Suspendu par le Conseil national de la communication (CNC) le 10 juin dernier, l’hebdomadaire « Echos du Nord » a purgé sa peine d’un mois et se retrouve à nouveau dans les kiosques. Durant cette absence relativement courte, des avis recueillis çà et là ont démontré que ce titre figure dans le fleuron de la presse libre du Gabon. Anatomie d’un succès éditorial que certains lecteurs présentent comme la mauvaise conscience des gouvernants du Gabon.
Beaucoup moins iconoclaste que « La Nouvelle République » et loin du caractère effronté du satirique « Edzombolo », l’hebdomadaire « Echos du Nord » est indiscutablement un succès éditorial, un journal atypique dans le paysage médiatique gabonais. Désiré Enam, son directeur, a été l’objet d’une interpellation par la Police judiciaire, le 2 juin dernier, tandis que, le 10 juin, le Conseil national de la communication (CNC) a suspendu le titre pour un mois. Peine purgée, l’hebdomadaire est à nouveau dans les kiosques. Sa ligne éditoriale n’a pas changé d’un iota et le public en est toujours aussi friand.
Selon le relevé des ventes de la presse locale établi par le distributeur Sogapresse, ce journal a enregistré, de janvier à septembre 2010, un taux moyen d’invendus de 43,79% pour 5 livraisons seulement. Devenu plus régulier, « Echos du Nord » enregistre une véritable ruée à chaque livraison. Ce qui rend cet hebdomadaire invisible des kiosques deux jours tout au plus après sa parution. Les prochains chiffres de la Sogapresse seront indubitablement à l’antipode des chiffres de l’année dernière. Un succès aisément explicable.
A l’antipode de la «chanson convenue»
Gervais Bouanga, journaliste, assure que « »Echos du Nord » traduit, à mon avis, les aspirations d’une bonne partie du lectorat gabonais. Ce qui se prouve par la frénésie enregistrée autour de ce journal qui disparait des kiosques quelques heures ou un jour après sa sortie. Si les gens se délectent des informations qui y sont publiées, c’est qu’ils en sont satisfaits. Même s’il est parfois arrivé que l’information publiée soit discutable ou ne soit pas fondée, il faut au moins retenir que sur 1 kg d’information discutable, on peut trouver 10 g de vérité et ces 10 g de vérité qui font plaisir à son lectorat. « Echos du Nord » peut de temps en temps s’égarer et ses journalistes ne sont pas détenteurs de la science infuse. Ils ne détiennent pas toujours la vérité des fait mais, il faut comprendre : c’est un journal d’opinion.»
Pour Franck Ndjimbi, ancien chef de rubrique au journal « L’union », « »Echos du Nord » est un journal qui a réussi le tour de force de s’imposer comme un des titres les plus réguliers, les plus crédibles, les plus éclectiques qui existent sur la place médiatique du Gabon. Au-delà de ses prises de position, c’est un journal qui donne l’information, la bonne information. Il faut dire qu’une bonne partie des journaux locaux sont tombés dans l’autocensure. On ne leur demande pas toujours de prendre position, mais ils peuvent quand même présenter les faits bruts. Et, il y a des faits qu’une bonne partie de la presse se refuse ostensiblement de présenter. « Echos du Nord » ne verse pas dans ce registre. Il présente les faits que les autres médias veulent occulter. C’est une bouffée d’oxygène pour la liberté d’expression au Gabon. Ses nombreuses suspensions par le Conseil national de la communication (CNC) traduit le fait que cet organe de régulation a dévoyé ses missions. Le CNC oublie ses missions, éthique, technique et déontologique. Il croit que sa mission est de protéger le régime, d’être la sentinelle du régime, d’amener les journaux à dire ce qui plait au régime, à chanter la chanson convenue.»
