Président de l’Association de lutte contre les crimes rituels au Gabon, Jean-Elvis Ebang Ondo, mène son combat depuis une demi-décennie déjà. Dans cette interview accordée à « RFI », le professeur Ebang Ondo, dont l’un des fils fut kidnappé puis retrouvé mutilé sur une plage de Libreville, fait état de 119 crimes rituels recensés depuis 2008.
Vous existez depuis 5 ans, est-ce que le nombre de crimes rituels a baissé ou pas ?
Depuis la création de notre association, le nombre de cas enregistré par l’association ne fait qu’augmenter. Je voudrais prendre les cas des trois dernières années. En 2008, l’association a recensé 40 cas, en 2009 42, en 2010 nous avons recensé 37 cas. Chaque semaine, nous découvrons un corps dans la nature et chaque semaine au moins un enfant est assassiné pour satisfaire des personnalités qui font des basses besognes.
Ce qui veut dire que presque chaque semaine on retrouve un enfant gabonais tué, dont le corps est mutilé, c’est ça ?
Justement c’est ça. Cela peut être relayé par la presse, ou bien on n’étouffe les informations.
Mais les gens qui font ces sacrifices humains, qu’est-ce qu’ils cherchent ?
Ils cherchent les honneurs, le pouvoir, la vie en opulence et surtout les biens matériels.
Mais en quoi ces sacrifices humains vont leur donner tout cela ?
Moi qui vous parle, je suis un enseignant. Vous pouvez avoir des diplômes, vous terminez de hautes études en Occident, arrivé ici vous êtes confronté à ce qu’on appelle le choc du réel. Vous êtes intégré, par exemple, dans la Fonction public et là, vous ne pouvez même pas atteindre 100 euros par mois, alors qu’est ce qu’il faut faire ? Étant donné que vous avez devant vous votre famille, une famille africaine qui est élargie, il faut satisfaire cette famille. On vous fera des pressions pour avoir un parrain. Qu’est ce qu’on n’entend pas parrain ? C’est une personne qui doit vous amener dans les cercles initiatiques qui font la loi dans notre pays et là vous avez droit à tout ce qu’il faut quand vous avez posé le sacrifice suprême de l’être humain. Vous allez donner un des vôtres, qu’on appelle un des nôtres, c’est le langage qu’ils emploient. Cette personne vous la sacrifiez et vous prenez ce qu’on appelle communément ici les pièces détachées, c’est-à dire les organes de reproduction que vous allez déposer dans les temples, le sang humain, vous le déposez là-bas, et le maître suprême se sert de ça. C’est ça les réalités.
Est-ce qu’il y a une période de l’année où il y a plus de crimes rituels ?
Oui, lorsqu’on parle d’élection, comme ce qui va se passer à la fin de cette année. Il y a un carnage qui ne dit pas son nom à chaque élection. De même, à chaque remaniement ministériel, à chaque mouvement politique, des personnalités qui croient à ces pratiques tuent des proches parents pour avoir des promotions, pour se maintenir dans leurs postes, pour avoir des honneurs.
Depuis l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir il y a 2 ans, est-ce que le pouvoir mène une action plus ferme contre ces criminels ?
Je suis un peu déçu, j’avais vraiment proclamé, haut et fort bravo parce que quand il était ministre de la Défense, nous avons organisé un colloque ici, sous sa haute présidence, parce que c’est lui qui avait représenté le chef de l’Etat absent. Nous avons eu un colloque, organisé par les agences des Nations unis au mois de juillet 2005, il y a eu des recommandations, maintenant au lieu de protéger les êtres humains, il parle de la protection de la flore, de la faune, or moi je m’attendais à une éradication systématique de ce phénomène. L’être humain est l’être sacré. C’est la première chose qu’il faut protéger parce qu’on ne commande pas les arbres, on commande les êtres humains. Il faudrait qu’il mette fin aux crimes rituels sur toute l’étendue du territoire national.
Est-ce qu’il y a déjà eu des arrestations, voire un procès de ces criminels?
Voila aussi un second problème, lorsqu’on parle de dénonciation, on arrive à dénoncer en disant que c’est X ou Y qui est derrière ces actes barbares. Mais, les commanditaires ne sont jamais passés à la barre. On arrête toujours les assassins. Les assassins peuvent témoigner, mais la justice relâche toujours trois ou six mois après les assassins et le commanditaire est toujours chez lui entrain de boire la bière, ainsi de suite.
Le commanditaire est protégé ?
Le commanditaire est toujours protégé. Il y a l’impunité, il y a leur système de solidarité entre les commanditaires et ces personnalités là. Donc, ils ne peuvent pas cracher dans la soupe qui les nourrit.
Est-ce que vous n’êtes pas un peu découragé ?
Le découragement est réservé à une personne qui ne peut pas faire la course de fond. Je sais que c’est une lutte à long terme. La preuve en est que, nous avons dans un premier temps brisé ce tabou, ce qu’on attend maintenant ce sont des sanctions contre les coupables. Je sais que cela viendra.
Est-ce que vous êtes menacé ?
Les menaces ? oui ! Parce qu’il n’y a que sur un arbre qui porte des fruits qu’on jette des pierres. Je dénonce un phénomène barbare, alors que nos dirigeants veulent continuer à conduire le peuple dans l’obscurantisme voila pourquoi je les dérange. Mais je suis soutenu par les églises, je n’ai pas honte de le dire, je suis soutenu par l’Union européenne, les Etats-Unis. Je crois qu’avec une pression de la communauté internationale nous pouvons arriver à mettre un terme à ce phénomène.
Publié le 15-07-2011 Source : Rfi.fr Auteur : Gaboneco