Les accusations fracassantes de l’avocat Robert Bourgi sur des fonds occultes africains qui auraient inondé la présidence Chirac continuent de susciter beaucoup de questions, tout en donnant du grain à moudre aux acteurs et aux observateurs politiques. Ce système de valises n’est-il apparu qu’en 1997 ? A-t-il disparu en 2005 ?
Après être sorti de l’ombre avec un long entretien au Journal du Dimanche, l’avocat franco-libanais Robert Bourgi s’est démené, hier, sur les radios (Europe 1, RFI, RMC), pour multiplier les divulgations de détails croustillants sur ce qu’il appelle le « côté obscur de la Françafrique ».
Cette face cachée, il admet l’avoir prise en charge après la mort, en 1997, de son « maître » Jacques Foccart, père fondateur, sous De Gaulle, de ce système de relations troubles maintenues entre Paris et ses anciennes colonies africaines.
Se qualifiant de « repenti », terme à d’origine religieuse devenu également mafieux, l’avocat de 66 ans a précisé à « 20 millions de dollars » les sommes qu’il affirme avoir personnellement remises au président Chirac et à celui qui fut son secrétaire général à l’Élysée, longtemps Dominique de Villepin.
Outre les billets, sa hotte était pleine de cadeaux, raconte-t-il, notamment pour le grand amateur d’épopée napoléonienne qu’est M. de Villepin : « Bustes de l’empereur, pièces rares qui concernent l’empereur… ».
« Il y a deux ans, il me semble que Dominique de Villepin a fait procéder à une vente », ajoute l’avocat.
Il admet n’avoir aucune preuve de ses accusations, car « dans ce domaine-là, il n’y a aucune trace ».
Hier, M. Bourgi a étendu son réquisitoire aux prédécesseurs de Jacques Chirac, « Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand ».
Accusations réfutées pour ce dernier avec prudence par Laurent Fabius. M. Mitterrand a-t-il touché de l’argent africain ? « À ma connaissance, non », a répondu son ancien Premier ministre socialiste.
Jugeant que tout cela « pue », Manuel Valls, candidat à la primaire PS, veut une enquête parlementaire sur « cette relation très particulière entre le pouvoir des gens de droite — mais ça a touché aussi la gauche, il y a quelques années — et l’Afrique ».
Alors que M. Bourgi s’emploie à exonérer l’actuel locataire de l’Élysée, qui lui a remis la Légion d’honneur en septembre 2007, Laurent Fabius a fait observer que Claude Guéant avait admis des conversations sur les financements chiraquiens entre l’avocat et Nicolas Sarkozy.
Un proche de M. Sarkozy, qui prend ses distances avec Bourgi, a assuré à l’Agence France-Presse que cet avocat n’avait « jamais été conseiller officiel du président » et « traitait surtout avec Guéant, plus qu’avec le président ». Selon cette source, attachée à son anonymat, M. Bourgi serait « plus motivé par sa rupture avec Villepin qu’autre chose ».
L’ex-chiraquien Jean-François Probst conteste toutefois cette version. « Bourgi s’est dépensé sans compter pour Sarkozy auprès de nombreux chefs d’États africains lors de la présidentielle de 2007 », a-t-il accusé dans Le Parisien d’hier. Il « a refait un deal avec Omar Bongo, qui lui aurait donné — dit-on — un milliard de francs CFA » (environ 1,5 million d’euros), a soutenu M. Probst, autre grand habitué des capitales africaines.
Continuant à distiller ses accusations sur l’argent de la « Françafrique », ce système d’interpénétration et de connivence entre réseaux français et des anciennes colonies d’Afrique noire, Robert Bourgi a également mis en cause hier Jean-Marie Le Pen, alors président du Front national.
« M. Jean-Marie Le Pen a été reçu par le président Bongo, et le président Bongo a financé la campagne électorale de M. Jean-Marie Le Pen en 1988 », a affirmé M. Bourgi lors d’un entretien accordé hier soir à BFMTV, citant l’ex-président du Gabon.
Le président d’honneur du FN n’a pas tardé à démentir catégoriquement les accusations « ridicules » de M. Bourgi.
« C’est faux, cette affirmation est ridicule […]. Si c’est M. Bourgi qui était chargé de me remettre les fonds, il a dû les garder pour lui », a déclaré M. Le Pen sur la même chaîne. Il a émis l’hypothèse que les propos de l’avocat étaient « téléguidés » par le chef de l’État, Nicolas Sarkozy.
Face à ce contexte délétère, l’Ordre des avocats de Paris a annoncé hier l’ouverture d’une enquête déontologique sur Robert Bourgi, « afin d’être exactement informé sur la réalité des missions (qu’il) déclare avoir accomplies ».
Le Burkina Faso a qualifié de « grotesques » les accusations de l’avocat franco-libanais. Un conseiller en France de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo parle au contraire de « pratiques historiques ».
Autre question soulevée par les révélations de l’avocat : pourquoi sortir maintenant de l’ombre ? D’autant plus surprenant, relève un confrère du barreau, l’ancien ministre UMP Patrick Devedjian, qu’en dévoilant ainsi les turpitudes auxquelles il dit avoir participé, M. Bourgi s’expose à des sanctions pénales. Serait-ce, comme accuse M. de Villepin, pour torpiller sa future candidature ?
M. Bourgi avance un motif de pure morale : il aurait vu « trop de choses ignobles » et veut désormais « une France propre ».