Suspendus en mars dernier du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), pour n’avoir pas soutenu le projet de révision constitutionnelle de décembre 2010, les députés Paulette Oyane Ondo et Christophe Owono Nguéma avaient saisi l’Union interparlementaire (UIP). Dans sa «Décision adoptée par le Comité à sa 133ème session (Panama, 15-19 avril 2011)», l’UIP déjuge le parti au pouvoir en rappelant notamment que «l’intervention en commission parlementaire des députés concernés relève de l’exercice de leur liberté d’expression, qui est le pilier même de l’exercice du mandat parlementaire, et considère par conséquent que leur intervention ne devait pas avoir une quelconque incidence sur leur mandat parlementaire». L’intégrale de la décision de l’UIP.
UNION INTERPARLEMENTAIRE
COMITE DES DROITS DE L’HOMME DES PARLEMENTAIRES
CAS N° GB/02 – PAULETTE OYANE-ONDO
CAS N° GB/03 – JEAN CHRISTOPHE OWONO NGUEMA
Décision confidentielle adoptée par le Comité à sa 133ème session (Panama, 15-19 avril 2011)
Le Comité,
se référant au cas de Mme Paulette Oyane-Ondo et de M. Jean Christophe Owono Nguema, membres de l’Assemblée nationale appartenant au Parti démocratique gabonais (PDG),
tenant compte de la lettre du Président de l’Assemblée nationale du 23 mars 2011 et des informations et observations qu’il a fournies lors de l’entretien tenu à la faveur de la 124ème Assemblée de l’UIP,
considérant les éléments suivants versés au dossier :
– le 6 décembre 2010, lors de l’examen du projet de loi portant révision de la Constitution à la Commission des lois, des affaires administratives et des droits de l’homme de l’Assemblée nationale, Mme Oyane-Ondo a manifesté ses craintes pour l’image du Gabon au plan international attendu que, selon elle, la révision en question ne respectait pas les dispositions de la Charte africaine sur la démocratie qui stipule que toute révision de la Constitution doit se faire sur la base d’un consensus national ; souscrivant aux mêmes préoccupations que Mme Oyane-Ondo, M. Owono Nguema a, quant à lui, suggéré une démarche référendaire à la révision de la Constitution ;
– ces interventions des deux députés ont été jugées contraires aux directives du parti ; le Président de l’Assemblée nationale a indiqué à ce sujet que le Gouvernement avait souhaité harmoniser les positions au sujet du projet de révision et que, par conséquent, une réunion préparatoire avait été convoquée aux fins d’une harmonisation préalable de la position du PDG à ce sujet ; les deux députés en question n’y ont pas participé ; la position qu’ils exprimaient lors de l’examen du projet en commission ne cadrait pas avec la position arrêtée par le parti lors de cette réunion ;
– le 29 décembre 2010, les deux parlementaires ont reçu du Président du groupe parlementaire PDG à l’Assemblée nationale une lettre de convocation à un conseil de discipline pour le 4 janvier 2011 ; la convocation, qui s’appuyait sur l’article 39 du Règlement intérieur du groupe parlementaire et une décision de l’Assemblée générale du groupe tenue le 29 décembre 2010, invoquait comme raison un manquement à leurs obligations ; selon les sources, n’ayant jamais entendu parler de ce règlement ni de la réunion de l’Assemblée générale du groupe, Mme Oyane-Ondo et M. Owono Nguema ont demandé au Président du groupe de leur communiquer ces documents et de leur faire part des manquements dont ils se seraient rendus coupables; toutefois, le Président aurait déclaré ne pas savoir si les documents en question étaient disponibles ; par conséquent, les deux députés auraient répondu à la convocation du Président du groupe «démunis de tout élément du dossier» et sans connaître les obligations auxquelles ils auraient manqué et qui impliqueraient leur comparution devant le conseil de discipline ;
– le 4 janvier 2011, Mme Oyane-Ondo et M. Owono Nguema se sont présentés devant le conseil de discipline, accompagnés d’un avocat pour assurer leur défense, d’un consultant spécialiste des droits fondamentaux et d’un huissier de justice et, selon le Président de l’Assemblée nationale, d’autres personnes, militants de l’opposition et journalistes; le Président du conseil de discipline s’est opposé à la présence de ces personnes, rappelant qu’il s’en tenait aux dispositions du Règlement intérieur du groupe stipulant que le député convoqué en conseil de discipline ne pouvait être assisté que par un autre député membre du groupe parlementaire PDG ; que la présence de personnes étrangères au groupe n’était pas autorisée car il s’agissait d’une affaire interne au groupe parlementaire ; toutefois, les défenseurs des parlementaires ont refusé de quitter la salle, faisant valoir qu’en conseil de discipline les droits de l’accusé étaient mis en cause, et que ce dernier avait donc droit à une défense ; selon les sources, le Président a alors déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un conseil de discipline, mais d’une simple audition et les défenseurs ont alors accepté de quitter la salle ; toutefois, selon les sources, au lieu de poursuivre l’audition, le Président y aurait mis fin tout en déclarant que «compte tenu de la tournure des événements, il n’avait d’autre choix que de renvoyer le dossier en l’état au secrétariat général du parti» ;
– selon les sources, les documents qui qualifieraient le manquement à leurs obligations et qu’ils ont demandés avant leur comparution devant le conseil de discipline en vue de préparer leur défense ne leur ont été communiqués par le Président que quelques instants avant la levée de séance ; selon les sources, c’est donc seulement après la séance que les deux parlementaires ont appris que leur convocation était due à leurs interventions pendant les débats en commission, considérées comme étant en «contradiction avec la discipline du groupe» ;
