Alpha Condé ou Cellou Dalein Diallo ? Peu de chefs d’État de la région osent afficher leur préférence. Mais il est des indices qui ne trompent pas.
Pas simple de savoir qui soutient qui dans cette dernière ligne droite. La Guinée a beaucoup de voisins (six), trop de militaires à la gâchette facile et de vraies richesses minières. Aucun chef d’État, qu’il soit africain, français ou américain, ne va prendre le risque d’afficher sa préférence avant le second tour de l’élection présidentielle au risque de miser sur le mauvais cheval et de se fâcher avec le futur maître de Conakry. Pourtant, à y regarder de plus près, quelques paramètres laissent deviner le choix secret des uns et des autres.
Coup de maître
D’abord les réseaux. Côté relations, le carnet d’adresses d’Alpha Condé est beaucoup plus étoffé que celui de Cellou Dalein Diallo. Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Jacques Chirac, Madeleine Albright, Kofi Annan… Entre 1998 et 2001, la liste des personnalités qui sont intervenues en faveur de sa libération est impressionnante. Le réseau d’Alpha Condé est d’autant plus exceptionnel qu’il s’est construit dans l’épreuve et la souffrance. Quand les opposants Abdoulaye Wade ou Laurent Gbagbo étaient en prison, Alpha le militant n’hésitait pas à leur rendre visite. En retour, c’est l’avion personnel de Wade qui a récupéré Alpha après sa libération, en mai 2001. Il y a plusieurs chefs d’État (Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo…) qu’Alpha Condé fréquente depuis si longtemps qu’il les tutoie. Apparemment, Cellou Dalein Diallo n’en tutoie aucun.
Cela dit, sur la scène internationale, Cellou n’est pas l’inconnu que l’on croit. Quand il était Premier ministre, entre 2004 et 2006, il a représenté Lansana Conté – déjà très affaibli – en de multiples occasions. Coup de maître : en 2005, lors de l’investiture du président réélu, Blaise Compaoré, il a fait le déplacement à Ouagadougou, alors que la Guinée et le Burkina Faso étaient à couteaux tirés depuis près de dix ans. Bien sûr, Cellou ne bénéficie pas du réseau de sympathies et de solidarités d’un Alpha, mais, après la terrible répression du 28 septembre 2009, c’est Wade qui l’a fait évacuer par avion vers un hôpital de Dakar, puis l’Élysée et le Quai d’Orsay qui ont organisé son accueil sanitaire en France.
Autre paramètre intéressant, les alliances du second tour. Alpha Condé profite tout naturellement des réseaux de Lansana Kouyaté, ancien chef du gouvernement. Fin juillet, l’opposant historique a effectué un voyage éclair en Libye, où il a été reçu par le colonel Kaddafi. De son côté, Cellou Dalein Diallo exploite bien entendu le carnet d’adresses long comme le bras de Sidya Touré, lui aussi ex-Premier ministre et ex-directeur de cabinet d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire.
Enfin – et ce n’est pas anecdotique –, les personnalités d’Alpha et de Cellou ont leur importance. Alpha Condé est connu pour son franc-parler. Un jour, devant deux chefs d’État – l’un d’Afrique de l’Ouest, l’autre d’Afrique centrale –, il lance sur le mode de la plaisanterie : « Toi, tu es généreux, mais tu n’as pas d’argent. Et toi, c’est plutôt le contraire. » Réaction des deux concernés, plus tard, en aparté : « Tu ne peux pas lui conseiller de faire un peu plus attention ? – Mais tu sais bien qu’il n’écoute personne ! » Commentaire d’un connaisseur : « Les chefs d’État sont susceptibles. Et quelquefois, ils se méfient de ceux avec qui ils ont grillé des cacahuètes au maquis… »
Cellou Dalein Diallo, lui, cultive l’image d’un homme courtois, un rien flatteur. Lors de sa dernière visite à Dakar, fin août, il déclare : « C’est grâce au président Wade que la date du second tour a été trouvée. » Une bonne manière au prix d’un petit arrangement avec la vérité…
Sur le fond, Alpha, le combattant, a la réputation d’être un farouche nationaliste. Cellou, le diplomate, paraît plus souple. Pour beaucoup de partenaires de la Guinée qui louchent sur ses matières premières, c’est un paramètre qui compte. Petite revue de détail…
Côte d’Ivoire
Entre Laurent Gbagbo et Alpha Condé, les deux camarades de l’Internationale socialiste, les liens remontent à l’époque où l’on croyait encore au « grand soir ». C’est dire… Mais depuis quelques années, les choses se sont gâtées. La faute à Lansana Conté. Après l’insurrection au nord, en septembre 2002, Laurent Gbagbo s’est rapproché de son homologue guinéen sur le thème : « La frontière avec la Guinée est la seule sur laquelle je peux compter. » De fait, la Guinée de Lansana Conté a été le seul voisin de la Côte d’Ivoire qui a fermé hermétiquement sa frontière avec la zone tenue par les Forces armées des Forces nouvelles. Du coup, Alpha, l’opposant historique du général Conté, en a pris ombrage. Cela dit, même s’ils ne se parlent plus guère, les deux camarades, Alpha et Laurent, gardent un lien par socialistes interposés, y compris par des militants français bien introduits en Afrique. Récemment, l’un des cadres du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) a fait le déplacement à Abidjan.
