second syndrome est le syndrome du défaitisme : Dès lors qu’on a internalisé le fait que nous ne pouvons rien faire pour améliorer notre situation, nous nous  abandonnons au défaitisme et au fatalisme. C’est donc ce syndrome qui fait qu’un peu partout en Afrique, quand vous demandez aux gens dans la rue ce qu’ils comptent faire devant cette situation de domination occidentale, ils vous répondent : « Ah mon frère. On va encore faire comment. C’est la vie ». Et ils baissent la tête dans la défaite et l’abandon.

Le troisième syndrome est le syndrome de l’obscurantisme : celui qui consiste à se dire qu’il n’existe chez le noir aucun génie, aucune intelligence qui soit capable de contourner la difficulté posée par la domination blanche sur les Noirs, et arriver quand-même à quelque chose d’acceptable pour nos peuples, à l’image de ce qu’ont pu accomplir les peuples dominés d’Asie, dont le génie a su pourtant apprivoiser les élans de domination des occidentaux pour en faire un atout de contre-hégémonie, un peu comme au judo. Même des pays sans ressources naturelles comme le Japon, qui furent saccagés par la guerre et la bombe atomique, ont su contourner la domination occidentale et se hisser au rang de puissance économique. Pourquoi pas l’Afrique ? Pourquoi pas Haïti ? Aujourd’hui, ce n’est plus la matière grise qui manque, ni les hommes et les femmes de génie. Il se trouve que la plupart de ceux-là ont dû s’exiler de leur pays, où les classes politiques corrompus se sont accaparés la destinée de leurs nations, et ceci parfois en complicité avec ces Blancs qu’on dit, pourtant, nous exploitent et nous dominent.

Mais vous verrez que c’est généralement ce langage d’enfant, ce langage de défaitisme et d’obscurantisme que nos dictateurs aiment. Ils seront toujours d’accord avec vous pour dire que si leurs pays n’avancent pas, si leurs pays sont pauvres, c’est à cause des Français et des Américains. Je veux bien les croire, ces dictateurs. Le seul problème, c’est quand, bizarrement, on voit les comptes en banque de ces dictateurs grossir et s’enfler à l’étranger avec des centaines de millions de dollars, alors même que dans le même temps, la pauvreté de leurs peuples empire. Parfois même, comme ce fut le cas dans l’ancien Zaïre sous Mobutu, les fortunes volées sont égales à la dette du pays car, pendant que tout le monde est pauvre, les dictateurs eux n’hésitent pas à s’acheter des villas en France et dans des paradis fiscaux européens.

Et on nous dira que c’est à cause des Français et des Américains que ces comptes grossissent, que ce sont les Français et les Américains qui les obligent, comme dans le cas d’Omar Bongo et de sa famille au Gabon, à posséder plus de 39 biens immobiliers en France, dont un hôtel particulier de 23 millions de dollars, et plus de 70 comptes bancaires.  On nous dira aussi que son fils Ali Bongo, qui l’a remplacé comme président en 2009 suite à son décès, est récemment allé s’acheter un immeuble particulier de 128 millions de dollars à Paris parce que les Français l’y ont forcé, et ceci à un moment où les infrastructures routières inexistantes dans le pays auraient pu bénéficier d’un tel pactole.

Oui, on nous dira que tout cela se passe dans nos pays à cause des Français et des Américains, et que ce sont ces Américains et ces Français qui nous empêchent de construire des écoles pour éduquer nos enfants, des hôpitaux pour soigner nos bébés, et des routes pour développer nos économies.

Non, chers amis, nous ne pouvons continuer à accepter ce type d’explications face aux grands défis du 21e siècle. Et il nous faut avoir le courage de reconnaître qu’il y a un grave problème dans nos mentalités qui dépasse le simple cadre de ces influences externes. Comment expliquer que les phénomènes d’ultra corruption, d’ultra dictature et d’ultra sous-développement soient si généralisés et si chroniques  dans le monde noir, alors même que d’autres peuples jadis dominés par l’occident, à l’instar des peuples asiatiques, dont la plupart étaient plus pauvres que ceux d’Afrique au moment des indépendances, aient pu néanmoins décoller économiquement, et ce malgré leurs dictatures et la domination des forces étrangères ?

Il y a problème, mes frères et sœurs. Il y a problème.

J’attribue ce problème à ce que j’appelle une tare ou un déficit dans la conception même que nous, Noirs d’Afrique et d’ailleurs, avons aujourd’hui de la chose publique. Certes, on pourra encore y voir une extension des effets pervers durables du déracinement culturel et mental causé au Noir par l’esclavage et le colonialisme, mais nous aussi : n’exagérons-nous pas un peu à toujours vouloir tout ramener à cela ?

Vous savez, il y a, en tout, deux valeurs fondamentales qui sont à la base de la construction et de la consolidation des nations.

Il y a d’abord la notion de nation elle-même, ou d’esprit de nation, c’est-à-dire ce sens d’appartenance qui fait que les membres d’une société donnée se sentent une destiné commune et décident, au travers d’un contrat social quel qu’il soit, de faire cause commune pour le bien commun.

Il y a ensuite la notion de fierté. La fierté est ce qui fait que l’individu, tout en s’accomplissant, veuille également l’accomplissement de son peuple, de sa nation, de manière à ce qu’il s’établisse un rapport de fierté entre l’individu et la nation qui lui sert de matrice. L’individu veille alors au rayonnement de l’ensemble parce qu’il sait que le rayonnement de l’ensemble aura forcément des effets positifs sur le rayonnement individuel, et vice versa.