– selon les sources, le 7 janvier 2011, les deux parlementaires ont appris que la séance du 4 janvier 2011 avait été considérée non comme une simple audition mais comme un conseil de discipline qui a pris la décision de transmettre le dossier au secrétariat exécutif du PDG pour qu’il se prononce dans «un but de clarification, avant le 1er mars 2011, date de l’ouverture de la première session ordinaire du Parlement» ;
– selon les sources, c’est à travers un communiqué du PDG publié dans le journal Gabon Matin que Mme Oyane-Ondo a appris à la mi-mars 2011 qu’une commission ad hoc mise en place par son parti avait décidé de la suspendre de ses fonctions au sein du parti ; cette décision, non motivée, ne lui aurait jamais été notifiée, elle n’aurait jamais été convoquée pour être entendue par cette commission et elle ignorait par conséquent les raisons de sa suspension,
considérant que, selon le Président de l’Assemblée nationale, c’est depuis les élections présidentielles d’août 2009 qu’un clivage s’est produit au sein du parti et que les deux parlementaires faisaient depuis lors l’objet d’une enquête interne du parti ; que leurs positions lors de la discussion en commission parlementaire avec le Premier Ministre étaient contraires aux consignes du parti et que ce manquement aux obligations du parti n’était qu’un élément de plus confirmant la distance qu’ils ne cessaient de prendre vis-à-vis du PDG ; que le parti se devait donc de prendre des mesures disciplinaires contre des attitudes et propos équivoques afin de prévenir toutes répercussions nuisibles ; que, toutefois, leur suspension n’avait aucune incidence sur leur mandat parlementaire et ne les empêchait pas d’exercer leur mandat parlementaire et que, par ailleurs, aucun député ne pouvait être exclu du parti sans être entendu,
considérant que le Président de l’Assemblée nationale a souligné le rôle important des partis politiques et a mentionné à ce sujet l’Article 6 de la Constitution, aux termes duquel les partis concourent à l’expression du suffrage universel et exercent librement leur activité dans le cadre fixé par la loi, ainsi que la loi N° 24/96 du 6 juin 1996 relative aux partis politiques, qui consacre le principe général de libre fonctionnement des partis politiques ; notant que l’Article 6 stipule également que les partis politiques doivent respecter la Constitution et les lois de la République,
considérant par ailleurs que le Règlement intérieur du PDG prévoit en ses articles 14 et 15 la liberté d’expression des membres du parti et que l’article 121 prévoit la création d’une Commission centrale de discipline et de promotions chargée d’assurer l’ordre et la discipline au sein du parti dont les modalités et la procédure sont fixées par un texte particulier,
notant que l’Article premier, alinéa 2, de la Constitution gabonaise garantit la liberté d’expression et de communication et l’alinéa 4 les droits de la défense ; que son Article 39 interdit le mandat impératif mais stipule «qu’en cas de démission ou d’exclusion dans les conditions statutaires d’un membre du Parlement du parti politique auquel il appartient au moment de son élection, et si ce parti a présenté sa candidature, son siège devient vacant à la date de sa démission ou de son exclusion» ; notant que l’une des sources a cité des décisions de la Cour constitutionnelle gabonaise du 18 août 1994 (N° 15/CC) et du 8 juin 1999 (N° 3/CC) dans lesquelles la Cour affirme le principe de l’indépendance du parlementaire vis-à-vis de son parti politique,
considérant enfin que le Gabon est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui consacre en son article 19 la liberté d’expression,
1. remercie le Président de l’Assemblée nationale de son concours et des informations fournies ;
2. rappelle que l’intervention en commission parlementaire des députés concernés relève de l’exercice de leur liberté d’expression, qui est le pilier même de l’exercice du mandat parlementaire, et considère par conséquent que leur intervention ne devait pas avoir une quelconque incidence sur leur mandat parlementaire ; constate que cela est le cas, les intéressés continuant à exercer leur mandat parlementaire ;
3. décide par conséquent de clore ce cas en l’état actuel ;
4. souligne néanmoins qu’aux termes de la Constitution les partis politiques, tout en jouissant d’une autonomie interne, doivent respecter les droits fondamentaux garantis par la Constitution ; affirme que, chaque fois qu’une procédure, y compris disciplinaire, peut conduire à l’imposition de sanctions, les droits des personnes concernées à se défendre doivent être pleinement respectés ; regrette par conséquent que la décision de suspendre les députés concernés de leurs fonctions au sein du parti ait été prise sans que les organes compétents du parti, en particulier la Commission centrale de discipline et de promotions, les aient entendus ;
5. rappelle la position constante de l’UIP, à savoir que le mandat impératif interdit aux partis politiques de révoquer le mandat parlementaire et que le principe du «libre mandat», tel qu’il est consacré par la Constitution gabonaise, a pour conséquence que les parlementaires sont les représentants du peuple dans son ensemble et qu’ils ne sont liés par aucun ordre ni instruction mais exclusivement par leur conscience ;
6. prie le Secrétaire général de transmettre la présente décision au Président de l’Assemblée nationale et aux sources.