Alors que le président reconnu Alassane Ouattara vient d’annoncer la levée partielle du couvre-feu pour ce vendredi, LEXPRESS.fr a recueilli le témoignage de notre envoyé spécial à Abidjan, Vincent Hugeux.
A Yopougon, des poches de résistance pro-Gbagbo subsistent
Si la situation globale sur place ne fait plus état de tirs à l’arme lourde et de combats violents (voir encadré), dans certains quartiers de la capitale économique ivoirienne, les exactions continuent, et la sécurisation de la ville est loin d’être totalement effective. Depuis le nord d’Abidjan, notre envoyé spécial, Vincent Hugeux, témoigne: « Un civil m’a raconté, complètement hébété, que dans la nuit du 6 avril, dans le quartier de Yopougon, un commando de miliciens et de militaires avait totalement ravagé sa rue, massacré, violé, pillé et incendié plusieurs maisons et une boulangerie. Après leur passage, il restait dix cadavres appartenant à la même famille. »
Récoltant des témoignages de scènes plus meurtrières les unes que les autres, notre envoyé spécial rencontre un homme qui se dit acheteur en produits agricoles. Ce dernier déroule alors en quelques minutes ses dernières 24 heures. « Près de chez moi, un pharmacien a été enlevé parce qu’il figurait sur une affiche de campagne d’Alassane Ouattara. Ensuite, quatre hommes en civil munis de kalachnikovs ont forcé mon portail. Ils étaient à ma recherche. Pour m’échapper, je suis alors passé par l’orifice de mon climatisateur. Je me suis retrouvé dans le cimetière du quartier, où j’ai passé la nuit, avant d’être secouru par les FRCI », les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, raconte-t-il à notre reporter.
Dernière rencontre, dernière confession d’actes d’une violence inouïe perpétrés dans le district de Yopougon, acquis aux pro-Gbagbo. « J’ai intercepté une conversation entre un gradé des FRCI et un policier. Le gradé lui demandait pourquoi il ne rentrait pas dans son commissariat. Le policier a répondu que cela était inenvisageable, qu’il n’avait pas d’armes comme ses septs collègues, et que son poste de police n’était plus du tout contrôlé. ‘Chez nous, on brûle des gens tous les jours’, avait-il conclu », ajoute notre journaliste, joint par téléphone.
La vie quotidienne de plus en plus difficile
Dans les autres quartiers d’Abidjan, la vie des civils est très préoccupante. Vincent Hugeux raconte qu’un ami ivoirien, aussi journaliste et d’habitude très enjoué et placide, ne cachait pas sa vive inquiétude. « Je l’ai appelé hier soir. Il ne lui reste plus que deux jours de vivres et d’eau potable, et cela au prix d’un rationnement drastique. Dans la nuit, il entend les tirs d’armes lourde, et le bruit des hélicoptères. Il doit redoubler d’efforts pour occuper l’esprit de ses enfants pour qu’ils ne s’inquiètent pas à leur tour. » D’après ses observations, il n’y a quasiment plus rien dans les magasins, et « c’est un vrai risque de sortir dehors ». (Retrouvez ici le témoignage de ce journaliste ivoirien, recueilli il y a quelques jours.)
De son côté l’AFP rapportait ces derniers jours que la ville était paralysée, les habitants restant terrés chez eux. Abidjan est désormais confrontée à l’urgence humanitaire. Autrefois prospère, la ville est livrée aux pillards, les cadavres ne sont pas ramassés, le système de santé s’est effondré, l’eau et l’électricité sont souvent coupées et les réserves de nourriture baissent rapidement. Par ailleurs, si l’ONU a demandé l’ouverture de corridors humanitaires en Côte d’Ivoire, ceux-ci se limiteraient à l’Ouest et au Nord du pays.
Ouattara veut reprendre la main
A l’image de son discours à la TCI ce jeudi, Alassane Ouattara souhaite reprendre la main et se comporter en véritable président de la Côte d’Ivoire. Selon Vincent Hugeux, il aurait ainsi « changé de tactique »: « Ouattara laisse à Gbagbo le terrain des combats, lui veut montrer qu’il s’occupe de la situation des Ivoiriens, et qu’il veut remettre le pays sur pied. C’est dans cette optique qu’il a annoncé des mesures concrètes s’agissant notamment du rétablissement normal de l’eau et de l’électricité. L’appel de l’entourage du Premier ministre, Guillaume Soro, à l’enregistrement des militaires et des policiers rentre aussi dans ce cadre. »
Mais, comme en témoignent les poches de résistance précédemment citées, en ce qui concerne le rétablissement de l’ordre dans la totalité de la ville, voulu par le président reconnu, la chose sera plus complexe, selon Vincent Hugeux.
Calme dans le reste d’Abidjan
Si dans le district de Yopougon, la violence est toujours patente, dans le reste d’Abidjan, la situation était calme vendredi matin, notamment autour du palais présidentiel et près de la résidence présidentielle, qui fait l’objet d’un blocus des forces pro-Ouattara. « On entend seulement de temps en temps quelques rafales d’armes individuelles mais rien qui ressemble à des combats », a rapporté un habitant de Cocody (nord) où se trouve la résidence présidentielle. Une habitante résidant dans le quartier du Plateau, dans le centre d’Abidjan, a également déclaré à l’AFP ne pas avoir entendu de tirs.