La où se pose souvent le problème c’est quand, chez certains individus, la fierté cède le pas à la vanité. La vanité est une notion qui se distingue de la fierté en ceci que la personne qui est vaine ne recherche que le rayonnement individuel. Cette personne voudra ainsi être toujours la plus forte, la plus riche, la plus dominante, et se refusera au partage. Enfermée dans cet individualisme primaire, je dirais même cet individualisme animalier, la personne ne se rendra compte que trop tard qu’elle aura contribué à détruire sa propre société, et partant, elle-même. Or, de grands penseurs et philosophes comme Rousseau, Voltaire et Montesquieu l’ont dit : la richesse des nations dépend du juste partage non pas des richesses produites, mais des opportunités de s’enrichir. Et c’est cela qui fait que chaque individu, porté par le désir et la liberté de s’enrichir, contribue directement ou indirectement au développement et au renforcement de l’ensemble, tout en instillant en chacun un sentiment de fierté envers soi-même et envers l’ensemble national.

Les personnes vaines, quant à elles, ont tendance à détruire le potentiel national en s’accaparant de toutes les opportunités et en limitant celles des autres. A la fin, il suffit qu’une nation ait à sa tête une telle personne pour qu’on aboutisse  à la déchéance nationale, à la faillite nationale.

C’est hélas, à cette déchéance nationale que la plupart des pays africains, et aussi Haïti, sont confrontés aujourd’hui, tout simplement parce que nos peuples pourtant emplis de génie et de résilience ont eu la malchance de se retrouver avec à leur tête ce que j’appelle souvent des animaux.  Ce qui fait un dictateur, c’est d’abord avant tout cette vanité, cette grosse tête qui fait qu’il pense qu’il doit non seulement être le seul à s’enrichir, mais qu’il est aussi plus intelligent, plus fort et plus indispensable que toute une nation et que celle-ci doit non pas se servir, mais le servir, lui.

Mais cela ne veut pas dire qu’un dictateur est forcément mauvais ou inutile. Hormis la nécessité, parfois, d’un pouvoir dictatorial pour redresser les nations perverties, il existe un domaine où la coïncidence entre vanité et fierté peut tout aussi bien mener non seulement à la richesse des nations mais aussi à leur épanouissement, pourvu qu’une telle dictature, que l’on peut appeler une dictature bienveillante,  ne s’éternise pas trop au pouvoir. Les dictateurs d’Asie, du Moyen-Orient, ou même de pays comme Cuba ou la Chine ont un peu de ces deux notions en eux, et c’est ce qui fait que, au-delà de leur vanité, ils ont aussi eu assez de fierté pour vouloir faire de leur pays des références dans le concert des nations. On parle de leurs pays avec respect parce qu’on sait qu’au-delà du dictat, il y a des accomplissements qui ont, malgré tout, élevé leurs peuples et leurs nations. Il n’y a, certes, aucun substitut valable pour la démocratie, mais une dictature bienveillante est toujours meilleure qu’une dictature animalière.

Il semble malheureusement que, dans le monde noir, ce soit plutôt le sentiment de vanité qui l’ait emporté au détriment de l’élan de fierté qui aurait dû mener au progrès économique dans nos pays. Nos dictateurs sont pleins de vanité, mais dépourvus de fierté. Et voilà pourquoi nos nations se meurent de mort lente.

Vous savez, il y a eu dans l’histoire postcoloniale de l’Afrique un jeune président révolutionnaire du nom de Thomas Sankara. Sankara était arrivé au pouvoir à 33 ans en 1983 à la faveur d’un coup d’état qu’il perpétra contre  son prédécesseur Jean-Baptiste Ouédraogo, à qui il reprochait dictature et corruption, mais aussi son allégeance aveugle à la France.

Vous savez ce qu’il fit après son arrivée au pouvoir ?

Il changea le nom de son pays. Il supprima le nom Haute-Volta issu du colonialisme et le remplaça par le nom de Burkina Faso, qui veut dire le « pays des hommes intègres, le pays des hommes fiers » en langue peule.

Eh bien, je souhaite aux Africains et aux Haïtiens de redevenir des hommes et des femmes fiers. Certes, l’esclavage et le colonialisme ont voulu nous arracher à notre fierté, mais comme les Haïtiens l’ont montré en 1804, on peut tout enlever à un peuple, sauf sa fierté. Dans ce monde moderne que nous vivons, la fierté ne s’exprimera plus forcément par les armements militaires contre l’envahisseur, mais plutôt par le génie de l’appropriation économique et technologique. Battre le blanc sur son terrain de prédilection en tirant profit des mécanismes de la Mondialisation, et mettre en exergue le génie économique et technologique du Noir va être, pour nos peuples Africain et Haïtien si similaires et si liés en couleur de peau, en histoire et en culture, le vrai défi de notre temps.

C’est donc d’une nouvelle forme de négritude que nous avons besoin. Mais pour qu’un tel renouveau de l’esprit et des aspirations s’opère, pour que la renaissance africaine, la renaissance noire, la renaissance haïtienne arrive, nous devons impérativement réapprendre à cultiver le sens de la fierté qui élève les peuples au sein de nos sociétés. Il ne s’agit pas de nier les valeurs nègres mais, au contraire, de mieux les affirmer tout en les adaptant aux impératifs du monde ambiant. C’est n’est qu’à ce prix que nos fières négritudes s’affirmeront de nouveau, mais cette fois au sein de nations fières parce que faites d’hommes et de femmes fiers.

Je vous remercie.

Dr. Daniel Mengara
Banquet Haïtien Radio Haïti Info, 14 août 2010.

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  1. salut DR! j’ai vraiment apprécié votre message,j’espère que Bongo Doit Partir pour que le noir du gabon soit assez fier et enfin bannir la vanité.

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