Par Xavier Monnier
L’avocat estampillé Françafrique Robert Bourgi aura agité la rentrée 2011. Sans autre conséquence judiciaire qu’une lumière un peu plus crue sur son parcours, et ses méthodes. Un chant du cygne sur PV.
Un coup d’éclat comme il les aime, les attise et s’en régale depuis son passage avec armes et bagages en Sarkozie. Au sortir de l’été, l’avocat Robert Bourgi répète dans le JDD ce qu’il a déjà servi à Péan pour son livre la République des mallettres et nombre de journaliste avant lui (dont Bakchich) sur les coulisses de la Françafrique qu’il a servi trente ans durant :
Pendant des années, lui, Robert l’Africain pour la postérité – Bob la limace pour ses contempteurs- a réglé un étrange ballet de billets entre les potentats africains et l’Elysée, alors aux mains de Chirac et Dominique de Villepin. 20 millions de dollars versé par les soins d’Omar Bongo, feu le président du Gabon, Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, Abdoulaye Wade et fils, chef d’Etat sénégalais, Téodoro Obiang de Guinée Equatoriale ou encore Blaise Compaoré du Burkina Faso et Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire.
Grand conteur, le madré franco-libanais pare ses récits d’anecdotes truculentes. Des djembés remplis de billets, Villepin qui se plaint des petites coupures envoyés par Compaoré, Chirac qui demande si «il y a du lourd» quand il pénètre dans son bureau. Mais l’homme de l’ombre qui n’aime rien moins que prendre le soleil médiatique s’applique à prendre des précautions.
Les précautions d’un homme de l’ombre
Son discours ciselé n’empiète pas la ligne judiciaire. Le financement africain de l’Elysée a cessé fin 2005. Soit au delà de la période de prescription d’un délit que l’on pourrait reprocher à cet aimable agent de liaison. Et bien entendu, ses nouveaux protecteurs, Sarkozy et Guéant n’ont pas touché ni participé à ce système. Bien au contraire les nouveaux squatters de l’Elysée lui ont ordonné de faire cesser ces étranges convoyages de fonds….
Ainsi délimité ses révélations restent hors de portée judiciaire. Après des menaces de procès en diffamation, aucune n’arrive jusqu’au parquet du procureur. La plus sérieuse, émanant de la famille Wade, deviendra inutile quand l’ami Robert, qui a longtemps disposé d’un passeport diplomatique sénégalais, dira s’être trompé sur les versements d’argent de la part de «Gorgui» Wade.
Pour le reste l’enquête préliminaire ouverte pour blanchiment a été classée sans suite, faute de preuves. Au moins son passage devant les juges Gruman et Le Loire en charge des enquêtes sur les biens mal acquis des chefs d’Etat africains en France, le 4 octobre dernier, a pu éclaircir le rôle joué par l’ami Bourgi au service des présidents africains.
Héritier des réseaux Foccart, rouage clé de la Françafrique, éminence grise de la politique africaine de la France, ainsi s’est écrit la légende de Robert Bourgi, à sa plus grande satisfaction.
De Chirac au grand père de NKM
La lecture de son PV d’audition laisse apparaître une toute autre histoire. Ce n’est pas le Vieux Foccart, grand architecte de la décolonisation et du néocolonialisme qui l’a introduit dans les rouages de la Françafrique, mais un certain… Jacques Chirac, bénéficiaire depuis des années déjà des largesses du continent noir. «J’ai connu le président Omar Bongo en 1982. A l’époque j’étais professeur de droit à la faculté d’Abidjan, dans le cadre de la coopération française, M. Jacques Chirac, dont j’étais un proche puisqu’il m’avait nommé délégué national du club 89 pour touts les pays en développement m’avait demandé de la rejoindre à Libreville où il s’était rendu pour une réunion de l’AIMF (association internationale des maires francophones). J’étais aussi connu de M. Chirac parce que pour la présidentielle de 1981, il avait fait de moi le président de son comité de soutien et en pus j’étais son représentant pour ces élections en qualité de mandataire apte à signer pour le candidat. […] Mes relations avec Omar Bongo étaient extrêment proches et je puis dire que j’étais dépositaire de sa confiance totale, comme il me savait dépositaire de la confiance et de l’amitié de M. Chirac».
En 1985, c’est toujours par le truchement de Jacques Chirac que Bourgi est chargé d’une mission, au titre du RPR, de contacts et d’informations sur les problèmes de l’Afrique francophone au Sud du Sahara, comme le décrit ce document. Et s’il y a bien un trace d’un grand résistant dans la missive, il ne s’agit pas du grand manitou françafricain Jacques Foccart, mais de Jacques Koscisuko Morizet (grand père de NKM), alors secrétaire national pour les relations extérieures du parti chiraquien.
