En vue de s’entendre sur la définition du différend frontalier entre leurs deux pays, les présidents Ali Bongo Ondimba du Gabon et Teodoro Obiang Nguema Mbazogho de la Guinée-Equatoriale se retrouvent à l’ONU les 24 et 25 février prochains. Dans cette perspective, Ali Bongo a eu, avec les différentes composantes de la nation gabonaise, une large consultation qui s’est terminée par un point presse le 18 février. A New-York, le président gabonais va donc défendre une position partagée par ses compatriotes.
La série de concertations lancée depuis le 8 février par Ali Bongo en vue de recueillir les avis sur la question du différend frontalier entre le Gabon et la Guinée Equatoriale au sujet de l’Ile Mbanié, s’est achevée le 18 février par un point presse animé par Guy Rossatanga-Rignault, chef du département juridique de la présidence de la République.
Les journalistes qui n’ont eu droit ni à la concertation comme avec les autres corps reçus avant eux, ni au jeu question-réponse, sont restés sur leur faim. Au point que certains d’entre eux ont lâché, en off, les questions qui taraudent leurs esprits. Notamment, «que cache ce ramdam national autour de l’Île Mbanié ?», « Ne nous prépare-t-on pas à une perte ou à un partage de cette portion du territoire gabonais et peut-être même à un conflit armé ?», «quel avis peut bien donner, par exemple, un président de Conseil départemental ou un membre de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite sur un problème dont la quintessence est consignée dans un mémoire, remis au médiateur à New-York depuis le 22 août 2003, qui présentait déjà les faits, les revendications et les suggestions de solution ?»
Le rencontre du 18 février dernier n’a donc donné lieu qu’à un exposé par Guy Rossatanga-Rignault portant sur l’historique et l’état d’avancement du différend de l’île Mbanié. Le conférencier a décliné un véritable cours d’histoire sur les frontières entre le Gabon et la Guinée.
On retiendra, en l’occurrence, sa relation du différend depuis août 2003 lorsque le Canadien Yves Fortier, juriste international et ancien ambassadeur du Canada auprès de l’ONU, a été chargé de la médiation entre les deux pays du fait de la résurgence du démêlé. Yves Fortier a mené le dossier de 2003 à 2006, sans résultats.
Cette médiation était purement diplomatique. Les instruments juridiques, les arguments de droit n’y avaient nullement été utilisés. Il s’agissait alors d’aider les deux parties à trouver une solution négociée à leur différend, une solution gagnant-gagnant permettant de sauver la face à l’une et l’autre des parties.
En 2008, avec l’arrivée de Ban Ki Moon aux Nations unies, celui-ci propose aux deux capitales une nouvelle négociation. Celle-ci comportait deux étapes : une étape diplomatique, de six mois à un an, faisant la continuité de la première médiation et visant toujours à trouver un arrangement. Et, une deuxième phase n’intervenant qu’en en cas d’échec de la première. Strictement juridique, cette deuxième étape doit permettre la négociation et la conclusion d’un compromis juridictionnel. Ce qui signifie que les deux Etats doivent signer un traité permettant qu’ils soient jugés sur le plan international. Ce qui est presque fait.
Le Blocage
En juin 2008, à l’ouverture des négociations à New-York, la Guinée Equatoriale demande de passer outre la première phase et d’aller directement à la deuxième. La conduite de cette médiation est alors confiée au suisse Nicolas Michel, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des affaires juridiques. Elle se poursuit jusqu’à ce jour avec 90% de réalisation du traité. Il ne reste qu’un seul article objet d’un blocage depuis juillet 2010. Ce qui a amené le médiateur à suspendre temporairement les sessions de la médiation et à solliciter le Secrétaire général de l’ONU pour l’organisation du sommet qui aura lieu les 24 et 25 février à New-York, mettant face à face les deux chefs d’Etats et écartant pour un moment les experts en vue du déblocage de la situation pour la rédaction terminale du compromis juridictionnel.
Selon Guy Rossatanga Rignault, l’article premier de ce compromis juridictionnel comporte la question fondamentale que pose chacun des antagonistes au juge ou à la Cour dont ils vont reconnaitre la compétence. Chacune des parties doit en effet définir l’objet du litige. Plus simplement, elle formule, dans cet article 1, la question à la quelle elle voudrait voir le juge répondre. De la définition de cette question du litige dépendra tout le reste de la procédure.
En substance, la Guinée Equatoriale demande « À qui appartient l’île Mbanié ? » Et Guy Rossatanga Rignault de marquer son étonnement : «Pourquoi, lorsqu’on est propriétaire d’un bien, demander si on est propriétaire de ce bien. Si on pose cette question, c’est qu’on doute soi-même de sa propriété. Or, pour ce qui concerne le Gabon, il n’y a pas de doute sur cette propriété qui est établie par le traité de 1900 et la convention de 1974.»