De son côté, Cellou Dalein Diallo est entré en contact avec Laurent Gbagbo via Bertin Kadet, l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’État ivoirien. Analyse d’un familier de la lagune : « Gbagbo est dans une attitude de neutralité, avec un appui militant à Alpha. »
Burkina Faso
Ces dernières années, quand les liens Gbagbo-Alpha se sont distendus, Blaise Compaoré est sans doute devenu le chef d’État africain le plus proche de l’opposant historique guinéen. La cause ? Toujours Lansana Conté. Blaise et Alpha ont fait cause commune contre lui. D’ailleurs, Alpha Condé a eu longtemps ses habitudes dans l’une des villas de Ouaga 2000 réservées aux hôtes du régime. Mais, comme nous l’avons vu, Blaise et Cellou se fréquentent depuis 2005. Surtout, depuis qu’il est médiateur dans les affaires guinéennes, le président burkinabè s’efforce d’adopter une attitude de stricte neutralité. En novembre 2009, il a proposé un peu vite que Dadis puisse se présenter à la future présidentielle. Colère et incompréhension de nombreux démocrates guinéens. Depuis cette date, il redouble de prudence. Entre le cœur et la raison, l’homme est peut-être partagé. Bien malin qui peut dire pour qui penche Blaise.
Mali
Encore plus sphinx que Blaise… Amadou Toumani Touré. Certes, le natif de Mopti parle la même langue que Cellou Dalein Diallo, le peul. Mais il se garde bien de choisir un camp. Comme les ethnies peule et malinkée vivent à cheval sur la frontière, les populations des deux pays sont trop imbriquées pour qu’ATT puisse afficher la moindre préférence. Il risquerait de diviser sa propre classe politique. Le président malien connaît Alpha depuis toujours et Cellou depuis 2005. À cette époque, il a offert au Premier ministre guinéen une place dans son avion pour aller assister à une conférence en Arabie saoudite. En juillet, quand il a effectué une visite express à Conakry afin de dissuader le général Sékouba Konaté de démissionner, ATT a pris soin de rencontrer les deux challengeurs du second tour. Commentaire d’un homme politique malien : « ATT sera le dernier chef d’État africain à laisser voir où va sa sympathie. »
Sénégal
Pour Abdoulaye Wade, la Guinée est une équation difficile. Côté ethnique, il est obligé à la même prudence que son voisin malien, bien que les Peuls soient beaucoup plus présents au Sénégal que les Malinkés. Côté politique, il a pris soin, ces dernières semaines, de recevoir tour à tour Alpha et Cellou. Mais il nourrit sans doute à l’égard d’Alpha des sentiments contradictoires. D’un côté, il lui est très attaché depuis leurs années de combat et de prison. De l’autre, il ne peut ignorer que le chef du RPG est l’ami des socialistes sénégalais, notamment de Moustapha Niasse, l’un des adversaires les plus résolus de son régime. Ce qui fait dire à un observateur de Dakar : « À partir du moment où Alpha a pour compagnons ses opposants, Wade est forcément sur ses gardes. »
France
« Que Kouchner ait une affection particulière pour Alpha, qu’il connaît depuis longtemps [les deux hommes se sont rencontrés à l’âge de 18 ans au lycée Turgot, à Paris, NDLR], ça peut se concevoir. Mais que cela influence notre politique, certainement pas, affirme un décideur français. L’identité du vainqueur nous importe peu. Tout ce que nous voulons, c’est que la campagne se déroule bien et que les deux candidats s’engagent par avance à reconnaître les résultats, quels qu’ils soient. » Et le diplomate de démentir l’existence d’un échange aigre-doux qui aurait opposé un Nicolas Sarkozy pro-Cellou à un Bernard Kouchner pro-Alpha lors du Conseil des ministres du 25 août.
Pour montrer leur neutralité, les responsables français mesurent chacun de leurs gestes. Fin août, le ministre des Affaires étrangères a reçu Alpha au Quai d’Orsay. Mais aussitôt après, il a appelé Cellou au téléphone, afin de tenir la balance égale. Du côté de l’Élysée, son secrétaire général, Claude Guéant, a rencontré Alpha et Cellou avant le premier tour, mais n’a accordé aucune audience depuis le 27 juin. Une exception toutefois : il y a quelques semaines, Sidya Touré, principal allié de Cellou, a été reçu à la cellule africaine de l’Élysée.
États-Unis
C’est sans doute le seul pays clé où l’un des deux candidats, en l’occurrence Alpha Condé, a vraiment une longueur d’avance. Depuis que la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright s’est mobilisée pour le faire sortir de prison, Alpha a ses entrées au Parti démocrate. En juillet 2004, à Boston, il a été invité à la cérémonie d’investiture du candidat John Kerry. Rebelote à Denver, en août 2008, pour le sacre du candidat Barack Obama. Quand il va à Washington, Alpha rencontre notamment le sénateur Ross Feingold et le représentant Don Payne, qui président la sous-commission Afrique dans leurs assemblées respectives. Côté Cellou, rien de comparable. L’ancien étudiant à l’Institut du Fonds monétaire international à Washington ne semble pas avoir gardé beaucoup de contacts aux États-Unis. Son ami Sidya Touré y est en revanche bien introduit.
Les réseaux d’Alpha lui donnent-ils un avantage ? Pas sûr. Le département d’État suit de très près l’élection guinéenne. Pour deux raisons : la bauxite et le rôle stabilisateur de la Guinée aux frontières de la Sierra Leone et du Liberia. Mais pour Washington, comme pour Paris, la priorité est que tout se passe sans violences, quel que soit le vainqueur. D’où le visa longue durée accordé au général Sékouba Konaté pour l’après-élection. Les Américains font-ils un pronostic ? « Non, ils sont prudents, glisse un proche du département d’État. Comme ils savent que beaucoup de gens n’ont pas pu voter au premier tour, ils se gardent de faire de simples calculs arithmétiques et restent très prudents sur l’issue du second tour. »