Comme l’a dévoilé Mediapart, l’intéressé ne revient pas sur ses accusations à l’encontre de Villepin et Chirac, ni sur le blanc seing octroyé à ses amis Sarkozy et Guéant. Il se fait même plus précis quant aux modalités des livraisons d’espèce. Lui n’a «jamais touché le papier». «C’était des missionnaires qui arrivaient avec la valise diplomtique et que je conduisais chez Monsieur Chirac et chez Monsieur de Villepin, décrit-il. Et là je n’agissais pas en tant qu’avocat mais en tant que conseil et ami du président Bongo».
Concierge des Palais plutôt que nouveau Foccart
Une sorte de majordome bien éduqué et qui ne se posait guère de questions sur la provenance des fonds ou leur utilité. «Je tiens à préciser que de la bouche de ces chefs d’Etat, j’entendais dire que ces fonds qui arrivaient par la valise diplomatique étaient prélevé sur les fonds de souveraineté […] A ma connaissance, ces chefs d’Etat attendaient de Monsieur Chirac et de M. Villepin qu’ils facilitent leurs relations avec le fonds monétaire international, avec la banque mondiale et leur permettent l’attribution de crédits, comme par exemple, l’intervention de l’agence française de développement».
Pourtant peu enclin à la modestie, Robert Bourgi, devant les magistrats, minore même son rôle dans l’éviction de Jean-Marie Bockel en 2008, quand à l’époque, il a presque paradé pour expliquer qu’il avait eu sa tête. « Je n’ai jamais relayé ou servi de relais pour faire part de l’agacement des chefs d’Etats Africains […] lorsque M. Bockel a prononcé son discours sur la fin de la Françafrique, j’ai reçu dans la soirée des appels téléphoniques des Présidents Bongo et Sassou Nguesso qui me manifestaient leur fureur et me chargeaient d’en faire par au chef de l’Etat et à M. Guéant ce que je fis le soir même. […] Les chefs d’Etat sont revenus à la charge par mon intermédiaire. J’ai dit au président de la république que le président était dans une fureur indescriptible et qu’il était allé jusqu’à me faire part de son désir de menacer les intérêts français au Gabon. Cela a débouché sur la révocation de M. Bockel et la nomination de M. Joyandet».
Squarcini chaperon de la réconciliation avec Bockel
Un simple porteur de message, une brave concierge des palais africains. Pas plus. Sinon comment expliquer que l’ancien secrétaire d’Etat à la Coopération en vienne à souper avec lui? «Les mois ont passé et un soir, M. Bernard Squarcini m’a appelé pour me dire que selon le souhait du président, il voulait organiser une rencontre entre M. Bockel et moi-même. J’ai donné mon accord. […] Et depuis nous avons les meilleurs rapports du monde».
Sur les biens mal acquis, en revanche, Robert Bourgi ne sait rien. Ni s’y est intéressé. Jusque récemment. Tout juste savait-il que lors des premières enquêtes en 2007, les président Sassou et Bongo répétaient en boucle «qu’est qu’il nous veut ce Bourdon (avocat qui porte les plaintes des BMA et conseil de Bakchich, NDR)», refrain qu’il s’était empressé de répercuter au couple Sarkozy Guéant…. Sans jamais s’interroger sur les dépenses somptuaires des présidents africains à Paris, le luxe des résidences françaises où il les rencontrait. «Je vais chez un chef d’Etat je ne vais pas me posé la question de qui a financé ça».
Les clients du Printemps africain
Mais désormais, tout a changé.« Je ne me suis jamais posé la question, mais aujourd’hui il y a une rupture dans ma vie professionnelle, tout cela doit prendre fin». Parce qu’il n’en bénéficie plus?
Faché avec les Wade, éloigné de l’Ivoirien Ouattara et du Burkinabé Compaoré, hors de la cour de Sassou – qu’il a découvert «réticent à tout forme de démocratie» (sic), inconnu ou presque en Guinée Equatoriale, Robert Bourgi a perdu sa principale manne avec la disparition d’Omar Bongo. Autant de raisons sonnantes et trébuchantes pour que Bob en appelle à «un printemps africain». Et de déclamer sans rire. «Je suis sûr qu’à ce rendez vous de la rénovation, de la transparence, nous trouverons le président Ali Bongo». Le seul dont il reste le conseil.