Depuis le 21 janvier, la Guinée équatoriale et le Gabon accueillent la 28e édition de la Coupe d’Afrique des nations de football. Il s’agit d’une première pour ces deux états frontaliers d’Afrique centrale. Si le Gabon n’est bien sûr pas un modèle de démocratie avec la dynastie Bongo, qui détient le pouvoir depuis 1967, la Guinée équatoriale, peuplée selon les sources de 700 000 à 1 million d’habitants, est dirigée d’une main de fer, depuis un coup d’état en 1979, par le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Cette ancienne colonie espagnole dispose d’un relatif « anonymat » quant à sa situation politique, bien aidée en cela par la richesse de ses ressources pétrolières et gazières.
La Guinée équatoriale est en effet devenue en quelques années un « émirat pétrolier » au milieu de l’Afrique centrale, grâce à l’explosion de sa production pétrolière et gazière (163 millions de barils en 2009, en comparaison des 108 du Congo et des 92 du Gabon). Le PIB du pays a connu une croissance très rapide au milieu des années 1990 avec une croissance moyenne, durant la dernière décennie, de 37 %, et des pics de croissance de 95,3 % en 1997 et 67,8 % en 2001 (selon la Banque des Etats de l’Afrique centrale). Mieux, le PIB du pays est le deuxième d’Afrique centrale (14,5 milliards de dollars en 2008). Du fait de la faiblesse de sa population, le PIB par habitants de Guinée équatoriale est le premier d’Afrique subsaharienne avec 18 600 dollars par an (43e place mondiale).
Mais, malgré cet environnement favorable, la Guinée équatoriale n’occupait que le 136e rang de l’indicateur du développement humain du PNUD en 2011. Le taux de pauvreté est estimé aux alentours de 76 %. L’espérance de vie ne dépasse pas 51 ans et le taux brut de scolarisation, du primaire au supérieur, est de 62 %. Par ailleurs, le pourcentage de la population ayant accès à l’eau potable reste un des plus bas du continent (43 %). Des organisations non gouvernementales, telles qu’EG Justice (Toward a Just Equatorial Guinea – Vers une Guinée équatoriale plus juste, en français), épinglent régulièrement le régime de Malabo dans leurs rapports. Ken Hurwitz, juriste de l’ONG Open Society Justice Initiative, est un fin connaisseur de la famille Obiang, puisqu’il est à l’origine des deux plaintes déposées aux Etats-Unis pour corruption et blanchiment d’argent à l’encontre de Theodorin Obiang Nguema, fils du président, ministre de l’agriculture et vice-président du parti au pouvoir à Malabo. « La Guinée équatoriale est un cas d’école de la ‘malédiction des ressources’, les profits générés par les richesses naturelles sont détournés et enrichissent une minorité au pouvoir, alors que la majorité subit la misère et l’oppression », affirme-t-il.
La Guinée équatoriale figure régulièrement en tête des classements des pays les plus corrompus de la planète, réalisés par Transparency International ou l’ONU. « Les rapports des associations de défense des droits de l’homme décrivent les arrestations arbitraires, les procès truqués, la torture, les kidnappings transfrontaliers et les exécutions sommaires. Et dans le même temps, le clan au pouvoir mène grand train dans ses propriétés de Paris, Malibu, Le Cap ou Rio accessibles par jets privés », s’indigne le juriste américain. En septembre, dans la cadre de l’affaire des « biens mal acquis », la police parisienne a ainsi saisi onze véhicules de luxe (Rolls Royce, Maserati, Porsche, Ferrari, Bugatti) appartenant à Theodorin, le fils du président Obiang. Les vidéos de cette saisie ont été largement diffusées sur internet.
Dans un pays où l’opposition politique est contrôlée et instrumentalisée, où la presse est entre les mains du clan au pouvoir, l’organisation d’un événement comme la CAN revêt un intérêt particulier, celui d’un désir de reconnaissance internationale de la part d’un régime décrié. Et cette stratégie se place dans la droite ligne de la tenue du 17e sommet de l’Union africaine à Malabo organisé en juin 2011. Selon Joseph Krauss, membre d’EG Justice, le président Obiang est « très désireux de se construire une image d’homme d’Etat à l’échelle régionale et internationale ». Il ne s’en cache d’ailleurs pas, en déclarant que « l’unique raison d’organiser la compétition est de présenter la meilleure image du pays, d’en vendre son image ». Le gouvernement a financé, en vue de ces deux événements majeurs, la construction de gigantesques infrastructures. « Pour le sommet de l’UA, un complexe de 52 villas de luxe a été bâti en bord de mer, tandis qu’un nouveau complexe sportif a été érigé à Malabo, et le stade de Bata, agrandi », raconte Joseph Kraus. Les projets pharaoniques de la CAN sont l’œuvre de la filiale de construction de Bouygues.
