Le Breton Claude Leroy, sélectionneur d’un pays non qualifié, la RD Congo, a entraîné quatre pays africains en 27 ans et gagné une fois la CAN. Il raconte son amour pour ce continent et la passion si particulière qui y existe pour le football. Entretien.
Quelles sont les grandes tendances de cette 28e édition ?
Avec trois nouveaux venus, cela va être une CAN rafraîchissante. Personne ne pouvait prédire il y a trois ans que le Botswana ou le Niger allaient participer à l’épreuve. Mais ils ont bien bossé et récoltent les fruits de leur politique de formation mise en place il y a quelques années.
A contrario, de grandes nations comme le Cameroun ou le Nigeria sont absentes. Est-ce le début d’une nouvelle ère ?
Il faut analyser cela au cas par cas. Le Cameroun est tombé dans une poule de qualification très relevée et a été devancé par le Sénégal, ce qui n’est pas anormal. L’Égypte a toujours été bien traitée, voire aidée, par la confédération africaine et les arbitres, mais là son équipe est vieillissante. On peut en revanche parler de gâchis pour l’Afrique du Sud ou le Nigeria. Les Sud-Africains ont levé les bras au ciel lors du dernier match de qualification, pensant qu’ils avaient leur ticket avec un nul. C’est surréaliste ! Comment une nation, qui vient d’organiser un Mondial, peut ignorer le règlement ? Quant au Nigeria, c’est un problème de préparation. Dommage que cette équipe ne cesse de bricoler. Avec un peu de rigueur, ce serait un immense pays de football. Il y a un tel potentiel, comme en RD Congo, d’ailleurs… De loin les deux meilleurs réservoirs de joueurs sur le continent.
« Le Nigeria pourrait être un immense pays de football »
Quelles sont les clés pour bien diriger les sélections africaines, qui font souvent appel à des entraîneurs européens ?
Pour moi, il y a une règle d’or, c’est vivre dans le pays pour lequel on travaille. Les entraîneurs « Club Med » ne réussissent pas. Sur place, on s’imprègne de la culture, de la réalité et on découvre des joueurs. Pas besoin de suivre de trop près les stars en Europe, je sais qu’ils sont bien pris en charge. Mieux vaut mettre les mains dans le cambouis et dénicher les talents. Quand je suis arrivé à Kinshasa, j’ai vu 60 matches en quarante jours, dans tous les quartiers de la ville. La passion, c’est le secret de la longévité. D’ailleurs, j’aime de plus en plus le « jeu » football, de moins en moins ce qu’il y a autour.
Pourtant, l’Afrique n’est pas à l’abri des dérives du foot…
Effectivement. Des joueurs que je découvre à peine dans mon pays sont déjà sous la coupe de marchands d’esclaves qui les proposent à des clubs européens. Une fois en Europe, ils sont abandonnés et se retrouvent sans papiers, à faire la vaisselle dans les arrière-cuisines de restaurants. Moi, je leur dis de rester grandir chez eux et d’y franchir des paliers.
L’aspect politique est à prendre en compte, aussi, lorsqu’on dirige une sélection africaine ?
Oui. Une équipe en Afrique fait partie du patrimoine national. La France, à côté, c’est de la rigolade. Il n’y a qu’à voir le Sénégal en ce moment : le président Abdoulaye Wade joue en partie les prochaines élections sur la performance de son équipe à la CAN ! La vie s’arrête pendant cette compétition, c’est beaucoup plus important que la Coupe du monde. Les chefs d’État eux-mêmes sont des dingues de football, des vrais supporters. Quand vous arrivez, ils vous font comprendre qu’il va falloir réussir. Il y a des discussions à bâtons rompus mais c’est enrichissant. Ce qui est plus embêtant, ce sont les conflits avec les ministres qui se mêlent des affaires de la fédération, croyant bien faire. Cela ne fait pas avancer les choses.
Est-ce pour cette raison que le football africain peine à franchir un cap ? Arriver dans le dernier carré d’un Mondial, par exemple ?
En 2010, le Ghana aurait dû aller en demi-finale, mais n’a pas été avantagé… comme souvent les pays africains par le passé. Mais petit à petit, cela va arriver. Je pense qu’il progresse, le foot africain. C’est pour ça qu’il y a des nouveaux venus à la CAN. Ce que fait le Botswana au niveau de la formation va donner des idées à tout le monde.
