Contrôler les dirigeants africains, leurs richesses et leur influence, et en faire des alliés privilégiés de la France : bienvenue au cœur de la Françafrique, un monde où tous les coups sont permis.
Rien n’a changé, dans les rapports franco-africains, depuis l’accession du continent à l’indépendance jusqu’à nos jours. C’est ce que veut démontrer le documentaire Françafrique* réalisé par Patrick Benquet qui dévoile les arcanes d’une diplomatie de réseaux plus ou moins occultes. Avec les conseils du journaliste Antoine Glaser, il a retracé l’histoire des relations entre la France et l’Afrique (banalisées sous le terme devenu péjoratif de « Françafrique »). Des relations orchestrées dès 1960 par Jacques Foccart, le conseiller Afrique de Charles de Gaulle, et qui se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui.
L’avocat Robert Bourgi, conseiller de Jacques Chirac et désormais proche de Nicolas Sarkozy, témoigne : « En 2002, au lendemain de la victoire de M. Chirac, avant que ne soit constitué le gouvernement, le président Chirac a dit : “Il serait bon, Robert, que vous présentiez au président Bongo [Omar Bongo Ondimba, aujourd’hui décédé, NDLR] les hommes de l’avenir”. On s’est retrouvés dans l’appartement de Bongo [à Paris, NDLR], il y avait François Fillon, Jean-François Copé, Pierre Bédier. Il les a interrogés […], à la fin de l’entretien, il a pris son papier à lettres et couché les noms des élus. Il a dit : “Tu portes ça à Jacques.” Il y avait sept noms et parmi les sept, cinq sont devenus ministres du gouvernement Raffarin. »
Et lorsque le réalisateur lui demande si ces pratiques le choquent, il répond, en riant : « Non, ça m’amuse ! »
Inédit
Ces tractations d’alcôve menées par des « visiteurs du soir » invisibles, sont en effet devenues des secrets de polichinelles. Mais c’est la première fois qu’autant de personnalités économiques ou politiques directement impliquées dans cette « diplomatie parallèle » acceptent de se confier devant une caméra. « Certains n’avaient jamais parlé et d’autres n’avaient jamais parlé comme ça », souligne le réalisateur.
Maurice Delaunay, ex-ambassadeur au Gabon, décédé depuis, décrit ainsi sans retenue les manœuvres qui l’ont conduit à favoriser l’accession au pouvoir d’Omar Bongo Ondimba ou, plus tard, la protection qu’il apporta au mercenaire Bob Denard après une tentative de coup d’État manquée au Bénin.
Albin Chalandon, PDG de la société Elf de 1977 à 1983, raconte, lui, comment il « arrosait » généreusement le financement des campagnes électorales des grands partis grâce aux énormes revenus générés par le pétrole africain. « Pour les législatives de 1978 et la présidentielle de 1981, dit-il, cela fait 7 millions de francs, partagés à égalité au nom du principe d’impartialité d’une entreprise publique entre la gauche et la droite. »
Continuité
« J’ai voulu montrer que de De Gaulle à Sarkozy, il y a une continuité , explique à l’AFP Patrick Benquet. Les gens connaissent un certain nombre de choses – le Biafra, les diamants de Bokassa, Bob Denard, l’affaire Elf… – mais ne font pas le lien. Tout cela s’inscrit pourtant dans une cohérence. »
Voir un extrait de « Françafrique » :
Loïk Le Floch-Prigent, lui aussi président d’Elf (1989-1993) explique en effet que ces pratiques sont toujours monnaie courante. Lui revient sur le financement des guerres en Angola et au Congo-Brazzaville auquel il a participé afin de favoriser les desseins de sa compagnie…
Pourtant, si la Françafrique existe encore, le rapport de forces s’est inversé ces dernières années, explique Patrick Benquet. Après avoir été faits et défaits par la France, les dirigeants africains ont pris le dessus. Ils font notamment jouer la concurrence avec Américains et Chinois pour l’exploitation des matières premières.
« L’Afrique, ce n’est pas la tasse de thé de Sarkozy, explique-t-il. Mais il doit effectuer des allers-retours afin de jouer les VRP pour Bolloré, Bouygues ou Areva. » (avec AFP)
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*Françafrique sort en DVD le 2 décembre. Deux épisodes de 80 minutes, qui seront aussi diffusés les 9 et 16 décembre sur France 2.