MANNE PÉTROLIÈRE
A l’image de l’entreprise française, la manne pétrolière attire bien sûr de nombreux pays. Les compagnies pétrolières nord-américaines, Exxon Mobil, Marathon et Amerada Hess sont toutes présentes en Guinée équatoriale. Les entreprises françaises du secteur de la construction, de la banque et des télécommunications ont toujours des intérêts sur place. L’Espagne entretient des liens économiques très forts avec son ancienne colonie, mais son échec dans la découverte de nouveaux gisements pétroliers au profit des Etats-Unis l’a rendue moins active. D’autres pays comme la Chine, le Maroc, le Liban, le Brésil ou encore la Russie défendent également leurs intérêts. Ce contexte de course à l’échalotte joue pleinement en faveur du clan Obiang, qui peut distribuer les marchés pour acheter sa respectabilité.
Le président Obiang est prêt à utiliser tous les leviers qui lui permettent d’augmenter son prestige. La CAN s’impose donc comme une excellente opportunité pour lui que rien ne doit gâcher. On peut s’interroger sur l’accueil qui sera réservé aux supporteurs et aux journalistes étrangers dans un pays où la question de l’immigration est l’objet de beaucoup de crispations. Le Groupe de recherche et d’action sur les migrations en Afrique centrale (Grami-AC) a appelé au boycott de la compétition dans une déclaration fin décembre à Yaoundé au Cameroun. « Les populations d’Afrique doivent boycotter la CAN 2012 en s’abstenant de prendre part aux différents matches pendant ladite CAN. Dans le but de faire respecter les droits humains par le Gabon et surtout la Guinée équatoriale », écrit Jean Jacques Mbelle Abega, le coordinateur du groupe. Le Grami-AC accuse en outre les deux co-organisateurs de « ne point respecter la libre circulation des personnes, des biens et services en Afrique centrale ; notamment à travers la planification et la mise en œuvre des pratiques xénophobes, d’expulsions massives, de violation des droits des autres peuples et des migrants africains ».
Ce constat est partagé par le juriste Ken Hurwitz, qui a constaté un tel phénomène lors de la tenue du sommet de l’Union africaine l’été dernier : « Obiang a été capable de procéder à la mise en détention massive des jeunes et des étrangers. Il a opéré des déplacements de populations, notamment d’enfants scolarisés, des villes vers les campagnes et les écoles ont été fermées un mois avant l’arrivée des dignitaires de l’UA. » L’objectif était clairement d’empêcher que le sommet devienne une caisse de résonance pour les problèmes de la société civile. L’optimisme n’est guère de mise en ce qui concerne la CAN, tant les chances de voir l’événement se retourner contre le régime de Malabo semblent minces. « La méthode risque d’être similaire pour l’organisation de la CAN, et les journalistes qui souhaiteraient profiter de l’événement pour enquêter sur les arcanes du pouvoir ou les conditions de vie de la population risquent d’en avoir pour leurs frais », pronostiquent Hurwitz. Il ne reste plus à espérer que journalistes et amateurs de sport sachent résister aux sirènes de la propagande.
Anthony Hernandez
Une prime de 760000 euros par victoire
Le fils du président Obiang, Theodorin, également ministre de l’Agriculture, a attribué une prime d’un million de dollars (760000 euros) à l’équipe de football de Guinée-équatoriale pour récompenser le but de la victoire face à la Libye lors du premier match de la CAN 2012 (1-0). Une prime qui sera renouvelée en cas de futures victoires de l’équipe dans la compétition. « La question n’est pas de savoir si les joueurs ont mérité cette prime, mais d’où provient cet argent et comment le fils du président l’a financée. Nous connaissons tous le train de vie de M. Obiang junior, et le doute quant à l’origine de ces fonds est permis. La « prime football » d’Obiang illustre parfaitement le besoin de plus de transparence en Guinée-équatoriale. L’Europe doit agir au plus vite pour imposer une législation régulant le secteur pétrolier et l’argent versé à des gouvernements comme celui de Teodoro Obiang pour l’exploitation des ressources naturelles « , a commenté Guillaume Grosso, le directeur de l’ONG ONE France.