Le tollé médiatique provoqué par les révélations de Mike Jocktane dans le livre des journalistes français Xavier Harel et Thomas Hofnung, livre sorti cette semaine sous le titre Le scandale des biens mal acquis, m’amène aujourd’hui à prendre la parole sur ce sujet, notamment sur la question relative à la crédibilité du pasteur Mike Jocktane.
Quand il s’agit de juger de la crédibilité ou non de Mike Jocktane, je crois être l’une des rares personnes au monde à pouvoir en certifier, preuves à l’appui.
Comme je l’ai souvent écrit sur le site du mouvement en exil « Bongo Doit Partir » (BDP), dont je suis le président, j’ai été approché officiellement au moins par six fois par des émissaires d’Omar Bongo tentant de me rallier au régime. J’ai rejeté toutes les six sollicitations. Mike Jocktane eut le privilège de négocier la sixième tentative de rencontre entre le dictateur Omar Bongo et moi-même en 2007.
Autrement dit, ma rencontre avec Mike Jocktane en 2007 s’inscrit dans une dynamique par laquelle, depuis 1999, Omar Bongo n’eut de cesse d’essayer de me rencontrer, en vue non seulement d’acheter ma conscience, mais également de me rallier à son régime. C’est d’ailleurs à cause des multiples échecs causés par mon refus de ces rencontres que le régime finança plusieurs scissions au sein du BDP, à commencer par celle de Siméon Ekoga en 2003, que le régime alla présenter à la télévision au Gabon comme le nouveau président du BDP, avant de proclamer la « dissolution » du BDP et son remplacement par le RDPG; puis les frères Bessacque qui créèrent le BDP-Démocrate en 2004 quand la rencontre voulue par Omar Bongo à Washington échoua (voir à ce propos les partie 1 et partie 2 de notre rétrospective sur l’historique du BDP, et cet article résumant l’histoire des trahisons et scissions financées par Omar Bongo). Plusieurs autres clones virent par la suite le jour (« Bongo Doit Présider », « Bongo Doit Persister », « Bongo Doit Rester », etc.), clones dont l’objet était de diluer l’impact politique potentiel du mouvement « Bongo Doit Partir », dont la création date de décembre 1998. Plusieurs milliards de francs CFA furent dépensés par Omar Bongo dans son d´´sir soit d’obtenir mon ralliement soit de détruire et moi et le mouvement « Bongo Doit Partir ». D’ailleurs, Ali Bongo a lui aussi, dès août 2009, financé son propre clone du BDP en achetant la conscience des représentants du BDP au Gabon, qui se transformèrent en « Bloc Démocratique Populaire » après avoir eux aussi proclamé la fameuse « dissolution » du mouvement « Bongo Doit Partir » et « élu » un nouveau président.
Quoique, quelques temps avant la mort de son épouse Edith Bongo, il y eut une septième tentative plutôt informelle d’Omar Bongo voulant que j’aille le rencontrer en Libye pour des pourparlers relatifs à son désir de me voir rallier son régime, sa dernière tentative officielle (la sixième) date de 2007, époque où, justement, il chargea Mike Jocktane de venir négocier une rencontre entre Omar Bongo et moi lors de la tenue de l’Assemblée Générale de l’ONU de cette même année.
Comme le démontre la vidéo de cette rencontre entre Mike Jocktane et moi-même, j’avais en effet non seulement rencontré Mike Jocktane le 27 septembre 2007 à Montclair dans le New Jersey aux Etats-Unis, mais aussi refusé d’aller à New York rencontrer Omar Bongo (New York se trouve à seulement une vingtaine de kilomètres de la ville de Montclair au New Jersey).
J’avais posé comme condition incontournable que la rencontre avec Mike Jocktane ne serait possible que si Mike Jocktane acceptait qu’elle soit filmée, aux fins justement d’éviter que le régime ne puisse exploiter cette rencontre pour faire courir des bruits sur un éventuel achat de ma conscience. Je voulais ainsi garder un moyen de défendre ma réputation au cas où Mike Jocktane ou le régime faisait courir des bruits sur moi qui résulteraient de ce meeting entre Jocktane et moi-même. Et j’avais promis à Mike Jocktane que la vidéo ne serait rendue publique que si, lui, s’amusait à faire un rapport public tronqué de ce qui s’était passé au New Jersey. Malheureusement, Monsieur Jocktane n’ayant pas tenu parole, la vidéo fut rendue publique le 25 août 2008, près d’un an après mon rejet de la rencontre voulue par Omar Bongo en septembre 2007.