Repli identitaire et ligne éditoriale
Un aphorisme assure que l’espoir vient du Nord. C’est en ce sens qu’on avait compris le titre de cet hebdomadaire. D’autres pensent pourtant que Désiré Enam avait pour ambition de faire un journal pour le Woleu-Ntem, la province septentrionale du Gabon. Il s’en défend : «Le Nord d’Echos du Nord n’a jamais été pour nous un Nord régional. C’est plutôt une sorte de cap, une certaine idée de croissance, d’évolution. Je trouve creux et vide ces épithètes qu’on nous affuble chaque fois que nous faisons un article qui concerne quelqu’un d’une certaine région. C’est dommage que les gens n’aient pas la capacité de faire un petit effort intellectuel pour comprendre le rôle d’un journal. Il y a un nouveau journal qui se nomme « Echos de Missanga ». Pour moi, ce n’est pas le journal des gens de Missanga. Je pense que le promoteur du journal a simplement voulu l’appeler ainsi et je ne saurais parler dans ce cas, de repli identitaire. Il faut arrêter les étiquetages inutiles et les clichés. »
Le journal se veut indépendant et «en tant que tel, nous nous positionnons comme un contre-pouvoir. Nous jouons notre rôle de « chien de garde ». C’est le rôle classique de la presse. On ne saurait se positionner pour telle ou telle chapelle, même si nous ne nous interdisons pas de prendre position», explique Désiré Enam avant de préciser : «le journalisme dans notre pays doit être une affaire d’engagement pas une affaire d’opportunité. Et vu comme ça, on se situe résolument dans un rôle de contre-pouvoir. Et je crois que c’est l’habit que tous ceux qui choisissent ce métier devraient revêtir.»
S’il n’est pas le seul titre à travailler dans cette veine au Gabon, « Echos du Nord » se démarque des autres titres qui refusent le rôle de griot par une originalité dans l’approche rédactionnelle et le choix du concentré d’information qu’on trouve dans ses huit pages. Le titre s’efforce à une certaine rigueur ou prudence dans le traitement de l’information ; il se démarque par une mise en page sobre et un esthétisme sans fioritures.
Désiré Enam explique autrement le succès de son journal : «Nous nous attelons à coller à l’actualité et aux exigences du lectorat. Parce que c’est le lecteur qui détermine tout. Quand ce n’est pas bon, il ne manque pas de le signifier à travers la baisse des ventes, etc. Il y a aussi la rigueur dans le traitement de l’information, la recherche des sources, le recoupement de l’information. Par ailleurs, le choix des sujets lors de nos conférences de rédaction tiennent toujours compte de la satisfaction des lecteurs. Nous nous demandons toujours quel intérêt tel ou tel sujet pourra-t-il avoir pour le lecteur. Est-ce qu’il en sera intéressé ? Le courrier des lecteurs, ses SMS ou ses appels téléphoniques sont très importants.»
Après son lancement il y a six ans déjà, le journal a disparu des kiosques de juin à septembre 2010. Enam assure avoir mis cette parenthèse à profit pour réfléchir sur le modèle économique et l’orientation éditoriale du titre : «Nous nous sommes dits que nous ne pouvions continuer à ramer à contre-courant, de faire de l’à peu près, de paraître au petit bonheur de la chance. Ce type de remises en question permanente est peut-être l’une de nos forces. On s’est dit qu’il faillait qu’on affine nos méthodes de travail.»
Lorsqu’on lui demande si son journal applaudirait des deux mains une belle action du gouvernement, le directeur de la publication répond : «Ce n’est pas à exclure. Ce qui est bien est bien. On ne peut pas dire que c’est noir quand c’est gris ou que c’est jaune quand c’est bleu. Mais, la tradition c’est que la presse doit être un aiguillon du pouvoir, elle doit le plus souvent titiller le pouvoir. L’historique de notre publication est clairsemée d’articles qui démontrent ou soutiennent le bien-fondé de certaines mesures. On n’est pas là pour salir le pouvoir, juste pour le plaisir.»
Une PME de presse exemplaire
« Echos du Nord » est une publication de Nord Edition, une SARL au capital de 5 millions de francs CFA. Si l’hebdomadaire compte quatre journalistes et quelques pigistes, il compte également un personnel d’administration qui porte ses effectifs à sept personnes au total.
Le 20 mai dernier, la structure a offert un cocktail à la presse et à certains partenaires à l’occasion de la présentation officielle de sa société éditrice et de ses nouveaux locaux. Bien agencés, sobrement décorés et bien équipés, les locaux de l’entreprise, situés au quartier Ancienne Sobraga à Libreville, démontrent la modernité dans laquelle s’inscrit résolument son promoteur.
Détenteur d’une Licence d’Anglais, Désiré Enam entre au journal « Le Bûcheron » comme pigiste au début des années 90. Il y fait ses classes et, gravissant progressivement les échelons, fini par en devenir le rédacteur en chef. Eprouvant le besoin de parfaire sa connaissance du métier, il brigue une bourse américaine qui offrait 12 places à divers candidats du Tiers-monde. Sélectionné, il se retrouve à l’université du Maryland dont il ramène un diplôme de journalisme. De retour au pays, il reste dans le «business des faits, le business de l’information». Son journal est parti de 2000 exemplaires en octobre dernier à 8000 exemplaires aujourd’hui. Si ce n’est pas du succès, ça y ressemble étrangement.