Dans un rapport publié ce jeudi, Amnesty International dénonce « un climat de peur » entretenu par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire et les milices pro-Ouattara qui empêcherait des centaines de milliers de déplacés de rentrer chez eux.
« Nous voulons rentrer chez nous mais nous ne pouvons pas. » Le dernier rapport d’Amnesty International sur la Côte d’Ivoire – le quatrième publié en 2011 – tire son titre du témoignage d’un déplacé. Amnesty y dénonce les graves violations et atteintes aux droits humains commises dans le pays depuis l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo, en avril dernier, qui empêchent les populations ayant fui les violences post-électorales de rentrer chez eux. « Maintenant que le président Ouattara est au pouvoir, il règne une atmosphère de représailles », affirme l’ONG qui a mené l’enquête pendant deux semaines, au cours du mois de juin, à Abidjan et dans trois régions du sud et de l’ouest du pays.
« Un climat de peur »
Amnesty International s’appuie sur des témoignages accablants d’exécutions, d’arrestations arbitraires, de torture, de viols et de mauvais traitements pour dénoncer « un climat de peur » vécu par plus d’un demi-million de déplacés. « Si, fin avril et début mai 2011, les crimes au regard du droit international pouvaient être attribués aux deux parties en conflit [les forces pro-Gbagbo et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) pro-Ouattara, NDLR], à partir de la mi-mai, ce sont les FRCI et les Dozos [chasseurs traditionnels du Nord, pro-Ouattara, NDLR] qui se sont rendus responsables de la majorité de ces crimes », accuse le rapport. Jusqu’ici, le pouvoir ivoirien n’a pas réagi aux accusations d’Amnesty International.
« Trois mois après l’arrestation de Laurent Gbagbo [le 11 avril, NDLR], il y a une ambiance de peur qui est entretenue par les FRCI et les milices dozos. Des exactions très graves ont eut lieu et se poursuivent très probablement puisque rien n’a été fait pour les faire cesser depuis notre mission du mois de juin », explique à FRANCE 24 Salvatore Saguès, chercheur à Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest.
Un climat de peur également relevé par René Hokou Legré, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), qui s’est rendu il y a quelques jours dans la région de Tabou, une ville du Bas-Sassandra, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. « S’il n’y a pas de tensions perceptibles dans les villages, beaucoup des personnes que nous avons rencontré ont eu vent des exactions commises et déclarent avoir peur de rentrer chez elles », explique-t-il. Selon lui, « les déplacés attendent que leur sécurité soit garantie pour revenir chez eux. Ils estiment que les FRCI, qu’ils accusent d’occuper des domiciles et d’exploiter les plantations des habitants, ne sont pas encore dans de bonnes dispositions pour les accueillir ».
L’ONG appelle le président Ouattara à agir
Des témoignages éloquents qui tranchent avec la volonté affichée par le président Alassane Ouattara de mettre un terme aux querelles qui divisent les Ivoiriens. Depuis son accession au pouvoir, celui-ci appelle en effet à la réconciliation et à la justice dans un pays profondément divisé. Au cours d’une conférence de presse donnée au siège de l’ONU, à New York, mercredi, il a promis une nouvelle fois qu’il n’y aurait aucune impunité pour les auteurs des exactions. « Il n’y aura pas d’exception. Les Ivoiriens seront traités de façon égale, spécialement dans la partie ouest du pays où beaucoup de gens ont été tués. Ceux qui ont commis des crimes feront face au juge. Pas d’exception, nous sommes très clairs là-dessus », a-t-il déclaré.
Une volonté et des promesses saluées par Amnesty International, qui exhorte cependant le président Ouattara à agir très rapidement. « Le nouveau président parle au futur, nous lui demandons d’agir tout de suite. Car seules des mesures concrètes, comme par exemple le démantèlement de la milice dozo et la création d’une force de sécurité impartiale, mettront fin à cette crise humanitaire », estime Salvatore Saguès.
La publication du rapport d’Amnesty International intervient au lendemain de la décision de l’ONU de prolonger d’un an le mandat de sa mission en Côte d’Ivoire, créée en 2004 par la résolution 1528 du Conseil de sécurité. Dans son rapport, l’ONG a constaté que l’Onuci continuait à éprouver des difficultés à remplir pleinement son mandat de protection des civils. « L’Onuci doit faire plus et accroître sa présence. Ces forces doivent se rendre là où la population est menacée. Des habitants nous ont révélé qu’ils n’avaient toujours pas vu la moindre patrouille onusienne un mois après qu’un massacre a eu lieu dans leur village. Ce n’est pas normal », conclut Salvatore Saguès.