Les absents ont-ils eu raison ? C’est en tout cas ce que voulaient croire hier les partisans de l’ancien président, Laurent Gbagbo, en jubilant devant le très faible taux de participation aux législatives de dimanche en Côte-d’Ivoire. Eux dont le parti avait boycotté le scrutin voyaient dans cette désaffection de l’électorat le signe d’une «sanction» contre l’actuel président, Alassane Ouattara, dont ils contestent toujours la légitimité, et une victoire à distance pour Gbagbo, détenu par la Cour pénale internationale de La Haye depuis le 29 novembre.
«Est-ce vraiment le boycott des partisans de Gbagbo qui a pesé ? Il ne faut pas comparer les législatives de dimanche avec la présidentielle de décembre 2010, mais avec les dernières législatives, il y a onze ans. Le taux de participation n’était déjà que de 32%. Ce qui n’avait pas empêché à l’époque Laurent Gbagbo de juger son assemblée légitime», rappelle, un brin désabusé, Boureima Badini. Cet homme discret a joué un rôle clé dans le long processus de sortie de crise qui a abouti aux élections de dimanche.
Coulisses. Dans son bureau qui domine la lagune d’Abidjan, un grand portrait du président du Burkina Faso, Blaise Campaoré, rappelle qu’il est avant tout le représentant de l’homme fort de la région. Ce dernier est devenu le «facilitateur» du conflit ivoirien en 2007, lorsque fut signé l’accord de Ouagadougou entre Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Guillaume Soro, alors chef des forces rebelles qui occupaient le nord du pays. Pendant quatre ans, Boureima Badini n’a cessé de maintenir le dialogue entre les frères ennemis ivoiriens, menant une diplomatie de coulisses qui a bien failli voler en éclats lorsque Gbagbo a refusé le verdict de la présidentielle de 2010. Mais aujourd’hui, Badini est bien placé pour évaluer les enjeux de l’après-législatives. Il semble convaincu que tout dépendra de «la capacité des vainqueurs à tendre la main aux vaincus de la crise» : «Dans nos sociétés fragiles, la majorité, même légitimée par les urnes, ne peut pas se permettre d’ignorer la minorité», explique-t-il. Le Rassemblement des républicains (RDR), le parti de l’actuel président, est assuré de rafler la majorité des 255 sièges de l’Assemblée. «Mais il devra se montrer le plus inclusif possible et tendre la main à ses adversaires», souligne encore Badini.
Reste que le parti de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), bien qu’affaibli, n’a dans l’immédiat aucun intérêt à collaborer avec le pouvoir. C’est donc Ouattara et ses alliés qui devront seuls gérer les défis immédiats : la reprise économique et le retour de la sécurité. En principe, c’est le grand allié du RDR qui devrait décrocher le poste de Premier ministre. L’ancien parti unique fondé par Félix Houphouët-Boigny, le Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI), avait permis à Ouattara de gagner la présidentielle en lui apportant le soutien du sud et du centre du pays. Mais comme beaucoup d’observateurs, Badini spécule sur le maintien de l’actuel chef du gouvernement à son poste : Guillaume Soro a l’avantage d’être obéi par les forces rebelles, qu’il a commandées et dont les chefs ont été promus dans la nouvelle hiérarchie militaire.
«Complices». «Ouattara et Soro sont devenus très complices, note le négociateur burkinabé, qui connaît bien les deux hommes. De plus, ils sont complémentaires : Ouattara assure la reprise économique, et Soro s’occupe de la réforme de l’armée et de la sécurité.» Est-ce que ce sera suffisant pour faire taire les vieux démons ? «Une partie de la population continue à voir en Ouattara un étranger d’origine burkinabée, reconnaît Badini, forcément sensible à la stigmatisation dont ses nombreux compatriotes ont fait l’objet pendant tant d’années de tensions. La crise ivoirienne a été avant tout identitaire. On s’est alors attaqué aux immigrés, qui forment un tiers de la population active.» Badini n’ignore pas que la reprise économique s’accompagnera de nouvelles revendications sociales, tant les attentes sont fortes. Seront-elles exploitées par les partis politiques, alliés ou non du gouvernement ?
«A terme, il y a bien un risque de voir une partie du PDCI reformer une grande alliance du Sud avec les héritiers du FPI», estime un cadre du PDCI qui, bien qu’hostile à Gbagbo, reconnaît à ce dernier «des atouts qui manquent à Ouattara : une certaine ferveur, un contact facile avec le peuple». L’actuel président, lui, voyage beaucoup à l’étranger, «mais jusqu’à présent, il s’est peu déplacé dans le pays, rappelle-t-il. Or, bien plus que de nouveaux députés, les Ivoiriens veulent un leader qui leur parle et leur redonne confiance».
Un an après la violente crise postélectorale, quelque 5,7 millions d’Ivoiriens étaient appelés aux urnes, dimanche, pour désigner leurs députés. Boycotté par le camp de l’ancien président, Laurent Gbagbo, le scrutin n’a pas mobilisé les électeurs mais s’est déroulé sans heurt.
«Nous félicitons également les partis politiques […] de s’être abstenus de tout acte de violence.» L’ambassade des Etats-Unis à Abidjan dans un communiqué publié hier
35 % des électeurs seulement auraient participé aux législatives, selon les premières estimations de la Commission électorale indépendante.