Mais Mike Jocktane n’était pas le seul homme du régime impliqué dans cette négociation. Il y avait certes Mike Jocktane lui-même qui servait alors de Conseiller personnel du président de la République, mais aussi Omar Bongo Ondimba (ancien dictateur décédé en juin 2009), André Mba Obame (dernier Ministre de l’Intérieur d’Omar Bongo passé dans l’opposition en 2009 suite au décès du dictateur), Ali Bongo Ondimba (fils du dictateur et ancien Minsitre de la défense devenu lui-même président dictateur suite aux élections tronquées d’août 2009). Mais c’est bel et bien à Mike Jocktane qu’Omar Bongo donna la périlleuse mission de me rallier au régime.
Quoique, comme le montre la vidéo, Mike Jocktane échoua dans sa tentative de me rallier au régime des Bongo, il est important de comprendre qu’en tant que l’un des hommes de confiance d’Omar Bongo, et sur la base de ma rencontre avec le personnage, sa crédibilité ne peut être remise en cause.
Quoique Mike Jocktane ne m’ait offert aucune valise d’argent lors de ma rencontre avec lui (Il savait que cela m’insulterait), il ne faisait aucun doute que si j’avais accepté de rencontrer Omar Bongo, non seulement Mike Jocktane lui-même se serait retrouvé enrichi au centuple pour avoir réussi le coup d’amener Daniel Mengara à Omar Bongo comme un trophée, surtout là où tant d’autres avaient échoué, mais beaucoup d’autres hommes du régime comme Ali Bongo Ondimba et André Mba Obame en auraient tiré d’immenses dividendes politiques et financières. Il va aussi sans dire que moi-même, en tant que trophée qu’Omar Bongo jusque dans ses derniers jours rêvait de cueillir, en aurait forcément, si j’avais été corruptible, tiré les bénéfices suivants:
1) Une mallette d’argent qui n’aurait pas manqué d’atteindre au moins un milliard de francs CFA, tant Omar Bongo souhaitait la disparition du site « Bongo Doit Partir » (https://www.bdpgabon.org).
2) Un poste de ministre pour ponctuer l’accord.
Il se trouve que, étant professeur d’études francophones à Montclair State University dans le New Jersey aux Etats-Unis, et me trouvant pleinement satisfait de mon emploi, ni les postes de ministre ni les mallettes d’argent d’Omar Bongo ne m’intéressaient, ce qui expliquait mon arrogance vis-à-vis du régime et mon rejet des six propositions de rencontre émanant d’Omar Bongo. Je savais que ces pourparlers n’avaient pour objectif rien qui aille dans le sens d’améliorer les conditions politiques et économiques des Gabonais. Or, je n’aurais accepté de rencontrer Omar Bongo que si la discussion visait vraiment à cette amélioration et non à me corrompre.
Ce qui est sûr, néanmoins, est que ma rencontre de 2007 avec Mike Jocktane est édifiante à plusieurs niveaux:
1) elle démontre qu’il était en effet un des hommes de confiance d’Omar Bongo puisque, dans sa maladroite tentative de montrer que ce n’est pas Omar Bongo qui avait sollicité la rencontre de 2007, il affirmait néanmoins être celui qui avait convaincu Omar Bongo de me rencontrer lors de son séjour à New York en Septembre 2007. Si Mike Jocktane jouissait d’une telle influence auprès d’Omar Bongo, c’est que, quelque part, il était un homme essentiel pour la survie du régime des Bongo.
2) elle démontre qu’il savait pas mal de choses sur la psychologie d’Omar Bongo puisque non seulement il défendit son dictateur avec bec et ongles, mais il confirma pour moi ce que je savais déjà, c’est-à-dire que c’est Omar Bongo en personne qui bloquait la délivrance de mon passeport et qui en faisait un objet de chantage. Comme le dit Mike Jocktane dans la vidéo, Omar Bongo et lui-même pensaient que si j’acceptais la rencontre, on pourrait alors discuter du problème de mon passeport. C’est d’ailleurs l’une des choses qui me firent sortir de mes gongs lors de la rencontre car je me trouvais indigné de voir Omar Bongo se livrer à un chantage aussi bas, c’est-à-dire utiliser la délivrance de mon passeport comme un outil de chantage pour m’obliger à une rencontre avec lui.
3) elle démontre qu’il était l’un des garçons de course d’Omar Bongo. Après avoir, exactement comme le montre la vidéo ci-dessus, envoyé paître Mike Jocktane, il m’avait été rapporté que Mike Jocktane avait été salement rabroué par Omar Bongo, qui n’avait pas digéré cet énième échec de me rallier à son régime. Cependant, Mike Jocktane continua, il me revenait, à jouer un rôle d’appoint dans les démarches d’Omar Bongo vis-à-vis des opposants gabonais. Mike Jocktane confirme ainsi lors de notre rencontre de septembre 2007 que c’est lui qui avait négocié le ralliement de Pierre Mamboundou à Omar Bongo, un rôle, donc, de porteur de valises qui fit de lui un personnage central dans l’achat des consciences des opposants gabonais. C’est probablement parce que Mike Jocktane avait réussi à rallier ou du moins à pacifier Pierre Mamboundou vis-à-vis d’Omar Bongo qu’Omar Bongo lui confia par la suite la mission de me rallier, moi, Daniel Mengara. Seulement, parce que je ne mangeais pas du pain des Bongo, je fus obligé d’envoyer paître Mike Jokctane.