Le Gabon n’accepte ni ne pose cette question. «Nous ne doutons pas que Mbanié est une île gabonaise. Nous n’allons pas demander à un tiers à qui appartient notre bien.» La question que pose le Gabon est celle-ci : « La convention de 1900 et celle de 1974 ne répondent-elles donc pas à la question posée par les Equato-guinéens ?»
Ceux-ci ne veulent évidemment pas de cette question, de même que la partie gabonaise ne veut pas de la question formulée par les Guinéens. «D’autant plus que, explique Guy Rossatanga Rignault, s’il s’agit de faire un pas l’un vers l’autre, c’est à celui qui conteste la souveraineté de l’autre de faire ce pas. Ce sont les Equato-guinéens qui ont un problème et non les Gabonais. Ce sont les Equato-guinéens qui ont voulu porter ce différend devant la Cour internationale de justice et pas les Gabonais. Ils doivent donc accepter d’aller à la Haye sur la base que nous posons, parce que nous, nous n’avons pas de problème. Mbanié n’est pas un problème gabonais, Mbanié est un problème guinéen.»
L’île problématique n’est distante que de 16 km de Bolokoboué (pointe terrestre gabonaise situé au Cap Estérias) et de 36 km de l’aéroport de Libreville alors que son point le plus proche de la Guinée Equatoriale est à 66 Km d’elle.
Nouveaux tracés et pétrole
Un décret signé par le président Obiang Nguéma Mbazogho en 1999 fixe unilatéralement la frontière de son pays avec le Gabon. Ceci vient remettre en question le traité de 1900 complété par celui de 1974. Or, la coutume dans le droit international interdit à un Etat de fixer unilatéralement ses frontières. Celles-ci doivent être le produit de la rencontre de la volonté de deux Etats par le biais d’un traité. De plus, en redessinant unilatéralement leurs frontières, les Equato-guinéens ont tracé, à leur convenance, une courbe passant par le large de Cocobeach (Gabon) et de Libreville avant de gagner la haute mer à la frontière du Gabon et de Sao-Tomé et Principe.
L’exposé de Guy Rossatanga Rignault révèle par ailleurs qu’en 50 ans d’exploration, personne ni aucune compagnie n’a jamais découvert la moindre trace d’huile sur ou autour de Mbanié. Il n’y a donc «pas une seule goutte de pétrole sur Mbanié.» Economiquement, la zone n’est que relativement poissonneuse. Alors que seuls les Etats insulaires sont autorisés à fixer leurs frontières à partir d’îles, la Guinée Equatoriale qui n’est pas un Etat insulaire, considère Mbanié comme la dernière partie de son territoire et a tracé sa frontière à équidistance entre cette île et le Cap Estérias. Le pays d’Obiang Nguema Mbazogho s’accapare ainsi un vaste espace couvrant la zone économique exclusive du Gabon entre le Gabon et Sao-Tomé. Il est à préciser que la zone exclusive économique commence à 250 km après la côte et l’île Mbanié se trouve à 16 km de la côte gabonaise, donc dans les eaux gabonaises.
Au début des années 2000, le ministère gabonais des Mines et du Pétrole a accordé un contrat d’exploration et d’exploitation sur le permis Igoumou à Shell Gabon. Cette compagnie a découvert par la suite qu’un concurrent américain dispose également d’un permis sur le même espace délivré par la Guinée-Equatoriale. Ce n’est qu’à ce moment que le Gabon se voit exhiber le nouveau tracé des frontières arbitraires de son voisin du Nord-est. Et ce n’est qu’à ce moment, selon Rossatanga-Rignault , qu’on commence à parler de pétrole dans ce différend. «S’il y a du pétrole, il se trouve entre Libreville et Sao-Tomé dans la zone économique exclusive du Gabon», souligne le chef du département juridique de la présidence de la République gabonaise.
Il faut garder à l’esprit que le Gabon se situe dans le golfe de Guinée qui compte 24 milliards de barils de pétrole de réserves et qui devrait devenir dans les prochaines années le premier pôle mondial de production en offshore très profond. La forte attractivité de cette région suscite des convoitises de plus en plus grandes de la part des pays consommateurs : des Européens, qui ont une influence traditionnelle dans la région, mais aussi, de plus en plus, des Américains et même des Chinois. On est visiblement, là, en présence d’un litige pétrolier provisoirement occulté.
Désormais, les regards sont tournés vers New-York, où Ali Bongo Ondimba et Teodoro Obiang Nguema Mbazogho, vont se retrouver les 24 et 25 février prochain aux côtés de Ban-Ki Moon.