Par Georges Dougueli
Élu et habitants de la région de Moanda demandent réparation à la Comilog pour l’impact environnemental de ses activités de production de manganèse. La filiale d’Eramet affiche ses « réserves sur le fondement » de cette plainte collective, la première du pays.
Etrange destin que celui de la ville de Moanda. Celle qui somnolait à 700 km au sud-est de Libreville et n’était qu’une bourgade perdue dans le paysage montagneux du Haut-Ogooué a vu son destin basculer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a découvert dans ses entrailles un important gisement à haute teneur en manganèse (45 % à 50 %), un minerai classé parmi les meilleurs du monde.
Dès 1962, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), filiale du groupe français Eramet, y exploite une mine à ciel ouvert. Depuis, des milliers de travailleurs ont afflué vers Moanda, parmi lesquels d’anciens mineurs venus de la ville voisine de Mounana après l’arrêt des activités de la Compagnie des mines d’uranium de Franceville en 1999. En cinquante ans, la population de Moanda est passée de 500 à 40 000 âmes.
Paysage lunaire
Avec son parcours de golf à dix-huit trous, le quartier résidentiel cossu qui abrite ses cadres expatriés, sans oublier l’avion privé de son directeur général, Marcel Abéké, la Comilog rayonne de prospérité. La compagnie, qui a enregistré une production de 3,2 millions de tonnes de manganèse en 2010 (en hausse de 61 % par rapport à 2009), prévoit une production de 3,6 millions de tonnes en 2011 et de 4 millions en 2012. Elle fait d’Eramet l’heureux deuxième producteur mondial de ce métal de transition, principalement utilisé pour augmenter la résistance des alliages, notamment d’acier et de bronze.
Sur le plateau Bangombé, la mine a de faux airs de paysage lunaire balayé par des draglines, ces impressionnants engins qui pellettent l’écorce des vastes étendues de terre noirâtre. Le minerai brut est chargé dans de non moins impressionnants camions, puis concassé et convoyé jusqu’à la laverie. Là, dans un vacarme assourdissant, des jets d’eau à très haute pression éliminent les particules argileuses pour épurer le minerai, avant son transport vers les aires de stockage ou le terminal ferroviaire minéralier.
C’est du propre
Le problème est que, depuis 1962, l’opérateur minier déverse allègrement les eaux usées de sa laverie dans le lit de la rivière Moulili. Conscient des dégâts causés par ses activités minières, Eramet décide en 2008 de stopper ces rejets et adopte un splan de réhabilitation de la rivière, qui prévoit de valoriser les sédiments qui y sont déposés. Mais, en 2009, une partie du projet est gelée. Les travaux nécessaires pour mettre fin à l’évacuation des eaux usées dans le cours d’eau ont été terminés en 2010 : selon l’entreprise, la laverie fonctionne désormais « avec zéro rejet ». Les sédiments, eux, devront attendre la relance du plan, prévue fin 2011…
Dopée par la reprise de la demande mondiale, la Comilog a fait construire en 2001, pour près de 80 millions d’euros, au bord de la même rivière Moulili, le Complexe industriel de Moanda (CIM), comprenant une nouvelle unité d’enrichissement de manganèse pauvre et une usine de production de manganèse aggloméré d’une capacité de 600 000 t/an. Plusieurs décennies de déversements industriels dans les cours d’eaux et de dépôt de poussières chargées d’agents chimiques ont contaminé l’environnement.
Requête
L’affaire prend une autre tournure quand des élus locaux soupçonnent un lien de cause à effet entre l’exposition aux agents chimiques issus de l’exploitation minière et la forte prévalence, au sein de la population de la région de Moanda – à commencer par les travailleurs de la Comilog –, de maladies cardiovasculaires, d’infections pulmonaires et de cancers. Ce que souligne un rapport relatif aux impacts de l’exploitation minière sur les populations locales et l’environnement dans le Haut-Ogooué, publié en août dernier par l’ONG Brainforest de Marc Ona Essangui.
Soutenu par un collectif de 350 habitants et quatre ONG, dont Brainforest, le député Jean-Valentin Leyama a introduit une requête devant un juge de Libreville. Son objectif : faire condamner la Comilog à payer 490 milliards de F CFA (747 millions d’euros) au titre de dommages et intérêts, notamment pour dégradation de l’environnement et violation des droits de l’homme, en l’occurrence, des populations de Moanda et du plateau Bangombé.
Dommages
Portée par l’avocate gabonaise Paulette Oyane Ondo (lire ci-contre), la requête décrit dans les détails la pollution attribuée à l’entreprise minière.
Par l’effet du ruissellement, c’est tout le réseau hydrographique local qui a été affecté. À cause des dépôts industriels, la rivière Massa s’est transformée en marécage. Selon des analyses effectuées par le laboratoire du ministère gabonais des Mines, elle présente une teneur en manganèse estimée à 0,16 milligramme par litre, alors que la norme internationale définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 0,05 mg/l. Sa concentration en fer est aussi anormalement élevée.
Les plaignants dénoncent en outre la contamination des sources d’eau potable au mercure, la formation de « nombreux lacs artificiels résultant du blocage des écoulements par les déblais miniers », la destruction de la faune et de la flore alentour, la fin de la pêche, etc.
L’opérateur minier a émis des réserves sur « le fondement et le sérieux » d’une action en justice et souligné que, dans ses activités et ses investissements, les aspects de santé, de sécurité et d’environnement « sont pris en compte de manière responsable ». L’affaire, qui est la première class action gabonaise, sera examinée à partir du 26 juin au tribunal de première instance de Libreville.
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