« Je leur ai dit que le plus grand marabout de l’Histoire, c’était Merlin l’Enchanteur »
Vu d’Europe, la CAN a un côté mystique, archaïque. Est-ce le cas ?
C’est l’Afrique. On n’imagine pas ce que la CAN représente chez les pays participants. Tout le monde s’y met : les jeunes, les anciens, les vieilles « mamas »… Il n’y a pas la télé partout alors les gens s’entassent dans un salon, dans une cour. Pouvoir voir un match, cela se monnaie. Certains louent 100 francs CFA leur place devant le poste de télé. Il y a même un business autour de cela.
Comment les joueurs gèrent-ils cette pression ?
Ils restent dans leur bulle. Leurs hôtels sont particulièrement bien contrôlés aujourd’hui. Après, il y a tout ce qui tourne autour des marabouts. Certains peuvent avoir une influence sur les joueurs et les dirigeants. Mais moi, je n’ai jamais été embêté par cela. Dès mon arrivée au Cameroun en 1985, j’ai expliqué à tout le monde à la télé que j’étais Breton, et que le plus grand sorcier de l’Histoire de l’Humanité, il s’appelait Merlin l’enchanteur, de la forêt de Brocéliande. Cela les avait beaucoup impressionnés. Ensuite, j’ai eu une paix royale avec les marabouts (rires). C’est à partir de là qu’on m’a appelé le « sorcier blanc ». D’ailleurs, je dis souvent aux Africains que si leurs marabouts étaient aussi bons qu’on voulait bien le croire, il y a longtemps qu’un de leurs pays aurait été champion du monde !
Eto’o, Essien, Drogba ont plus de 30 ans. N’y a-t-il pas un vieillissement des icônes africaines ?
La relève sera toujours là. Un garçon comme André Ayew va disputer sa 3e CAN à 21 ans. Il n’est qu’au début de sa carrière. Le Rennais Jirès Kembo, s’il choisit de jouer pour la RD Congo, peut être l’une des futures stars africaines.
À ce propos, comment avez-vous perçu « l’affaire des quotas » en France ?
C’est le débat le plus triste dont j’ai entendu parler. C’est invraisemblable que le sujet ait été abordé de cette façon. Comme Laurent Blanc n’a pas une grande culture hors football, il s’est laissé impressionné, même s’il s’est ensuite excusé. Pourtant, la France devrait s’enorgueillir de pouvoir fournir des joueurs aux pays africains. In fine, de toute façon, les meilleurs joueurs intègrent l’équipe de France. C’est donc un « vrai-faux » débat, comme on en a au moins un par jour en France. Les quotas, les expulsions… C’est triste. La France fait rire quand on vit à l’étranger et son image se détériore d’année en année.
« Un sélectionneur européen en Afrique gagne entre 20 000 et 50 000 euros par mois »
D’où vous vient cet amour pour l’Afrique ?
J’ai été élevé en Bretagne et en Normandie dans un milieu très concerné politiquement. Mes parents, directeurs d’école et humanistes, se sont battus pour les indépendances des pays africains. Tout jeune, j’ai été concerné par l’Afrique.
Vous avez beaucoup bourlingué, aussi en dehors de l’Afrique. La Syrie, dernièrement, par exemple…
J’y suis arrivé juste avant les événements meurtriers. Mon expérience a duré un mois. J’ai donné mon accord à la fédération puis les problèmes ont commencé trois jours après. Trois semaines plus tard, on tirait sur les gens dans la rue. Le lendemain, j’ai prévenu la fédération que je ne pouvais pas cautionner cela. J’ai refusé de rencontrer Bachar el-Assad, le président, et je suis parti. C’est douloureux, car c’est un pays formidable où il y a un vrai potentiel pour le football. La folie des hommes a tout gâché.
Combien gagne un sélectionneur européen en Afrique ?
Entre 20 000 et 50 000 euros mensuels, pour les mieux payés. Cela peut paraître paradoxal sur un continent si pauvre, mais les Africains ne vous reprochent jamais l’argent que vous gagnez, tant que vous bossez et que vous respectez le pays dans lequel vous êtes. Et croyez-moi, ils seraient même prêts à cotiser un peu plus pour garder un bon sélectionneur, tant ils aiment le football…
Recueilli par Arnaud HUCHET.