Le coût de l’acquisition de la biométrie annoncé le 28 avril dernier lors d’une concertation de la classe politique gabonais à ce sujet, suscite des interrogations et des soupçons de concussion auprès de certains acteurs et observateurs de la scène politique gabonaise. Mais personne ne veut jeter le pavé dans la mare à visage découvert. Synthèse et caricature de ce qui se murmure à ce sujet.
Le coût total de l’opération a été donné par l’hebdomadaire « La Griffe » qui a titré : «Une biométrie à 100 milliards». Et ce satirique de s’offusquer de ce qu’aucun des 30 partis politiques invités le 28 avril à la Cité de la Démocratie à Libreville, ne se soit étonné de la «montée en flèche de ce chiffre» qui était de 30 milliards de francs CFA en 2007 alors qu’André Mba Obame était ministre de l’Intérieur.
La facture de Morpho-Safran au Gabon
Les remarques de « La Griffe » font suite à la concertation dernièrement organisée par le président Ali Bongo avec la classe politique gabonaise et la société civile au sujet de l’utilisation de la biométrie lors des prochaines législatives. La rencontre a été l’occasion pour le directeur des programmes zone Afrique-Asie de la société française Morpho (groupe Sagem/Safran), spécialiste des solutions techniques de sécurité et des systèmes de reconnaissance automatiques d’empreintes digitales ou de visages, et pour le ministre gabonais de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, d’édifier les invités sur la faisabilité, les coûts et les différentes hypothèses de calendrier électoral consécutives aux dépenses à engager pour l’obtention de la biométrie.
Il en ressort que l’opération dite « express », s’étalant sur cinq mois, se chiffrerait à 30 milliards de francs CFA. Morpho-Safran empochant au passage 24 milliards de francs CFA pour sa prestation, l’opération reviendrait à 54 milliards de FCFA. L’opération standard, quant à elle, dure 13 mois et se facture à près de 100 millions. A l’unanimité, les acteurs de la concertation sur la biométrie ont reconnu que cette somme est trop élevée et non prévue dans la loi des finances 2011.
Le contre-exemple ivoirien
Au terme de cette rencontre autour du président Ali Bongo, des voix off ont commencé à se montrer méfiantes avec ce marché confié à la société Morpho dans des conditions qui restent à déterminer. Persuadés qu’un appel d’offres international aurait débouché sur des coûts moins élevés, les plus informés, on rappelé qu’en 2007 la facture pro format de cette opération était de 30 milliards de francs CFA et qu’en avril 2008, Sagem Sécurité, filiale de Safran, avait facturé 66,7 milliards de francs CFA à la Côte d’Ivoire pour émettre, en sept mois de travail, 11 millions de cartes d’identité à puce hautement sécurisées et 9 millions de cartes d’électeur dans un pays de 21 millions d’âmes.
Branche du groupe Safran, Sagem Sécurité a modifié son nom en avril 2010 pour devenir Morpho. Avant ce changement de nom, en Côte d’Ivoire on qualifiait de «deal fumeux» le contrat que cette entreprise avait remporté face à six concurrents. On parlait alors d’une commission de dix milliards de francs CFA versée au Premier ministre Guillaume Soro et à Désiré Tagro, alors ministre ivoirien de l’Intérieur. Il se racontait alors que la facture de Sagem Sécurité avait atteint le montant de 66,7 milliards de francs CFA à cause des pots-de-vin réclamés par les parties qui avaient œuvré pour la désignation de Sagem. Cette entreprise a donc des antécédents en Afrique en matière d’obtention des marchés publics.
Le questionnement gabonais en off
Ainsi, face à la facturation au Gabon des prestations de Morpho, l’hebdomadaire « La Griffe » s’est étonné de ce que l’ACR, dont le leader Pierre Mamboundou est réputé tatillon et méticuleux, se soit «comporté comme de nouveaux élèves, à leur premier jour de classe». Dans les faits, des avis dissonants ont été recueillis après la rencontre du 28 avril. Mais, ils n’ont été livrés qu’en requérant l’anonymat. Ces avis discordants portent sur le non-respect du Code des marchés public qui oblige à un appel d’offres pour un tel montant. Ils s’interrogent sur les modalités et conditions du choix de la société française Morpho. Et, nombreux pensent, toujours en off, que le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre devraient s’expliquer sur ce choix.
Un Internaute gabonais connu pour sa perspicacité n’a pas manqué d’écrire sur le « forum » de Gaboneco : «On ne peut qu’être étonné du choix fait sur la Sagem, quand on sait les méfaits (doublons, électeurs bidons, etc.) dont elle a truffé la liste électorale ivoirienne… et aussi le cout exorbitant des prestations qu’elle y a facturées!» (sic) avant de conclure : «Il serait bon de lancer un appel d’offres internationales… et on verra le devis être réduit de ses 2 tiers». N’assiste-t-on pas là à un remake de ce que les Ivoiriens avaient nommé chez eux « l’affaire Tagro-Sagem » ?