Robert Bourgi, qui distille depuis trois jours ses accusations sur l’argent noir de la Françafrique, va être entendu par la brigade financière à la demande du parquet de Paris. Quel crédit porter aux allégations de l’avocat ?
Par Steven JAMBOT (texte)
Le parquet de Paris a demandé, mardi, à la brigade financière d’interroger l’avocat Robert Bourgi sur ses déclarations distillées depuis trois jours dans les médias français. L’avocat franco-libanais de 66 ans accuse notamment l’ancien président Jacques Chirac et celui qui fut son chef de cabinet puis Premier ministre, Dominique de Villepin, d’avoir reçu des millions de dollars en espèces provenant de présidents africains entre 1995 et 2005. Les deux mis en cause ont immédiatement annoncé qu’ils porteraient plainte pour diffamation.
Pourquoi Robert Bourgi parle-t-il aujourd’hui ?
Les assertions de Robert Bourgi précèdent de quelques jours la sortie de « La République des malettes », ouvrage de Pierre Péan dans lequel l’avocat détaille avec force précisions les dessous des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne. En contrepartie de services dont on ignore la réelle nature, cinq chefs d’État africains (le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Burkinabè Blaise Compaoré, l’Ivoirien Laurent Gbagbo, le Congolais Denis Sassou N’Guesso et le Gabonais Omar Bongo) auraient versé, entre 1995 et 2005, des millions de dollars pour le financement, notamment, des campagnes électorales de Jacques Chirac. Des accusations que Dominique de Villepin, l’ancien Premier ministre de ce dernier, a a qualifié de « fantasmes », ce à quoi Robert Bourgi dit n’avoir pu s’empêcher de répondre.
En outre, la mort d’Omar Bongo en juin 2009, la chute de Laurent Gbagbo, ou encore des dissensions avec Karim Wade, fils du président sénégalais, ont fait que Robert Bourgi ne s’est plus senti « au centre des choses ». « Son influence a baissé ces deux dernières années, il s’est retrouvé un peu écarté de l’entourage du président et doit en ressentir une certaine amertume, lui qui a un ego assez développé », explique à FRANCE 24 Olivier Toscer, grand reporter au Nouvel Observateur et auteur de « La France est-elle une république bananière ? ». Pour Douglas Yates, politologue à l’Université américaine de Paris, « Bourgi prépare l’après-Sarkozy » : « Il veut montrer à l’opposition socialiste qu’il dispose de contacts… et peut porter des mallettes. »
Quelle crédibilité apporter aux propos de Robert Bourgi ?
Outre Dominique de Villepin et Jacques Chirac, plusieurs personnalités de la classe politique française ont dénoncé les allégations de Jacques Bourgi. « C’est de la rumeur, c’est du feuilleton », a déclaré la porte-parole du gouvernement Valérie Pécresse. « [Bourgi] raconte n’importe quoi » s’est insurgé Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée. Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front national, que Robert Bourgi accuse d’avoir accepté de l’argent d’Omar Bongo pour financer sa campagne de 1988, a catégoriquement démenti des accusations qu’il qualifie de « ridicules ».
Mais nombreuses sont les voix affirmant que l’existence de mallettes provenant d’Afrique à destination des responsables politiques français était connue de la sphère politique. Pour Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Coopération au début du mandat de Nicolas Sarkozy, « le fait qu’il y ait eu, jusqu’à récemment, des financements occultes des formations politiques dans le cadre de la Françafrique est un secret de Polichinelle ». Sur l’antenne de FRANCE 24, le journaliste Vincent Hugeux rappelle n’ »avoir jamais été assigné en justice pour diffamation », lui qui a à plusieurs reprises écrit dans des articles et dans des livres qu’il y avait des versements d’argent liquide venant d’Afrique subsaharienne au profit d’hommes politiques français.
Côté africain, Mamadou Koulibaly, ex-numéro deux du président ivoirien déchu Laurent Gbagbo, a affirmé à l’AFP que Robert Bourgi « a parfaitement raison ». Il va même plus loin en précisant que quelque 3 millions d’euros ont été transférés d’Abidjan à Paris pour financer la campagne chiraquienne de 2002. Le gouvernement du Congo-Brazzaville a démenti tout don d’argent occulte, le Burkina Faso a jugé ces révélations « grotesques » et le Sénégal d’ »archi-fausses ». Karim Wade a d’ailleurs annoncé qu’il portait plainte pour diffamation. Quant au Gabon, il s’est dit « pas concerné ».
Est-ce que les mallettes circulent encore sous la présidence Sarkozy ?
Robert Bourgi exonère l’actuel locataire de l’Élysée, qui lui a remis la Légion d’honneur en septembre 2007 et lui a demandé de travailler pour lui, « mais sans le système de financement par valises ». À l’Elysée, on se contente de relever que l’avocat n’est dans aucun organigramme.
« Il est normal que Robert Bourgi ménage le président actuel. Il n’agit peut-être plus autant qu’avant mais il est toujours là », explique Olivier Toscer. Quoi qu’il en soit, le système des transferts d’argent de l’Afrique vers la France se poursuit selon les spécialistes contactés par FRANCE 24. « Il n’y a plus de mallettes, simplement des transactions électroniques », croit savoir Douglas Yates, qui explique que la loi de 1995 sur le financement des campagnes politiques a peut-être « fermé une porte » mais que « dix autres » se sont ouvertes. Pour Olivier Toscer, « c’est sûrement beaucoup moins fort depuis la mort d’Omar Bongo mais ça continue quand même. Et il n’y a pas que les politiques qui sont concernés, les journalistes aussi. » Et de rappeler que le premier chef d’État reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy n’était autre qu’Omar Bongo, le défunt président gabonais.
« Il est quand même singulier que [Robert Bourgi] nous explique que Sarkozy lui demande de poursuivre sa tâche, ce qui est vrai, et qu’en même temps, miraculeusement, il n’y ait plus de valises, plus de liasses de billets. Il est un peu difficile d’avaler ça », conclut Vincent Hugeux.
Quelles suites judiciaires ?
En faisant ses déclarations, Robert Bourgi s’est exposé, mais a prévenu d’emblée : « Dans ce domaine là, il n’y a aucune preuve, aucune trace. » En simple intermédiaire, il ne semblait pas tenir de comptes précis des sommes qu’il déclare avoir transportées. Sur RTL, l’avocat s’est dit « à la disposition de la justice ». « Je veux tourner la page du passé, un passé dont je ne suis pas très fier », a-t-il ajouté.
Avant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris mardi, le Barreau de Paris avait déjà de son côté ouvert une enquête déontologique à l’encontre de l’avocat. Les députés socialistes réclament quant à eux une commission d’enquête parlementaire et la saisine de la justice sur ce que l’on appelle déjà « l’affaire Bourgi » même si les deux procédures ne peuvent pas, en théorie, être menées de front. Selon le règlement de l’Assemblée, il ne peut en effet y avoir de commission d’enquête lorsque « des poursuites judiciaires » sont en cours sur « des faits ayant motivé » la demande de création d’une commission.
Nombre d’analystes se disent donc « réservés » sur d’éventuelles poursuites judiciaires. Mais Olivier Tocser se dit intimement convaincu que « si la justice ne bouge pas du tout, cela sera une preuve supplémentaire de la véracité des propos de Robert Bourgi ».