Le passage de Mike Jocktane dans l’opposition en 2009 suite au décès d’Omar Bongo doit-il, donc, automatiquement lui enlever toute crédibilité lorsqu’il affirme qu’Omar Bongo aurait ou avait financé non seulement la campagne de Nicolas Sarkozy, mais également fait preuve de pas mal de largesses vis-à-vis de la classe politique française dans son ensemble?
Je pense que non. Comme il le dit lui-même, ces transactions furent, dans les milieux bongoïstes, des secrets de polichinelles. La vidéo de ma rencontre avec Mike Jocktane devrait pouvoir montrer à suffisance que s’il ne servit pas lui-même d’intermédiaire porteur de mallettes entre la classe politique française et Omar Bongo (et cela reste à prouver, vu que Mike Jocktane possède lui-même pas mal de petites « affaires » à Paris), ce rôle d’intermédiaire porteur de mallettes, il le joua pleinement dans sa tentative de rallier deux opposants au régime des Bongo, c’est-à-dire au moins Pierre Mamboundou d’une part (succès, selon lui, dès avril 2006 selon Jeune Afrique puisque Mamboundou se rallia plus ou moins à Bongo suite aux négociations entamées après les élections présidentielles de décembre 2005) et Daniel Mengara de l’autre (échec). On a ainsi du mal à imaginer un tel confident d’Omar Bongo ignorer l’autre pan des réseaux de corruption mis en place par Omar Bongo, un dictateur qui avait une habileté sans pareille dans le maniement des Francs CFA comme outils de consolidation de son régime. A l’intérieur du pays, il enfonçait copieusement des liasses de CFA et des « cadeaux » dans la gorge de ses opposants les plus virulents pour les faire taire ou les apprivoiser; et à l’extérieur du pays, il noyait copieusement la classe politique française sous des déluges de CFAs, y compris son « péti » Sarkozy. Sarkozy ne manqua d’ailleurs pas de lui montrer sa reconnaissance en faisant d’Omar Bongo l’un des trois premiers chefs d’état africains à rendre visite au « péti » à Paris. Un honneur copieusement apprécié par le mollah gabonais, qui avait craint un dérapage du « péti » qui avait trop fortement promis la « rupture ».
Pour avoir, donc, rencontré Mike Jocktane en 2007, et après avoir moi-même jaugé puis analysé ses affirmations lors de cette rencontre vidéographiée entre lui et moi, je trouve ses révélations tout à fait crédibles.
Et si son passage dans l’opposition depuis 2009 peut servir d’indication sur l’évolution de sa moralité politique, force est de reconnaître que cette transformation luit positivement sur cet homme longtemps égaré sous le bongoïsme. Je lui trouve au moins l’excuse d’avoir évolué trop jeune dans ce milieu pourri qui l’a pourri pour un temps, avant que la mort de Bongo ne lui donne l’opportunité d’une rédemption qui en fait aujourd’hui un champion des causes du peuple. C’est cela, en fin de compte, le voie de Dieu. Le Dieu miséricordieux qui pardonne leurs péchés à ceux qui ont la force mentale de les reconnaître. Sur ce plan, on ne peut que lui tirer chapeau, au compatriote Mike Jocktane et surtout, saluer son humilité: il reconnaît aujourd’hui que sur cette vidéo certificatrice de nos positions idéologiquement opposées en 2007, c’est bien moi qui avait raison quand je l’appelais à cette conversion morale au bénéfice du peuple gabonais.
Dieu est donc grand puisque notre jeune compatriote a bien écouté mes conseils. C’est tout ce qui compte, à la fin.
Fait le 26 novembre 2011 à Montclair, New Jersey, USA
Dr. Daniel Mengara
Professeur d’études francophones à Montclair State University (New Jersey, USA)
Président, mouvement « Bongo Doit Partir »
Bongo Doit Partir
P.O. Box 3216 TCB
West Orange, NJ 07052, USA
Tél. : (+1) 973-447-9763
Fax : (+1) 973-669-9708
No comment.
Juste en termes de dates, il faut remplacer 2088 par 2008 afin que cette erreur soit vite corrigée.
Merci Daniel! La jeunesse africaine et mondiale prendra bonne note de ce texte, de façon à faire une différence entre des intellectuels drogués et des bons et vais intellectuels africains qui ne vendent pas leur conscience devant des personnes comme Bongo, Sassou, Biya et toutes ces personnes imposées au pouvoir, à la tête des États Africains par la France, au grand dam des populations africaines qui mordent de la poussière.