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L’arrêt sur les biens mal acquis ouvre des perspectives pour les ONG anticorruption

La décision devrait faire grand bruit, notamment dans quelques palais africains : la Cour de cassation a donné son feu vert, mardi 9 novembre, à une enquête judiciaire visant le mode d’acquisition, en France, par trois chefs d’Etat africains d’un imposant patrimoine composé notamment d’immeubles et de voitures de luxe. La plus haute juridiction française a cassé un arrêt de la cour d’appel de Paris qui, le 29 octobre 2009, avait déclaré irrecevable la plainte de l’organisation Transparency International-France pour « recel de détournement de fonds publics » et empêchait de ce fait l’ouverture d’une instruction.

La Cour ordonne le renvoi du dossier à un juge d’instruction pour que soit instruite la plainte de l’ONG, qui considère que les biens en question n’ont pu être acquis qu’avec de l’argent public détourné, tant la disproportion existant entre leur valeur et les revenus affichés par les chefs d’Etat en cause est grande.

La décision vise d’abord les présidents du Gabon – Omar Bongo aujourd’hui décédé et son fils Ali qui lui a succédé -, du Congo – Denis Sassou-Nguesso – et de Guinée équatoriale – Teodoro Obiang Nguema -, mais il s’agit d’un arrêt de principe aux conséquences potentiellement vastes.

Il autorise en effet une ONG telle que Transparency International à mettre en cause les « biens mal acquis » en France par des potentats de toutes origines. La plus haute juridiction judiciaire française considère en effet que des détournements de fonds publics commis par des chefs d’Etat constitue un préjudice pour les ONG qui luttent contre la corruption. La Cour de cassation estime en effet que si les délits poursuivis étaient établis, ils « seraient de nature à causer à l’association Transparence International France un préjudice direct et personel en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission ».

Cet arrêt ouvre donc de nouvelles perspectives aux militants luttant contre la corruption. Il résulte lui-même de trois années de bataille juridique entre les ONG et les autorités françaises, peu désireuses de voir mis en cause des chefs d’Etat considérés comme des « amis de la France ».

FLOTTE DE VOITURES DE LUXE

L’enquête de l’Office central de répression de la grande délinquance financière, menée en 2007 et révélée par Le Monde en février 2008, dressait l’inventaire impressionnant des biens possédés en France par ces chefs d’Etat et leur famille. Il était ainsi établi qu’Omar Bongo et ses proches possédaient 33 biens immobiliers (appartements, maisons, hôtel particulier), qu’ils détenaient 11 comptes bancaires ainsi qu’une considérable flotte de voitures de luxe.

Le président congolais, lui, détenait au total 18 biens tandis que le président Obiang se distinguait par les trois Bugatti à 1 million d’euros pièce fabriquées spécialement pour son fils Teodoro.

La découverte la plus spectaculaire se situait entre les Champs-Elysées et la plaine Monceau, dans le 8e arrondissement de Paris. Là, un hôtel particulier a été acquis le 15 juin 2007 pour la somme de 18,875 millions d’euros par une société civile immobilière (SCI). Celle-ci associe deux enfants du président gabonais, Omar Denis, 13 ans, et Yacine Queenie, 16 ans, son épouse Edith, qui se trouve être la fille du président congolais Denis Sassou Nguesso, et un neveu de ce dernier, Edgar Nguesso, 40 ans.

Cette enquête de police avait été diligentée à la suite de la plainte déposée en mars 2007 par trois associations : Sherpa, groupement de juristes spécialisés dans la défense des droits de l’homme, Survie, spécialisée dans la dénonciation des turpitudes de la « Françafrique », et la Fédération des Congolais de la diaspora, qui dénonce l’opacité financière du régime de Brazzaville.

Sur la base d’un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) recensant les avoirs détournés par plusieurs chefs d’Etat, elles accusent Omar Bongo, Denis Sassou-Nguesso et Teodoro Obiang-Nguema, de « recel de détournement d’argent public ». Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire en juin 2007. Mais cette première plainte a été classée sans suite en novembre 2007.

Une deuxième, assortie d’une constitution de partie civile, a été déposée en décembre 2008 par Transparence International France (TIF) ainsi que par un contribuable gabonais, Gregory Ngbwa Mintsa. Ce dernier a alors été interpellé et incarcéré au Gabon pendant douze jours.

En mai 2009, Françoise Desset, doyenne des juges d’instruction du pôle financier de Paris, a jugé recevable la plainte de TIF tout en rejetant celle de M. Ngbwa Mintsa. Une information judiciaire pouvait alors s’ouvrir. Mais le parquet, placé sous l’autorité du ministère de la justice, avait fait appel et obtenu satisfaction en octobre 2009 par un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait stoppé dans l’œuf l’instruction. C’est cette dernière décision, que la Cour de cassation a censuré mardi.

Philippe Bernard

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