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Gabon : le pari de l’écologie

Par Georges Dougueli, envoyé spécial

L’État gabonais compte bien gagner son statut de pays émergent grâce à sa fibre verte. Dès le début de son mandat, Ali Bongo Ondimba a intégré l’environnement à l’ensemble des politiques sectorielles. Beaucoup ont cru à un gadget. Dix-huit mois plus tard, dans tous les secteurs, on se met au diapason.

Entre les peuples du Gabon et la forêt, une histoire multimillénaire d’amour et de crainte s’est tissée. L’atmosphère mystérieuse de la jungle, peuplée de bons et de mauvais génies, a inspiré toutes sortes de légendes, rapportées par le conteur André Raponda-Walker. Sa nature luxuriante et extra­ordinairement variée a abrité, nourri et soigné les hommes. Son ombre a protégé le secret des sociétés initiatiques et des syncrétismes autochtones, entre le son des tam-tams et les incantations du Bwiti, les masques Osso et le culte des ancêtres.

Fascinante mais oppressante, la forêt est repoussée, incendiée et pillée. Au nom du développement, les colonisateurs puis le Gabon indépendant ont prélevé et commercialisé ses essences. Pourtant, aussi prédatrices qu’elles paraissent, l’exploitation forestière et l’agriculture sur brûlis n’ont fait qu’égratigner la superficie boisée qui s’étend sur 220 000 km2, soit 82 % du territoire.

L’émergence des grandes questions environnementales a changé le regard porté sur cet écosystème. La préservation de la forêt – seule capable, avec les océans, de capter le CO2 – est devenue un enjeu planétaire, et les pays du bassin forestier et hydrographique du Congo ont été propulsés aux avant-postes de la lutte.

Virage écolo

Le Gabon veut relever le défi, sans oublier d’en percevoir les bénéfices. Lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, en août 2002, Omar Bongo Ondimba annonce qu’il offre à l’humanité 11 % de la superficie du pays en créant 13 parcs nationaux et demande un retour financier pour ce geste en faveur de l’équilibre de la planète.

Poursuivant ce virage écologiste, le Gabon ratifie en 2005 le protocole de Kyoto, qui prévoit le versement par les pays développés de compensations pour leurs émissions de carbone. « Un marché de dupes, selon un cadre de l’administration, car les Occidentaux continuent de polluer chez eux et nous demandent de compenser en préservant la forêt, sans rien payer. » En effet, la rente que les dirigeants espéraient capter en laissant les arbres sur pied se fait attendre. Les conférences des Nations unies sur le changement climatique, à Bali en 2007, Copenhague en décembre 2009, puis Cancún en décembre 2010, ont abouti à une promesse de dons de 4 milliards de dollars (3 milliards d’euros d’alors) à distribuer sous forme d’aide publique au développement ou de crédit carbone aux pays parvenant à freiner la déforestation. Mais, pour l’instant, aucun paiement n’a été effectué.

Pourtant, les autorités gabonaises gardent le cap, dans le sillage du chef de l’État, particulièrement impliqué. Ali Bongo Ondimba (ABO) préside lui-même le Conseil climat, créé en mai 2010, dont la mission est d’élaborer la politique du pays en matière de changement climatique. Parmi les décisions envisagées, l’obligation pour chaque projet, public ou privé, de mettre en perspective le coût financier, le nombre d’emplois créés, mais aussi l’empreinte carbone. Le code de l’environnement a en outre été toiletté par le cabinet français spécialisé Huglo Lepage et Associés, à l’œuvre sur ce texte depuis 2008. Achevé il y a quelques semaines, le document attend d’être validé par le Conseil d’État.

Carcan

A priori, rien n’obligeait ce pays en voie de développement à s’astreindre au respect des règles environnementales. Le Gabon est le quatrième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne. Les hydrocarbures, le bois et le manganèse représentent 95 % de ses exportations et contribuent pour moitié à son PIB. Or, personne n’en doute, l’or vert ne peut pas remplacer l’or noir. Gabon vert n’est-il pas un obstacle pour Gabon industriel, autre pilier du projet présidentiel d’ABO, élu en 2009 ? « Je ne crois pas qu’il existe une contradiction fondamentale entre la notion de croissance et celle de développement durable », soutient Léandre Ebobola, directeur de l’Environnement et de la Protection de la nature au ministère de l’Écologie. « Cette forêt est indispensable pour ceux qui la possèdent avant de l’être pour le reste de l’humanité », argumente Étienne Massard, conseiller du chef de l’État et président du comité de gestion de l’ANPN.

Un équilibre à trouver. Ainsi, l’interdiction, depuis le 15 mai 2010, d’exporter le bois en grumes a conduit beaucoup d’entreprises à licencier et a généré un manque à gagner estimé à 137,1 milliards de F CFA (209 millions d’euros). Mais à moyen terme, le développement d’un tissu industriel de transformation va compenser ces pertes, faire naître de nouveaux métiers et créer des emplois. Reste à construire des routes et des infrastructures, notamment dans les parcs nationaux, encore mal desservis. Et à continuer de prendre des mesures plus ponctuelles mais tout aussi essentielles, comme l’interdiction, en juillet 2010, des sacs plastique au profit des emballages biodégradables.

Champion régional

Le pays veut se poser en pionnier de l’économie verte, dans une Afrique centrale traditionnellement orientée vers l’exploitation pétrolière et minière. Lors de la première Conférence panafricaine sur la biodiversité, qui s’est tenue début septembre 2010 à Libreville, ABO a été investi champion régional. Mi-septembre, il représentait ses pairs à New York, à la 65e Assemblée générale de l’ONU consacrée au climat et à la biodiversité, avant de se rendre, en octobre, à Nagoya, au Japon, défendre les positions communes adoptées par les chefs d’État du continent lors de la 10e Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique.

Le Gabon tente, depuis, de favoriser une convergence de vues entre pays forestiers pour parler d’une seule voix dans les négociations internationales. Il va encore plaider cette cause lors du Sommet des trois bassins forestiers tropicaux, qui doit réunir, du 31 mai au 3 juin 2011, à Brazzaville, des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique centrale, d’Amazonie et du Mékong.

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